Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mardi 27 avril 2021 à 18h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Je commencerai par les dernières questions qui m'ont été posées avant d'aborder, en bloc, celles qui concernent les ressources propres.

Les 40 milliards d'euros ont effectivement vocation à réduire les besoins de financement de l'État : ces subventions de l'Union européenne permettent de financer des dépenses publiques qui ne sont pas financées sur le budget de l'État. Cela ne nous a pas empêchés de commencer à développer le plan de relance. Nous l'avons fait selon un calendrier qui me semble être le bon et son exécution suit un rythme soutenu, puisque 30 milliards d'euros, soit près d'un tiers du plan de relance, sont déjà engagés dans un certain nombre de politiques publiques.

S'agissant des financements privés, je rappelle que nous avons introduit, il y a de cela plusieurs semaines, des prêts participatifs. Grâce à dix-huit compagnies d'assurance et à la Caisse des dépôts et consignations, nous avons déjà levé 11 des 20 milliards d'euros que nous souhaitons lever pour le financement des entreprises en quasi-fonds propres. C'est une réponse à la hauteur des enjeux.

La comparaison entre les plans de relance américain et européen revient sans cesse. Je ne vous cache pas que je la trouve très injuste et très décalée. Lorsque l'Union européenne a apporté un soutien massif aux salariés, à l'activité partielle, aux entreprises en difficulté, aux petits commerçants, aux artisans, aux TPE, personne n'a dit, aux États-Unis, que l'Europe faisait beaucoup mieux en matière de soutien aux entreprises et aux personnes en difficulté. Et pourtant, c'était le cas ! Une grande partie du plan Biden consiste à verser des chèques à des personnes qui ne bénéficient pas de l'assurance chômage ; il ne faut pas oublier que nous avons, nous, un dispositif de protection sociale très fort.

Considérer que les 1 900 milliards de dollars du plan américain ne sont destinés qu'à la relance est une erreur de jugement. En réalité, il s'agit aussi de financer des politiques sociales qui, sur le continent européen, existent déjà. Si l'on additionne le coût des systèmes sociaux européens, les sommes qui ont été dépensées pour protéger encore mieux nos concitoyens pendant la crise – je pense en particulier aux prêts garantis par l'État et à l'activité partielle – et le montant des investissements, on atteint des chiffres qui sont tout à fait comparables à ceux du plan de relance américain, de l'ordre de 20 à 25 % du PIB. Je suis stupéfait de voir autant d'admiration pour les États-Unis ; on peut aussi saluer la manière dont l'Union européenne a répondu à la crise économique et au risque de crise sociale en acceptant de gonfler encore ses dispositifs de protection.

Le plan de relance européen sera-t-il suffisant ? Nous verrons ce qu'il en est, au fur et à mesure du décaissement. Je vous donne rendez-vous en septembre : en fonction de la situation économique, du rebond que l'économie aura ou non connu pendant l'été, nous saurons s'il faut des financements supplémentaires pour les plans de relance nationaux et pour des plans de relance européens dans un cadre coordonné. La priorité absolue, aujourd'hui, c'est la bonne exécution, à savoir le décaissement des plans de relance nationaux – en France, cela se passe très bien – et l'adoption des mesures qui permettront de décaisser le financement européen. Je rappelle que dix-sept États ont déjà ratifié la décision ressources propres, mais que tant que les dix autres ne l'auront pas fait, il n'y aura pas d'argent européen. Nous ferons le point en septembre sur le décaissement du plan de relance national, sur la situation économique du continent européen et la nécessité ou non de compléter les plans de relance, pour s'assurer que nous continuons de soutenir la croissance.

On nous dit que les États-Unis sont allés plus vite que nous pour adopter leur plan de relance, et c'est vrai. Autant je conteste le fait que les États-Unis auraient mis beaucoup plus dans la relance que le continent européen, autant c'est un fait qu'ils ont été plus rapides dans la prise de décision. Pourquoi ? Tout simplement parce que les États-Unis ont adopté leur plan de relance dans le cadre d'une architecture financière existante. Le plan de relance européen, lui, est fondé sur une architecture radicalement nouvelle : c'est ce qui explique qu'il faille un peu de temps. Ce que j'espère, c'est qu'une fois que nous aurons définitivement adopté cette architecture financière, elle pourra être opérationnelle beaucoup plus rapidement. Je suis comme vous : je souhaite que les choses aillent plus vite et que l'Union européenne soit plus réactive.

Ce plan de relance est financé par de la dette commune. Nous ne nous sommes appuyés ni sur le budget européen ni sur les ressources des États membres ; nous avons décidé que nous allions lever de la dette en commun, ce que nous n'avions jamais fait dans le passé. Nous créons donc un nouvel instrument financier : il faut s'imaginer la révolution financière que cela représente pour les États européens ! Plutôt que de laisser chacun se débrouiller, nous acceptons, par solidarité, de partager nos niveaux de taux d'intérêt, de lever sur les marchés une dette en commun, avec un taux qui mélangera le taux allemand, négatif, et les taux espagnol ou italien, positifs. Cette architecture financière est nouvelle et complexe, cela prend donc plus de temps.

Sur ces 790 milliards d'euros, 390 milliards iront à des prêts, 312 milliards à des subventions, et le reste, à un ajustement des fonds structurels.

Une fois cette nouvelle architecture financière adoptée, elle doit être ratifiée par les Vingt-Sept. C'est la première étape, celle qui prend le plus de temps. La ratification de la décision ressources propres a pour effet d'autoriser les États membres à dépasser le plafond de dépenses européen qu'ils ont voté. Cela suscite des débats dans plusieurs États : en Pologne, en Finlande, en Hongrie, certains affirment ne pas souhaiter bénéficier de la solidarité européenne et vouloir s'en sortir seuls. Il y a, dans ces arguments, beaucoup de récupération politique, car personne ne peut se débrouiller seul face à la crise. À ce titre, le soutien européen est utile.

Dix-sept États ont déjà ratifié la décision ; tant que les dix autres ne l'auront pas fait, nous ne pourrons pas disposer de l'argent européen. C'est pourquoi j'ai fixé la date limite au mois de septembre, tout en espérant que cela interviendra plus tôt. La décision ressources propres permettra à la Commission européenne de lever l'argent sur les marchés financiers au titre de la dette commune. Si la ratification intervenait trop tard, au début de l'été ou à la mi-juillet, les marchés ne seraient pas assez profonds pour permettre de lever de la dette à ce moment-là : cela reporterait les opérations à septembre. Cela n'est toutefois pas l'hypothèse la plus probable. J'invite tous les États membres à ratifier la décision ressources propres le plus rapidement possible pour que la Commission européenne puisse lever les fonds nécessaires et attribuer aux États, dans le courant de l'été, l'argent du plan de relance européen, selon la clé de répartition que je vous ai indiquée. Voilà la première étape, dont l'architecture est déjà complexe.

La deuxième étape sera la conclusion d'un accord sur les ressources propres à partir desquelles l'Union européenne pourra se financer. Si nous n'y parvenions pas, cela obligerait les nations – qui devront, en tout état de cause, rembourser les 750 milliards d'euros de 2028 à 2058 – à augmenter leur contribution, faute de ressources propres. Ce serait possible, puisque chacune d'entre elles aura ratifié la décision l'autorisant à dépasser le plafond de dépenses, mais je ne privilégie évidemment pas ce cas de figure. Nous allons faire le maximum pour parvenir à cet accord avant la date butoir, en janvier 2023. Il renforcerait considérablement l'architecture financière et la souveraineté politique de l'Union européenne.

Outre la contribution fondée sur les déchets plastique non recyclés au 1er janvier 2021, les nouvelles ressources propres seraient constituées du système communautaire d'échange de quotas d'émission (ETS), du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, de la taxe sur les activités digitales ou encore de la taxe sur les transactions financières. Sur chacun de ces sujets, les discussions avancent. Nous voulons faire de ce débat un des éléments importants de la présidence française de l'Union européenne, à partir de janvier 2022. On critique souvent la position de la France mais je rappelle que notre pays, contrairement à d'autres États européens, a déjà institué une taxe sur les transactions financières. Sur la taxation digitale, nous avançons, dans le cadre de l'OCDE. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, quant à lui, fait l'objet de débats intenses. Vous connaissez ma position : nous ne pouvons pas engager des milliards d'euros pour décarboner notre économie, en particulier nos aciéries, si, dans le même temps, nous réimportons de l'acier produit en Chine ou en Turquie dans des conditions environnementales insatisfaisantes. Ce sont des enjeux majeurs, où la question des ressources propres rencontre celle des politiques publiques environnementales. J'espère que la nouvelle architecture financière sera adoptée dans le courant de l'année 2022.

Avec le plan de relance, l'Union européenne franchit un pas historique, non seulement parce qu'elle engage 750 milliards d'euros pour relancer l'économie, mais aussi en raison des modalités de financement du plan : l'émission de dette en commun sera remboursée par des ressources propres nouvelles correspondant à des politiques publiques que nous menons, notamment en faveur de la réduction des émissions de CO2. Il est vrai que c'est complexe, que cela prend du temps, mais cela permettra aussi de franchir une étape majeure dans l'affirmation de la souveraineté européenne.

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