Intervention de Jean-Luc Tavernier

Réunion du mardi 24 mars 2020 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'INSEE :

J'évoquerai d'abord la conjoncture immédiate. Olivier Garnier, qui réalise des prévisions à l'échelle du système européen de banque centrale, élargira le propos. Jean Pisani-Ferry a préparé un exposé des travaux que vous avez mentionnés, monsieur le président.

Nous avons effectivement publié une note de conjoncture le 11 mars dernier, indiquant que le recul du PIB, estimé par l'INSEE dans sa première prévision, le 26 mars 2020, à -35 %, s'était limité à -30 % lors du premier confinement. L'ordre de grandeur restait correct.

Un an après l'entrée en confinement, j'ai souhaité introduire cette note par un éditorial, qui rappelle la nécessité toujours prégnante de s'interroger sur l'évolution de la situation sanitaire et les conséquences des mesures de restriction d'activité et de mobilité. Nos prévisions de décembre ont été obsolètes dès l'apparition du variant anglais. Dans ce contexte, l'enjeu est d'effectuer la mesure la plus rapide possible des évolutions de l'activité, de la consommation et de l'emploi, dans un mode nowcasting, et de la prioriser par rapport à la prévision, qui attire l'attention médiatique mais reste extrêmement fragile dans l'attente de l'immunité collective et du retour à des comportements économiques habituels. Aujourd'hui, l'évaluation de la consommation s'appuie davantage sur l'analyse des mesures administratives limitant l'accès aux commerces que sur l'observation de l'arbitrage entre la consommation et l'épargne. Nous continuons à exploiter les sources de données à haute fréquence, l'enjeu étant de dépasser le niveau macroéconomique pour parvenir au niveau microéconomique et à la situation financière des entreprises.

L'INSEE s'intéresse par ailleurs à l'augmentation éventuelle des inégalités, au travers de la moyenne d'évolution du revenu des ménages, et à l'apparition de poches de nouvelle précarité, en s'appuyant sur des données originales.

Pour réaliser ses analyses conjoncturelles, l'INSEE raisonne en économie fermée et s'attache à déterminer quelle sera l'évolution de chaque secteur en fonction des mesures appliquées dans le pays, en se posant peu de questions sur les liens avec les autres États. L'objectif de réinvestir le sujet de l'économie internationale se rapproche cependant, en particulier avec le déploiement du plan de relance de Joe Biden, qui pourrait initier une remontée de l'inflation, avec ses conséquences sur les taux d'intérêt.

En 2020, une chute de 8,2 % du PIB a été enregistrée en France. Elle a été supérieure en Espagne, mais moindre en Allemagne et aux États-Unis. Elle s'avère très liée à la consommation, c'est-à-dire qu'elle a été provoquée par l'empêchement de consommer de façon normale. L'indicateur relatif à la consommation publique révèle l'hétérogénéité des mesures de l'activité réalisées par les différents instituts statistiques. Si, parmi les pays de l'hémisphère ouest, la France enregistre la plus forte contribution négative du commerce extérieur à son activité, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne se trouvent dans des situations similaires. Seul le Royaume-Uni échappe à ce constat.

La fréquentation des commerces établie à partir des indicateurs de Google mobility montre l'impact des confinements.

Le trafic des poids lourds et de l'ensemble des véhicules a connu une forte baisse au premier confinement. Lors du second épisode, cette chute s'est reproduite pour les déplacements des particuliers, tandis que le trafic des poids lourds se maintenait ; même sa traditionnelle décrue au moment des fêtes de fin d'année s'est effectivement manifestée. À fin février 2021, le fret routier se révèle plus important qu'avant la crise sanitaire, la circulation générale apparaissant proche de son niveau de début 2020. Ce constat atteste une certaine résilience, qui ne transparaît pas dans l'analyse du climat des affaires. Cette dernière montre la persistance d'un pessimisme dû à l'incertitude à laquelle doivent faire face les entreprises.

Selon les données annuelles entre 2007 et 2020, la crise financière de 2009 a fortement affecté le climat des affaires dans l'industrie et encore plus dans les services. La courbe le représentant, dans sa période récente, épouse de façon très nette les épisodes de confinement et déconfinement, pour ce qui concerne les services, alors que la remontée est plus tendancielle s'agissant de l'industrie, avec des secteurs affichant davantage de difficultés, comme les matériels de transport et en particulier l'aéronautique.

Dans les services, l'effet des mesures de restriction se manifeste de façon importante sur le secteur de l'hébergement et de la restauration, tandis que celui de l'information et de la communication conserve un bel essor. Une forte hétérogénéité sectorielle est constatée, même si elle s'atténue à certaines périodes.

Mes équipes, dans leurs commentaires, insistent beaucoup sur la combinaison de signes de lassitude et de résistance, ou de résilience, que traduisent les données, la détérioration des perspectives d'emploi constituant un motif important de découragement. L'irruption du variant anglais a par ailleurs suscité un fort retournement des perspectives dans les secteurs les plus sensibles.

En réponse à une question qui leur a été posée à deux reprises depuis octobre 2020, trois entreprises sur dix considèrent que les mesures sanitaires affectent leur productivité. Ce point est très intéressant pour l'avenir : si ces mesures deviennent des habitudes, plusieurs secteurs, dont celui de l'industrie manufacturière, des services et du bâtiment estiment qu'elles auront un effet négatif sur la croissance, même si ce dernier pourrait s'atténuer au fil des mois.

S'agissant des signes de résistance, les revenus sont préservés, la consommation s'adapte et l'investissement semble avoir résisté. L'évolution des créations d'entreprises atteste la capacité d'adaptation de l'économie, même si une chute vertigineuse s'est manifestée au premier confinement et, dans une moindre mesure, au deuxième. Actuellement, cet indicateur atteint des niveaux records. Les créations de microentreprises demeurent très nombreuses dans les secteurs les plus affectés par les mesures sanitaires. Pour la France en un mois, elles ont représenté des volumes de 3 500 pour l'hébergement et la restauration, et de plus de 11 500 pour la livraison à domicile (10 000 créations mensuelles depuis plusieurs mois dans ce dernier secteur).

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.