Intervention de Jean Arthuis

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean Arthuis, président de la commission sur l'avenir des finances publiques :

D'un point de vue général, je souhaite préciser que l'assiduité des membres de notre commission a été extraordinaire. La diversité de la composition de notre commission et notre lettre de mission nous interdisaient d'interférer dans le champ politique. Nous avons voulu rester dans un champ méthodologique procédural que pourrait s'approprier tout parti politique ou majorité qui aurait à exercer des responsabilités budgétaires. Nous nous sommes donc interdit d'indiquer les réformes politiques à mener.

Quand on parle de gouvernance budgétaire, on parle de gouvernance en général. Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les dépenses de santé. Croyez-vous que l'amélioration du système de santé et son efficacité dépendent exclusivement de crédits budgétaires ? Je préside encore le conseil de surveillance de l'hôpital de Château-Gontier, ville dont j'ai été maire pendant trente ans, et il m'arrive de penser qu'il existe des marges de progression dans la gouvernance des hôpitaux. Ne faudrait-il pas une meilleure coordination, au niveau d'un territoire, entre la médecine de ville – ou de campagne – et les hôpitaux publics ? Il s'agit d'un sujet de gouvernance en général, les solutions ne sont pas uniquement budgétaires. Cela vaut aussi pour les dépenses d'éducation. Ce sont des dépenses d'avenir, mais cela ne veut pas dire qu'on pourrait améliorer la qualité de l'enseignement uniquement en prévoyant quelques milliards d'euros supplémentaires. Le budget ne règle pas tout.

Le budget et la dette publique sont des éléments de souveraineté. Croyez-vous qu'un État endetté soit complètement souverain ? C'est peut-être le cas lorsqu'il s'agit de la Chine ou des États-Unis d'Amérique, mais souvenons-nous de ce qui s'est passé en Grèce en juin 2015. Le Premier ministre grec, M. Alexis Tsipras, refusait le protocole que lui soumettaient ses créanciers, le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne. Il a organisé un référendum pour en appeler au peuple grec, qui lui a donné raison. Pourtant, en dépit du fait que le résultat du référendum lui demandait de ne pas ratifier le protocole, il a été contraint de s'y résoudre huit jours plus tard. Le surendettement d'un État l'expose à être dépendant de ses créanciers. Il est vrai que certains États sont en capacité d'engager des programmes de relance budgétaires conséquents – on le voit aujourd'hui aux États-Unis –, mais c'est plus facile lorsque le niveau d'endettement public est inférieur à 40 % du produit intérieur brut. Dans les moments de crise, on peut en effet injecter de l'argent public pour relancer l'économie, mais à un niveau d'endettement public, de dépense publique et de prélèvements obligatoires comparables à ceux de la France aujourd'hui, les marges de manœuvre sont extrêmement étroites. Si nous voulons retrouver de l'agilité, il est impératif de mieux maîtriser la dépense publique.

Vous m'avez interrogé sur les dépenses d'avenir. Au sein de la commission, le débat est resté ouvert. La position exprimée par le président Woerth et le rapporteur général Saint‑Martin est que qu'il s'agit plutôt de dépenses d'investissement. Il est vrai que, lors du lancement du premier programme d'investissements d'avenir, auquel on avait demandé à deux anciens premiers ministres de travailler, on s'était rendu compte qu'il était souvent plus facile de réduire les investissements que les dépenses de fonctionnement, pour lesquelles on continuait à emprunter. Il faudra donc trouver un mode opératoire. Le plus lisible est incontestablement l'investissement, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il y a ici aussi des dépenses de fonctionnement, même dans la formation professionnelle ou la recherche. Peut‑être la recherche devrait-elle apparaître comme de l'investissement ? C'est une option.

La commission ne prône pas l'austérité. Est-ce que rechercher l'équilibre des finances publiques, c'est de l'austérité ? Est-ce que de la bonne gestion publique, c'est augmenter systématiquement le déficit public et emprunter toujours plus pour financer des dépenses de fonctionnement ?

On s'est beaucoup interrogé sur le chiffre mystérieux d'un déficit public limité à 3 % du produit intérieur brut. Dans les années 1990, au moment où nous préparions le pacte de stabilité et de croissance, conséquence du traité de Maastricht ratifié par le peuple français, le chiffre de 3 % avait été avancé pour signifier que si la dette publique représentait 60 % du produit intérieur brut, la charge de la dette avec un taux d'intérêt de 5 % était de 3 % du budget. Par conséquent, en limitant le déficit public à 3 %, le budget devait s'équilibrer en dépenses primaires.

Vous vous interrogez aussi sur la possibilité d'une annulation des dettes publiques détenues par la Banque centrale européenne. En effet, pourquoi ne pas considérer que toutes les créances détenues par la banque centrale au titre de la « dette covid » pourraient être annulées ? Il s'agit d'un sujet européen. Il est inimaginable que la Banque centrale européenne procède à une telle annulation sans l'accord de l'ensemble des membres de l'Eurogroupe, et je doute fort que la question fasse l'unanimité. Cette voie ne nous paraît pas réaliste.

Nous avons fait des propositions qui relèvent de la loi organique. Il s'agirait notamment de se doter d'un objectif pluriannuel en dépenses, pour constituer une boussole de nos finances publiques. Nous proposons aussi d'organiser la préparation du cadre pluriannuel des finances publiques en début de législature. Il s'agit d'un sujet délicat ; toutefois, lorsque le Parlement vote le premier projet de loi de finances d'une législature, celui qui suit l'élection, il est préférable de le voter avec une vision pluriannuelle. Ainsi, on pourrait voter de manière concomitante le projet de loi de programmation pluriannuelle et le premier projet de loi de finances de la législature. Il pourrait en être de même pour le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale de la législature.

Cela n'est pas simple. Cela suppose un important travail aux mois de juillet, août et septembre. Il faut sortir de la confusion qui, parfois, imprègne ces premiers mois d'une législature pour mettre de la méthode et se projeter dans l'avenir. Y aurait-il un inconvénient à ce que les députés nouvellement élus s'imprègnent pendant quelques semaines des questions budgétaires ? À l'heure actuelle, je ne suis pas sûr que tous les députés y soient bien préparés.

Lorsqu'on parle d'améliorer la gouvernance, il faut aussi s'intéresser à la gouvernance du Parlement. Il n'est pas certain que la hausse du nombre d'amendements examinés par le Parlement s'accompagne d'une réelle valeur ajoutée. S'agissant des finances publiques, il faudrait rationaliser notre démarche. Nous sommes toujours vertueux lorsqu'on parle de finances publiques, mais terriblement dépensiers lorsqu'on parle de politiques sectorielles. Parfois, il m'arrive de penser que même les ministres demandent à des députés de déposer des amendements qui remettent en cause les arbitrages budgétaires décidés par le Gouvernement.

Nous avons tous les moyens pour que les choses évoluent, mais rien ne change. On n'y arrive pas. De temps en temps, on donne un coup de rabot, mais il s'agit d'un instrument redoutable et parfois dangereux, un instrument arbitraire – et, en général, les coups de rabot ne tiennent pas dans la durée : dès l'année suivante, on revient ce qui a été fait. C'est une révolution culturelle que nous appelons de nos vœux.

Concernant la vigie que nous appelons à mettre en place, c'est-à-dire un observateur extérieur qui tire la sonnette d'alarme, nous pensons qu'il ne s'agit pas ici du rôle de la Cour des comptes. Dans la plupart des pays de l'OCDE, il y a une distinction entre les auditeurs – ce qu'est la Cour des comptes, qui audite a posteriori les exécutions budgétaires – et les organismes qui évaluent ex ante et font des prévisions sur le très long terme avec des économistes. Aujourd'hui, dans l'opinion publique, le Haut Conseil des finances publiques est trop souvent confondu avec la Cour des comptes, puisque le président du Haut Conseil est le premier président de la Cour des comptes. Or le Haut Conseil est et doit être une institution indépendante.

Donner un rôle plus important au Haut Conseil des finances publiques ne signifie pas nécessairement accroître considérablement ses dépenses. L' Office for budget responsibility britannique, créé en 2010, fonctionne avec trente personnes à temps plein, et son autorité est considérable auprès de l'opinion publique, du Gouvernement et du Parlement. C'est le modèle qui nous a le plus impressionnés. Quant au Congressional budget office (CBO) américain, il est rattaché au Congrès, et lui aussi est bien différent de la Cour des comptes française. En outre, il y a, en France, beaucoup d'organismes qui font de l'évaluation et de la prévision. Ne faudrait-il pas mettre un peu d'ordre dans tous ces organismes ? Il faut éviter la fragmentation qui nuit à la clarté des messages qu'on essaye de transmettre à l'opinion publique.

Faudrait-il instaurer une règle d'or qui s'imposerait aux lois de finances ? Cela nécessiterait une réforme constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel, lorsqu'il constaterait que le Parlement a voté une loi de finances non conforme à la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, censurerait le budget. Sur ce point, notre commission estime qu'il serait difficile de faire aboutir une telle réforme constitutionnelle, qui suppose de faire adopter un texte en des termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat. Un vote identique avait eu lieu à la suite du rapport Réaliser l'objectif constitutionnel d'équilibre des finances publiques remis par le groupe de travail présidé par Michel Camdessus en 2010, mais le président de la République avait estimé qu'il n'y aurait pas de majorité des trois cinquièmes au Congrès.

De surcroît, il serait dangereux d'instaurer une règle d'or absolue. J'ai peur que, dans le contexte mondialisé, la crise ne devienne la norme. Or, dans les situations exceptionnelles, il doit être possible de desserrer l'étau des règles budgétaires. C'est ce qui s'est passé en Allemagne, où les règles de rigueur budgétaire ont été suspendues en raison de la gravité de la crise de la covid. Nous n'avons donc pas prévu ce dispositif. C'est le Parlement lui-même qui doit être chargé du respect de ses engagements et veiller à l'équilibre.

Ce n'est pas si évident, mais un acte solennel en début de législature pourrait aider à la maîtrise des finances publiques. Le Parlement gagnerait à ce qu'une vigie indépendante, comme je l'évoquais précédemment, évalue de manière indépendante la situation des finances publiques pour lui permettre de procéder aux arbitrages nécessaires, pour dégager des économies dans certains domaines et trouver les moyens de respecter les engagements pris en début de législature. Cela éviterait les propositions qui semblent procéder d'un concours Lépine de l'innovation politique, sans souci des conséquences budgétaires.

Cette vigie, il ne faut pas en redouter les conséquences. Toutefois, je le répète, elle ne peut être la Cour des comptes, qui fait de l'audit. L'évaluation des finances publiques, c'est le Haut Conseil des finances publiques. Nous avons proposé plusieurs formules. La première consisterait à le rattacher au Parlement, comme le CBO. La deuxième consisterait à accroître ses missions. La troisième, plus novatrice, serait d'en faire une instance indépendante, avec un processus de nomination comparable à celui du Conseil constitutionnel ou celui du Conseil supérieur de l'audiovisuel. C'est à vous qu'il appartient de trancher entre ces trois options.

Vous avez évoqué la décentralisation et la déconcentration. La commission ne s'est pas penchée sur ces points. Toutefois, n'y a-t-il pas aujourd'hui un excès de centralisme, une « sur-administration » et un « sur-contrôle », qui entraînent un climat de défiance à tous les étages ? Il faut responsabiliser les acteurs au plus près du terrain. Par exemple, peut-être pourrait-on éviter de définir un protocole de vaccination en soixante pages ? Il faudrait aller vers des formes de délégation plus larges et de responsabilisation des acteurs locaux.

Nous n'avons pas voulu interférer sur la nature des réformes. Nous avons simplement souligné que c'est en matière sociale que la dépense publique de notre pays atteint les niveaux les plus élevés. Quand on parle des dépenses sociales, on inclut nécessairement les retraites. Les retraites font partie des domaines sur lesquels il va falloir que le Parlement se penche pour peut-être trouver des économies et mieux maîtriser la trajectoire des finances publiques. Nos propositions, notamment celles qui relèvent de la loi organique, rejoignent très largement les propositions du président Woerth et du rapporteur général Saint‑Martin. Sur ces voies, je pense qu'il y a une assez large convergence.

Quant à ceux qui nous soupçonnent de prôner l'austérité, je le répète, équilibrer les comptes publics, ce n'est pas de l'austérité, c'est simplement de la responsabilité. Il n'existe pas de politique durable qui se finance exclusivement par la dette. On peut recourir à la dette pour financer des dépenses exceptionnelles, qui ne sont pas des dépenses courantes. Encore faut-il être capable de maîtriser cette dette pour ne pas être entre les mains des créanciers. On peut, certes, citer le cas du Japon, mais la dette publique japonaise est détenue à plus de 90 % par les Japonais eux‑mêmes. Peut-être nos concitoyens pourraient-ils participer davantage au financement de la dette publique ? Ils le font déjà largement, notamment à travers l'assurance-vie, qui privilégie les titres de dette publique.

S'agissant des prélèvements obligatoires, il n'est pas question de les augmenter et d'accroître encore le pourcentage qu'ils représentent par rapport au produit intérieur brut. Toutefois, on peut imaginer, à l'intérieur des prélèvements obligatoires, des mutations. Par exemple, si on baisse un impôt de production, il faut en parallèle augmenter un autre impôt, sur le revenu, le patrimoine, la consommation ou d'autres ressources. Désormais, toute baisse d'impôt doit s'accompagner d'une compensation par des recettes de substitution. Le jour où nous aurons pu réduire la dette publique de manière significative, peut-être pourrons-nous procéder à de réelles baisses d'impôt.

J'ajoute que les baisses d'impôts intervenues ces dernières années étaient des baisses d'impôts locaux, qu'il a fallu compenser par des ressources de l'État, et qui étaient peut-être en contradiction avec les principes de décentralisation et de libre administration des collectivités territoriales. Il est vrai que les collectivités territoriales prennent leur part dans les dépenses publiques. Plus de 70 % de l'investissement public vient des collectivités, mais l'État peut, par ses subventions et par le contrat, orienter la destination des investissements et des opérations engagées par les collectivités.

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