La question du règlement sur les partis politiques était en balance depuis un certain temps. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique nous avait adressé des requêtes en ce sens. Nous avons mis autour de la table tous les partis, en leur demandant de contribuer à ce processus. Ce règlement vise à ce que les partis politiques aient une pratique transparente dans l'établissement des comptes qu'ils soumettent. Nous avons aussi souhaité qu'un lien puisse être établi dans le cadre des contrôles particuliers qui sont requis. À ma connaissance, ce règlement, qui est d'ores et déjà appliqué, n'a pas suscité de réactions particulières.
La comptabilité ne reconnaît pas tous les actifs incorporels. Comme vous l'avez dit, madame la rapporteure, notre plan stratégique pour 2020-2022 prévoit une révision de ces règles – un peu anciennes –, s'agissant, du moins, des incorporels reconnus. C'est l'un des domaines dans lesquels il est nécessaire de dépoussiérer la réglementation. Je rappelle que nous avons effectué la codification à droit constant, ce qui a constitué un effort très utile, mais qui ne nous a pas permis d'aborder l'ensemble des questions, tant s'en faut. Nous avons mis ce sujet important à l'ordre du jour, à côté de nos travaux sur le chiffre d'affaires et la présentation des états financiers, que nous devons terminer.
La plupart des incorporels ne sont et ne seront pas comptabilisés dans le bilan. C'est à mes yeux un élément clef du développement de l'information extra-financière. Je remettrai vendredi un rapport à Mme Mairead McGuinness, membre de la Commission européenne, lequel sera publié la semaine prochaine. C'est le fruit du travail mené pendant cinq mois par un groupe de trente-cinq personnes issues de tous les horizons géographiques et intellectuels, de toutes sensibilités, qui a tenu treize réunions plénières. J'invite les membres du Parlement à prendre connaissance de ce rapport, qui s'inscrit dans le prolongement de celui que j'avais remis à M. Le Maire et que je vous avais présenté. Il ouvre la voie à une démarche européenne, dans la lignée de ce que fait la France.
Il est incontestable que, dans ce domaine, l'Europe agit en pionnière et en leader. M. Valdis Dombrovskis, membre de la Commission européenne, a affirmé clairement, il y a un an, qu'il fallait réviser la directive NFRD dans le sens de l'obligation de la publication d'informations pour toutes les entreprises en Europe. Il a également estimé qu'il fallait procéder à des vérifications par la réalisation d'audits. Seuls la France et deux autres pays avaient suivi cette option lors de la transposition de la précédente directive NFRD ; le système n'était donc pas suffisamment fiable. M. Dombrovskis a appelé à adopter des dispositions de niveau législatif très fortes, tout en indiquant que ce ne serait pas suffisant : il a souligné la nécessité, en parallèle, de fixer des normes, car l'information extra-financière, comme l'information financière, a besoin d'un levier réglementaire puissant. Le groupe de travail que j'ai présidé s'est attaché à accomplir le travail préparatoire à cette normalisation. M. Dombrovskis a enfin affirmé qu'il fallait un normalisateur, ajoutant que l'EFRAG pourrait être doté d'une compétence en ce domaine très spécifique. Dans le champ financier, il s'agit de faire du conseil au sujet de normes d'homologation de règles élaborées par d'autres. Dans le domaine extra-financier, c'est l'inverse : il faut élaborer des normes prises en vertu d'un acte délégué au niveau européen, qui s'appliqueront de manière uniforme dans l'Union.
Ces trois annonces sont en cours de réalisation. Le projet de directive NFRD sera présenté aux membres de la Commission européenne dans quelques semaines. Une information devrait être communiquée le 21 avril. Par ailleurs, notre rapport sera remis cette semaine et devrait être rendu public la semaine prochaine. Enfin, M. Jean-Paul Gauzès, président de l'EFRAG – et ancien député européen – remettra son rapport sur l'évolution de la gouvernance dans les mêmes délais. D'après les intentions manifestées sur le plan européen, dont les États membres sont informés, je comprends que nous pourrions passer immédiatement à une phase d'élaboration des normes, afin que celles-ci soient prêtes lorsque le texte législatif sera adopté. C'est un projet complexe, mais la volonté d'avancer est bien réelle. Les actifs incorporels relèvent largement du champ extra-financier. C'est par la complémentarité du travail comptable et extra-comptable que l'on pourra les appréhender globalement.
L'article 244 de la loi de finances pour 2021, qui impose la publication des trois informations que vous avez mentionnées, va dans le bon sens. C'est une des composantes d'un dispositif qui doit toutefois être complété. L'ambition du projet que je défends sur le plan européen, et qui est, je crois, soutenu par les autorités françaises, est d'avoir un reporting assez large, comportant des indicateurs pertinents, parmi les lesquels des éléments de cette nature. Nous ne serions pas du tout en décalage mais, au contraire, dans le prolongement de cette démarche.
La contribution différenciée de la France et de l'Allemagne concerne l'IASB et non l'EFRAG. Alors que les contributions étaient, à l'origine, identiques, nous avons découvert, un jour, qu'elles avaient évolué, notre grand voisin ayant un peu réduit la voilure. Cela soulève des questions en termes de coordination.
On nous a transmis la responsabilité de la réglementation comptable, qui comprend, historiquement, les tables de mortalité. Nous ne pourrons pas les actualiser nous-mêmes ; nous travaillerons donc avec des acteurs comme l'INSEE, les grandes compagnies d'assurance, etc.
Plusieurs questions concernent des domaines sur lesquels l'Autorité des normes comptables n'a pas de compétence directe et peut, tout au plus, être appelée à apporter sa contribution. Je pense, par exemple, aux travaux de l'OCDE sur les prix de transfert ou à la base comptable européenne. Nous suivons ces questions sous l'angle de leurs conséquences comptables éventuelles, mais, par exemple, nous n'avons pas de rôle moteur dans le rapprochement des bases fiscales entre pays européens. Nous dressons des constats quant aux dispositions législatives ou réglementaires qui pourraient être prises.
Le rapprochement des normes comptables et fiscales est un axe de travail de l'ANC. La tâche est malaisée, car les logiques diffèrent. Il arrive fréquemment que les retraites soient comptabilisées, mais cela demeure optionnel dans notre pays. Nous avons souhaité, depuis déjà un certain temps, que cela soit obligatoire et donne lieu à une déductibilité fiscale. Dans le cadre des arbitrages budgétaires, il a été considéré que l'effort était trop coûteux. Nous militons en faveur de la transparence comptable. Nous appelons de nos vœux la comptabilisation d'une économie d'impôt différée, mais nous ne pouvons rien imposer ; nous n'avons pas compétence pour contrôler la règle fiscale.
Cela étant, il serait possible de toiletter un grand nombre de règles, qui n'ont plus de justification fondamentale. Le système français est moniste : la fiscalité doit en principe partir de la comptabilité. Ce n'est que s'il existe des dispositions fiscales spéciales qu'une distinction apparaît. Si je me permettais, je renverrais, de temps en temps, la balle au législateur, qui, d'une certaine manière, crée des différences entre les règles fiscales et comptables. C'est le cas, en particulier, lorsqu'il adopte – de manière parfois justifiée – une mesure fiscale qui n'est pas complètement en adéquation avec la règle comptable. Un travail commun doit être mené. J'ai rencontré à plusieurs reprises des représentants du Conseil d'État qui souhaitaient obtenir des éclaircissements. Nous avons institué une procédure d' amicus curiae qui, quoique n'étant pas utilisée très fréquemment, fonctionne bien.
Le système des normes IFRS n'est pas idéal, comme je l'avais dit il y a six ans. Nous avons toutefois réussi à faire entendre la voix de l'Europe et de la France. Je me réjouis que nous soyons parvenus à ce que les normes soient rouvertes, même si elles ne sont pas parfaites. L'Europe peut agir, par exemple sur les contrats de mutualisation intergénérationnelle, et je pense qu'elle va le faire. Il faut trouver un équilibre entre une certaine unicité et la prise en compte de spécificités européennes. On en a pris la mesure.
D'une manière plus fondamentale, le risque d'aller vers la fair value est, à mon avis, cantonné. Le modèle conceptuel sur lequel on travaille, dans le champ des normes IFRS, est de nature mixte. Les valeurs historiques sont retenues pour toutes les activités industrielles, commerciales et de service. En revanche, c'est plutôt la valeur de marché qui est prise en compte s'agissant des activités financières, comme le demandaient les acteurs. Avoir une action ou une obligation et être libre de la céder demain crée une forme d'arbitraire dans l'apparition de la plus-value. Cela renvoie à la nécessité d'avoir une information extra-comptable.
S'agissant des effets de la covid-19 sur les amortissements, l'ANC est tributaire des mesures législatives et réglementaires. Si une somme d'argent garde la nature d'une dette, nous avons du mal à la qualifier de fonds propres. Nous admettons qu'il existe des différences entre les fonds propres ; l'échéance des dettes varie. Pour autant, nous ne pouvons pas, par un coup de baguette magique, transformer des dettes en capitaux propres.
En revanche, nous avons œuvré en ce sens s'agissant des amortissements. Fin 2020, nous avons émis une recommandation tendant à ce que l'on puisse calibrer les amortissements sur l'utilisation effective. Nous nous sommes heurtés à la règle fiscale qui oblige à constater au moins l'amortissement linéaire. Nous sommes donc passés par les amortissements dérogatoires. Cela ne touche pas les fonds propres, ce qui est l'essentiel, et reporte l'amortissement, en cas de sous-utilisation, à la fin de l'échéance, en prolongeant la période de remboursement. Nous avons pu le faire en interprétant les règles. C'est un résultat qui me paraît satisfaisant, car nous ne pouvons pas décréter qu'une immobilisation conserve la même valeur. Il faut toujours vérifier la valeur de marché ; si, demain, l'entreprise devait s'arrêter, et que l'on s'apercevait que la valeur amortie était inférieure à la valeur vénale, cela ne serait pas sans créer une difficulté – ce raisonnement est valable, d'ailleurs, en toutes circonstances.
S'agissant des effets de la covid-19, nous avons donc apporté beaucoup d'éclaircissements, mais nous nous heurtons à des limites. Nous sommes tributaires des caractéristiques et des modalités de sortie des prêts garantis par l'État (PGE). Il en va de même pour les prêts participatifs. Nous nous livrons à une interprétation juridique des dispositions adoptées par le législateur ou l'exécutif concernant les conditions de ces concours.
J'en viens à la question sur le nombre de juristes qui composent notre équipe. Je suis un peu juriste moi-même. Par ailleurs, nous avons des collaborateurs qui ont une formation juridique. Ils sont certes passés par la direction générale des finances publiques (DGFiP) et le service de la législation fiscale (SLF), mais ils ont une sensibilité juridique. Comme l'a souligné madame la rapporteure, nous nous entourons, dans notre groupe de travail, de juristes, de personnes hautement qualifiées. La Cour de cassation, le Conseil d'État et la Cour des comptes sont représentés au sein de notre collège.
J'ai une conviction profonde, qui est le fruit d'une longue expérience : dès lors que la comptabilité financière est parvenue à un équilibre stable entre fair value et valeur historique, il ne faut pas trop la déstabiliser. Elle présente le mérite de travailler sur les flux financiers – et moins on introduit d'estimations complexes, plus elle est fiable. En contrepartie, elle a le gros défaut de ne pas traduire de façon holistique la performance et l'état de l'entreprise – je pense par exemple au risque de cessation de paiements.
C'est pourquoi, sans baisser les bras sur la dimension internationale, et alors que nous connaissons une phase de stabilisation, je suis très partisan d'éviter de déstabiliser cette plateforme, qui est assez généralement admise, tout en travaillant d'arrache-pied, sous un leadership européen, sur toute la partie extra-financière.
Cela m'amène à la comptabilisation du capital et du travail. Le rapport intégré est une très bonne idée, qui présente toutefois un caractère général et n'a donné lieu à aucune traduction. Le rapport que je soumettrai à Mme McGuinness vendredi propose que l'on essaie de normaliser cette information, qui a trait non pas seulement au capital financier mais aussi au capital humain, naturel, organisationnel et relationnel. Ce sont les fondements habituels de ce qui est qualifié de « multicapital » dans les rapports intégrés. C'est une vision assez ambitieuse, de long terme, qui impliquera des étapes. Cela pourrait commencer à évoluer rapidement, puisque l'Europe envisage de publier une information en 2024 sur les comptes de 2023 – dans le domaine de la normalisation, on n'a quasiment jamais vu un délai aussi court. Il faut une mobilisation forte.
Du fait de sa structure, l'ANC ne travaille pas, en principe, dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), de l'extra-financier, mais j'ai reçu une mission en ce sens. Nous réfléchissons avec le commissaire du Gouvernement et le cabinet du ministre à un élargissement des compétences de l'ANC, le moment venu, en harmonie avec l'évolution européenne.