Nous avons présenté, il y a une quinzaine de jours, dans le cadre des prévisions de l'Eurosystème, une actualisation de nos projections pour la France à l'horizon 2021-2023. Elles datent d'avant les dernières restrictions sanitaires annoncées par le Gouvernement. Elles étaient plus prudentes que celles présentées par l'INSEE dans sa note de conjoncture (5,5 % d'acquis de croissance à mi-année) ou par l'OCDE, car l'hypothèse, partagée avec les instances européennes, avait été de prévoir un maintien à l'identique des mesures sanitaires durant tout le premier semestre 2021. Nous prévoyions ainsi une croissance un peu supérieure à 0 % plutôt que de 1 % pour chacun des deux premiers trimestres 2021.
Les données constatées aujourd'hui, en matière de production industrielle, pour janvier et février s'avèrent légèrement au-dessus des attentes, ce qui nous conduit à maintenir notre prévision de 5,5 % de croissance, sachant que les dernières marches sont toujours les plus lentes à franchir. Même si nous sommes parvenus dès janvier et février 2021 à 95 % ou 96 % du niveau d'activité d'avant la crise, nous ne parviendrons au niveau 100 qu'au printemps 2022.
La Banque centrale européenne a publié, en lien avec les banques centrales nationales, ses prévisions d'augmentation du PIB pour la zone euro, soit 4 %, 4 % et 2 % pour les trois années à venir. La Banque de France table sur des évolutions de 5,5 %, 4 % et 2 %. Les taux de croissance sont toujours un peu trompeurs dans un tel contexte. La France a enregistré une plus forte chute du PIB (– 8,3 %) que la moyenne de la zone euro (– 7 %). Le rebond à partir d'un niveau plus bas explique l'atteinte de 5,5 % en 2021. Les courbes d'évolution des PIB des deux périmètres restent de fait similaires, sachant que les mêmes hypothèses ont été retenues concernant les mesures sanitaires entre la France et la zone euro, même si des écarts subsistent entre pays au sein de cette dernière.
S'agissant de l'emploi, les projections ont fait l'objet de révisions sensibles par rapport à la présentation de fin 2020, alors que le caractère atypique de l'ajustement de cette variable se confirmait. L'emploi salarié a de fait très peu baissé par rapport à la chute du PIB, durant l'année 2020, manifestant ainsi une réaction inhabituelle à la chute de la production. L'ajustement s'est effectué au niveau du nombre d'heures travaillées, qui a davantage diminué que la valeur ajoutée. Le niveau d'emploi restera donc stable en 2021. Le rétablissement, qui n'est à espérer qu'à partir de 2022 ou 2023, s'opérera par la remontée du volume des heures travaillées. L'incertitude perdure sur la mesure réelle du taux de chômage dans des périodes où il est difficile d'identifier la population à la recherche d'un emploi. L'évolution de ce taux s'avère donc atypique pour 2020.
Si les taux d'activité et les comportements relatifs à la recherche d'emploi redevenaient plus normaux, le taux de chômage plafonnerait à 9,5 % en 2021, à un niveau sensiblement inférieur à celui prévu dans les précédentes projections. Ce constat est entaché de fortes incertitudes, mais il faut néanmoins s'attendre à une hausse du taux de chômage.
Le scénario favorable, qui mise sur une levée des restrictions sanitaires dès le printemps, aboutirait à l'atteinte d'un PIB identique à celui datant de la pré-crise, avant même la fin d'année. Le scénario « sévère » parie sur un maintien des mesures jusqu'en 2022. Le scénario central, soit celui présenté, s'appuie sur une levée progressive de ces dernières au cours du deuxième semestre de 2021 et un retour à la normale début 2022, avec la généralisation de l'immunité, évoquée par le président Éric Woerth en début de séance.
S'agissant du volet financier, le surplus d'épargne financière, qui fait couler beaucoup d'encre, correspond à la part d'épargne après investissement immobilier, comparée à celle qui aurait été réalisée si les revenus et les dépenses des ménages avaient crû selon la tendance antérieure. À fin 2020, il est estimé à 110 milliards d'euros. Il devrait atteindre 160 milliards d'euros à fin 2021, l'accumulation ayant conservé un rythme inhabituel, mais de façon plus modérée. La stabilisation n'interviendrait qu'à partir de 2022, avant de commencer à diminuer. Cette donnée a été révisée, car les premières projections pariaient sur 200 milliards d'euros.
Ce surplus d'épargne des ménages ne doit pas être confondu avec l'épargne nationale, qui tient compte aussi des réserves des administrations publiques et des entreprises. Si les capacités de financement des ménages se sont accrues, car leurs revenus ont en moyenne été préservés, l'épargne des autres secteurs institutionnels a diminué. Les administrations publiques et, dans une moindre mesure, les entreprises ont dû s'endetter pour verser les salaires des ménages. La capacité de financement du reste du monde a augmenté, c'est-à-dire que l'ensemble des secteurs domestiques affichent un déficit par rapport à ce dernier. En 2020, la France a davantage dépensé qu'elle n'a perçu. Ses dépenses ont moins baissé que ses revenus.
Le surplus d'épargne ne concerne donc pas l'ensemble des secteurs de l'économie. La part engendrée par les ménages se révèle la contrepartie comptable du déficit des administrations publiques. Cette affirmation est illustrée par les données de la balance des transactions courantes, qui constitue la différence entre l'épargne nationale et l'ensemble de l'investissement public et privé. Alors que la baisse du prix de l'énergie aurait dû permettre une amélioration de notre solde extérieur, notre déficit, surtout hors énergie, a atteint un niveau record, jamais constaté durant les vingt dernières années. Il est donc faux d'affirmer que l'épargne est trop importante, puisque nous devons faire appel au reste du monde pour financer nos dépenses.
L'épargne des ménages prend principalement, pour l'instant, la forme de dépôts bancaires. Les flux les alimentant représentaient 80 milliards d'euros en 2019. Ils ont atteint 150 milliards d'euros en 2020, pour tous les types de dépôts, y compris le livret A. Cette épargne finance directement ou indirectement les prêts garantis par l'État et l'endettement public.
S'agissant de l'épargne non bancaire, les flux nets sont négatifs vers les fonds d'assurance vie en euros (‑ 2 milliards d'euros, contre 40 milliards d'euros en 2019), tandis qu'un mouvement inverse se manifeste sur les fonds d'assurance vie en unités de compte (17 milliards d'euros, contre 2 milliards d'euros en 2019). De la même façon, les OPCVM (placements en actions) ont vu les montants nets souscrits passer de - 3 milliards d'euros en 2019 à + 11 milliards d'euros en 2020, les autres placements ayant aussi connu une augmentation. L'épargne non bancaire a davantage été dirigée vers les placements en fonds propres que vers les placements de taux.
S'agissant des entreprises, une très forte augmentation de la dette se confirme, tant sous forme de crédits bancaires qu'auprès des marchés. Cette dette a crû de 12 % et de près de 220 milliards d'euros en 2020. La trésorerie des entreprises a augmenté dans le même temps de façon similaire (204 milliards d'euros). La croissance de la dette nette est donc limitée à environ 15 milliards d'euros, sachant que cet indicateur financier ne prend pas en compte les reports d'échéances fiscales ou sociales.
En lien avec l'INSEE, nous menons des travaux pour estimer à un niveau plus microéconomique la répartition des dettes et de la trésorerie. Les entreprises qui se sont le plus endettées ne sont peut-être pas celles qui ont accumulé le plus de trésorerie, même si cette dernière a pu être augmentée par le recours aux PGE. Ce dernier a constitué une précaution pour faire face à la crise. La dette a peu augmenté dans les activités immobilières et le service aux entreprises. En revanche, elle a crû de 40 % dans le domaine de l'hébergement et de la restauration, qui se trouve dans une situation très particulière.
Selon les réponses à notre enquête mensuelle de conjoncture auprès des entreprises, les dirigeants de l'industrie considèrent favorablement leur trésorerie, qui serait revenue au niveau atteint avant la crise. En revanche, dans les services marchands, l'opinion générale est que la situation est moins satisfaisante que la moyenne de longue période ou que la position avant la crise. Le secteur de l'hébergement et de la restauration est celui où cette perception est la plus négative.
En tant que banque centrale, nous suivons de près la situation sur les marchés obligataires internationaux. L'évolution des emprunts d'État à dix ans aux États-Unis révèle, depuis fin novembre, un phénomène qui s'accentue : la remontée des taux américains de 0,5 % à plus de 1,5 %, soit une hausse de plus de 100 points de base, liée à l'annonce du plan Biden. Cela pourrait s'accompagner de pressions inflationnistes suscitées par une forte relance de la demande, alors que l'offre resterait contrainte.
Dans la zone euro, hormis en Italie, une très légère remontée des taux est constatée, sans commune mesure avec celle constatée outre-Atlantique. Le risque d'inflation n'est pas du tout identique. Comme l'a rappelé, il y a quinze jours, le Conseil des gouverneurs, l'objectif de la politique monétaire est de maintenir des conditions de financement favorables, d'où le renforcement du programme d'achat d'actifs d'urgence, par rapport au début d'année. Les taux restent très bas, au niveau atteint avant la crise.