Intervention de Florence Peybernes

Réunion du mercredi 17 mars 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Florence Peybernes :

Permettez-moi de saluer l'ensemble des membres de la commission. Je suis très honorée de pouvoir m'exprimer devant vous en ma qualité de magistrat du siège.

Comme vous le savez, le H3C est une autorité publique indépendante instituée auprès du garde des Sceaux. Il dispose de la personnalité morale et de ressources propres. Il a été créé par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière. Ses missions ont été élargies depuis et il fait office de régulateur de la profession de commissaire aux comptes. La loi prévoit que sa présidence est assurée par un magistrat conseiller à la Cour de cassation et que son collège est paritaire. Ce dernier compte quatorze membres et il convient de désigner une femme pour remplacer Mme Guéguen. Je suis conseiller à la Cour de cassation en étant première présidente de la cour d'appel d'Orléans. Je ne siège donc pas à la Cour de cassation, mais j'y suis rattachée. À la tête de la cour d'appel, j'exerce les missions d'ordonnateur secondaire, rôle que je partage avec le procureur général. En qualité d'ordonnateur secondaire, j'assume toutes les fonctions de gestion, d'organisation, de dépense publique, de préparation des budgets et de planification des projets de la cour d'appel.

La cour d'appel d'Orléans est la vingtième par ordre d'importance, sur trente-six. Je vous ai fourni des informations sur les équipes d'agents titulaires qui y travaillent. Elle compte ainsi 149 magistrats du siège et du parquet, ainsi que 420 fonctionnaires. Le procureur général et moi-même avons à notre disposition un service administratif régional pour gérer les budgets. Le budget annuel de fonctionnement s'élève à 5,34 millions d'euros par an. Celui des frais de justice est de 4,95 millions d'euros.

Je préside des tribunaux depuis treize ans. J'ai été pendant six ans à la tête du tribunal de grande instance de Rodez, puis de celui de Valencienne pendant trois ans et depuis trois ans et demi à la cour d'appel d'Orléans.

En dehors de ces compétences de gestionnaire de fonds publics, les missions d'un premier président correspondent aux sujets essentiels pour le H3C. Il s'agit en premier lieu, en tant qu'autorité de régulation, des questions de déontologie. Elles sont quasi-quotidiennes pour un premier président. La loi organique confère au premier président un pouvoir de sanction sur les magistrats du siège de son ressort, via des avertissements ou éventuellement la saisine du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). J'ai été amenée à le faire, en prononçant trois avertissements et en demandant deux saisines de l'Inspection générale de la justice, en vue d'une saisine du CSM. Un premier président aborde également les questions de déontologie avec les conseillers prud'hommes, puisqu'il exerce un pouvoir de mise en garde auprès d'eux et peut également saisir la commission nationale de déontologie, ce que j'ai fait à deux reprises. Enfin, j'ai à connaître des contestations d'honoraires des avocats. C'est un sujet dont je traite quotidiennement : j'ai rendu plus de 200 décisions dans ce domaine depuis ma prise de fonction. Pour sa part, le H3C traite les contestations des honoraires formulées par les clients contre les commissaires aux comptes.

La dimension de la déontologie et du respect des procédures m'est donc familière.

Par ailleurs, le code de l'organisation judiciaire confie au premier président et au procureur général une mission générale de surveillance et d'inspection des juridictions de leur ressort. Nous devons nous assurer de la bonne administration des services judiciaires. C'est évidemment une mission que j'ai remplie depuis ma prise de fonction. Je me suis plus spécifiquement concentrée sur les tribunaux pour enfants et le TGI de Montargis, devenu depuis un tribunal judiciaire. J'ai également souhaité m'intéresser cette année à la question des pôles sociaux, pour savoir où nous en sommes de cette réforme importante. Notre rapport, comme ceux que produit le H3C, contient des recommandations et je dois m'assurer du suivi des préconisations que j'ai émises vis-à-vis de tel ou tel service. Ces rapports sont destinés à l'Inspection générale de la justice, pour la bonne information du garde des Sceaux.

Un premier président doit en outre entretenir des relations régulières avec les barreaux. Ils sont quatre dans le ressort de ma cour d'appel. Il s'agit de se coordonner avec cette profession pour mettre en revue les pratiques professionnelles des uns et des autres, les confronter parfois et coordonner la mise en œuvre des nombreuses réformes. Ainsi, la fusion des juridictions nous a beaucoup occupés. La réforme du droit des peines constitue également un changement très important pour les avocats. La réforme du code de la justice pénale des mineurs représente un autre enjeu d'organisation important. Je crois être assez reconnue pour mon habitude du dialogue avec la profession d'avocat. J'entretiens de très bons rapports avec les quatre bâtonniers. Ils ont souvent un regard critique sur les réformes qui peuvent fragiliser leur exercice professionnel. Il convient d'en dialoguer, d'écouter leur lecture de ces textes et de trouver une façon acceptable pour tous de collaborer dans l'intérêt des justiciables.

Enfin, j'incarne une institution dans un territoire. Ma parole est forte et à part vis-à-vis des interlocuteurs politiques, notamment les conseils départementaux et le conseil régional. C'est un aspect pour lequel je crois avoir développé un certain talent.

Le H3C n'a pas toujours été très bien accepté par les commissaires aux comptes. Ils l'ont reçu comme une dépossession d'une mission qu'ils exerçaient auparavant et ont pu estimer inutile de trouver une alternative à l'autorégulation de la profession, à laquelle ils étaient attachés. Il était pourtant de mon point de vue nécessaire de le faire. Les autorités européennes l'avaient demandé, en premier lieu. Il fallait tirer les conséquences d'une qualité parfois insuffisante des comptes des sociétés et il fallait qu'une autorité plus indépendante puisse jouer son rôle pour améliorer la confiance que nous devons tous avoir dans les comptes des entreprises.

Vous m'avez demandé, pour chacune de ses dix fonctions, de donner un bilan de l'action du H3C. Je vous propose de me concentrer sur les plus emblématiques d'entre elles.

La première est l'adoption des normes d'exercice professionnel (NEP), pour qu'elles soient homologuées par le garde des Sceaux. Ces règles doivent constituer le corpus déontologique des commissaires aux comptes, pour s'assurer que les mêmes normes sont appliquées dans tous les cabinets et auprès de tous les clients. Cette fonction a nécessité un important travail du H3C lors de l'adoption de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi PACTE) et il faudra cette année encore instaurer de nouvelles règles pour encadrer la mission simplifiée pour les entreprises de petite taille. Nous devons intégrer des directives relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Une autre mission essentielle est la réalisation de contrôles, par le H3C et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), sur la façon dont les commissaires s'acquittent de leurs audits en entreprise. C'est une particularité de la construction juridique de cette cohabitation entre le H3C et la Compagnie nationale : la loi a prévu la possibilité d'une délégation d'une partie des missions du H3C à la Compagnie. C'est actuellement vrai pour l'audit des mandats des commissaires aux comptes pour les entreprises qui ne sont pas des entreprises d'intérêt public (EIP). Le H3C réalise les missions d'audit des EIP, avec dix-sept salariés, et la Compagnie nationale contrôle les mandats non-EIP. Cette répartition a donné lieu à une convention entre les deux organismes, signée en 2017. L'idée est de partager les mêmes critères pour décider et réaliser les contrôles et de rémunérer la Compagnie nationale pour cette tâche réalisée pour le compte du H3C.

La Cour des comptes a rendu en 2019 un rapport non public sur cette délégation, dont les conclusions sont assez mitigées. Il en ressort que l'ensemble des contrôles réalisés par le H3C et la Compagnie n'est pas suffisant pour que le H3C dispose d'une vision assez large et précise de la qualité de l'audit en France. En outre, les flux financiers entre la Compagnie et le H3C soulèvent quelques questions sur le financement de cette mission et le coût qu'elle représente pour le H3C. Après ce rapport, le H3C a repris une partie des compétences antérieurement déléguées, à savoir celle qui porte sur le contentieux et les missions d'inscription sur la liste et de radiation des 18 000 commissaires aux comptes. Il faut encore travailler sur la validation des sommes et factures émises par la Commission nationale envers le H3C.

Je viens par ce biais à votre question sur l'équilibre budgétaire du H3C. À ce jour, cet équilibre n'est pas atteint et le modèle économique n'est plus viable. Il l'a été pendant plusieurs années, parce que le H3C a pu constituer des réserves importantes pendant ses premières années, dans lesquelles il puise actuellement pour équilibrer son budget. Le déficit prévisionnel pour 2020 est de 1,7 million d'euros. Il convient donc d'explorer les pistes d'amélioration de cet équilibre financier. Il y a des pistes d'économies envisageables, mais elles sont limitées puisque les frais de fonctionnement restent faibles. Le H3C a en outre besoin de salariés pour renforcer son rôle de contrôle, comme le demande la Cour des comptes. Les délégations à la Compagnie représentent environ 30 % des dépenses du H3C. Elles ont beaucoup augmenté, puisqu'elles représentaient 750 000 euros en 2017 et 1,2 million d'euros en 2019. La question de la cotisation mise à la charge des commissaires aux comptes, qui constitue les ressources du H3C, peut également être soulevée, mais elle ne relève pas du H3C. Le décret prévoit que cette cotisation représente entre 0,5 et 0,7 % du chiffre d'affaires du commissaire aux comptes consacré aux audits. Aujourd'hui, elle correspond à 0,5 % et une réflexion pourrait être envisagée pour augmenter ce taux. Une autre piste serait l'élargissement de l'assiette de cotisation, pour ne pas la limiter aux audits et l'étendre aux nouvelles missions confiées par la loi PACTE, notamment en direction des petites structures, ou aux certificats.

Vous m'avez demandé si la profession de commissaires aux comptes était trop concentrée et connaissait des évolutions. Sa topographie est particulière, avec des tailles de structures très variées, de quelques salariés à de grands cabinets internationaux. La concentration est sensiblement moins marquée en France que chez nos voisins européens. Les mandats confiés aux « big four » ou aux « big five » représentent 55 % du total, contre 72 % en Allemagne, 84 % au Pays-Bas, 82 % au Royaume-Uni. Une part importante de notre marché revient donc encore aux structures de plus petite taille. La baisse du nombre de commissaires aux comptes a été limitée à 5 % sur les dernières années. Le recul par rapport à la loi PACTE est cependant encore limité, alors que nous savons qu'elle a pu avoir des effets importants pour la profession. Elle prévoit en effet la rotation des mandats et l'augmentation des seuils au-delà desquels le recours à un commissaire aux comptes est obligatoire. L'Inspection générale des finances avait évalué la perte de chiffre d'affaires pour la profession avant l'adoption de la loi, mais nous devons être prudents. Même quand les entreprises n'y sont plus obligées, elles ont pu conserver le recours à un commissaire aux comptes, pour maintenir la robustesse de la certification de leurs comptes. En outre, la règle concernant la rotation des mandats ne produira ses effets que progressivement et il est encore trop tôt pour les mesurer. La question est de savoir quelle était la volonté du législateur. Il s'agissait manifestement d'alléger les charges des entreprises et peut-être le législateur a-t-il estimé que le chiffre de 18 000 commissaires aux comptes en France n'était pas le bon.

L'objectif majeur du H3C et de contribuer, avec la profession, à assurer la fiabilité des informations comptables et financières. C'est celui que je partagerai avec la Compagnie et que je ferai vivre au sein du collège. C'est un élément déterminant pour la confiance de tous dans les entreprises et le bon fonctionnement de notre système financier.

Je conclurai avec la mission du H3C en matière d'enquêtes. Elles sont diligentées par son rapporteur général, à la demande de la formation statuant sur les cas individuels. Elles interviennent à la suite de contrôles réalisés par la Compagnie ou le H3C, ou sur plainte de tiers. Il s'agit alors d'enquêter sur les éventuels manquements déontologiques d'un cabinet de commissaires aux comptes. La réforme européenne de l'audit a, depuis 2016, renforcé les pouvoirs du H3C dans ce domaine. Il est désormais le seul à pouvoir exercer cette mission, qui n'est plus partagée avec les compagnies régionales, et peut prononcer des sanctions déontologiques comme pécuniaires. Le H3C a progressivement renforcé ses compétences dans ce domaine, ainsi que le personnel qui y est affecté. Il a ainsi récemment rendu une décision très attendue concernant une société qui n'est pas une EIP, avec des sanctions inédites qui n'ont pas été contestées à ce jour, même si le délai d'appel n'est pas clos. Cette décision était attendue et une procédure pénale court en parallèle. Je l'ai moi-même lue avec attention et j'en ai relevé la qualité et la motivation précise, qui permettent à chacun de bien comprendre la lecture des règles de déontologie par le H3C. Une nouvelle décision, Alcatel, doit intervenir prochainement. Elle sera aussi importante, même si elle portera sur d'autres questions déontologiques. Il faudra veiller à trouver le bon équilibre en matière de sévérité pour souligner l'importance des règles déontologiques.

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