La commission entend MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, et Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, sur le plan national pour la reprise et la résilience (PNRR) de la France.
Je salue la présidente de la commission des affaires européennes, Sabine Thillaye, cette audition étant commune à nos deux commissions, et je remercie les ministres Bruno Le Maire et Olivier Dussopt d'avoir répondu à notre demande et de venir nous exposer le projet de plan national de relance et de résilience (PNRR) qui doit être présenté très prochainement à la Commission européenne. Pour un sujet d'une telle importance, nous aurions pu imaginer un débat dans l'hémicycle, mais le calendrier parlementaire et la suspension de nos travaux pendant deux semaines au mois d'avril ne le permettaient guère.
Le plan national que chaque État établit pour faire face à la crise est un préalable nécessaire à l'obtention des fonds européens, qui devraient se monter pour notre pays à un peu plus de 40 milliards d'euros, soit un montant très substantiel, qui représente 40 % du financement de notre plan France relance. Les plans de relance nationaux doivent répondre à un certain nombre d'exigences posées par l'Union européenne dans le règlement du Conseil européen de février 2021 établissant la facilité pour la reprise et la résilience. C'est pourquoi débattre du plan qui va être présenté à Bruxelles n'est pas refaire le débat de l'automne dernier sur le plan de relance français, même s'il y a beaucoup de similitudes, mais s'interroger sur les réformes structurelles inspirées des recommandations pays par pays formulées par la Commission européenne que le Gouvernement souhaite mener, ou encore sur l'allocation des fonds européens aux différentes actions du plan France relance. Il est aussi particulièrement intéressant de vous entendre, monsieur le ministre de l'économie, sur la complicité existant entre la France et l'Allemagne – vous avez eu ce matin encore un entretien avec votre homologue allemand – et leurs convergences sur plusieurs dossiers, notamment concernant l'hydrogène.
Une double frustration toutefois : nos commissaires n'ont eu connaissance de votre plan que dans l'après-midi – c'est la règle de l'exercice, puisque nous collons à l'actualité et que vous ne l'avez présenté qu'aujourd'hui – et cette audition ne durera que peu de temps, puisque vous êtes attendus dans une heure environ au Sénat. Il me semblait néanmoins très important de vous entendre dès maintenant.
Je me joins aux remerciements d'Éric Woerth. Il est précieux de pouvoir vous entendre avant le 30 avril, jour prévu pour l'envoi à Bruxelles des plans nationaux, même si nous savons d'ores et déjà que plusieurs pays ne seront pas en mesure de respecter cette échéance, devenue indicative au fil des négociations. Ce plan engage notre pays pour des investissements et réformes allant jusqu'en 2026, soit la quasi-totalité du prochain quinquennat, et pour des montants très importants, une quarantaine de milliards d'euros. L'association du Parlement paraît donc indispensable. J'aurais moi aussi préféré qu'elle se traduise par un débat en séance publique, comme dans d'autres États membres.
La réussite de ce plan de relance ne constitue pas seulement un enjeu pour la relance économique à court et moyen termes mais pour le fonctionnement de l'Union européenne à plus long terme. En cas de succès, nous pourrons nous appuyer sur ce précédent pour construire l'instrument budgétaire européen plus pérenne que nous appelons de nos vœux.
Comme nous disposons de peu de temps, je ne poserai que quelques questions précises. Les plans nationaux doivent décrire précisément un ensemble cohérent de réformes et d'investissements et répondre aux défis recensés dans les recommandations par pays adressées dans le cadre du semestre européen. Au-delà des réformes techniques destinées à renforcer l'efficacité des investissements, quelles sont les réformes plus structurelles prévues par notre plan ? Dans quelle mesure répondent-elles aux recommandations adressées à la France ?
Quelle est la proportion des dépenses climatiques et numériques dans le plan français ? La méthodologie prévue dans le règlement établissant la facilité étant assez complexe, a-t-elle soulevé des difficultés concernant le chiffrage de ces dépenses ? Enfin, comment comptez-vous assurer la visibilité de l'origine européenne des fonds dans les territoires qui en bénéficieront ? C'est très important, du point de vue local – les bénéficiaires d'un investissement doivent savoir qu'il est financé par le plan de relance européen – comme national – pour savoir précisément où va l'argent de l'Union européenne.
Puisque nous sommes tenus d'être à dix-neuf heures quinze au Sénat, ma présentation sera rapide. Pourquoi un plan de relance européen ? Pour une raison simple : face à la crise économique la plus grave depuis 1929, nous l'avons évaluée ensemble et nous avons réagi avec des instruments communs. Je tiens à noter que c'est la première fois dans l'histoire européenne que, face à une crise économique, nous mettons en place exactement les mêmes instruments, notamment la France et l'Allemagne : prêts garantis par l'État, fonds de solidarité pour les entreprises, exonérations de charges et travail partiel. La réponse a été la même. Il est désormais temps de relancer l'activité économique. Là aussi, je note un consensus : nous sommes tous d'accord pour dire que la priorité va à la relance de l'activité économique et que le rétablissement des comptes publics, qui est évidemment nécessaire, ne doit intervenir que dans un second temps, ce qui constitue une vraie différence de méthode et de calendrier par rapport à la crise de 2009, dont nous avons tiré les leçons.
Les plans de relance nationaux s'articulent avec le plan de relance européen. Nous avons 100 milliards d'euros de plan de relance français, dont 40 milliards sont apportés par les financements européens. Précisons immédiatement que ces 40 milliards sont des subventions : de l'argent apporté directement par l'Union européenne à la nation française. Ils répondent à une clé de répartition définie en fonction des niveaux d'activité des années précédentes. Cela explique, par exemple, que l'Italie, qui avait une croissance plus faible que la nôtre et qui a été touchée plus durement que nous au début de la crise, ait, à PNB quasiment équivalent, un montant de subventions plus important, avec 67 milliards d'euros. Cela est lié à la méthode de calcul, qui tient compte du PNB et de la gravité de la crise sanitaire. Des réévaluations seront possibles au fil du déboursement du plan de relance européen, en fonction de l'évolution de la crise sanitaire.
Deuxième remarque technique : contrairement à d'autres pays comme l'Italie, nous avons fait le choix de ne pas demander de prêts européens mais seulement des subventions. L'Allemagne a fait de même, et disposera d'un peu plus de 20 milliards d'euros. Nous estimons que les taux d'intérêt à dix ans ne justifient pas que nous recourions à des prêts européens : l'Allemagne emprunte à des taux négatifs et nous empruntons, quant à nous, à un taux proche de zéro, voire négatif, alors que l'Italie emprunte à 0,85 %.
Comment ces 40 milliards d'euros seront-ils employés ? Nous avons fait le choix d'investir massivement dans l'écologie, puisque la moitié des subventions européennes ira à la transition écologique, afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport aux années 1990 d'ici à 2030. Ce volet comprendra aussi la rénovation énergétique des bâtiments, MaPrimeRénov', la lutte contre l'artificialisation des sols, la défense de la biodiversité ou le financement de notre plan hydrogène, qui est l'un des éléments structurants de nos choix technologiques d'avenir. 20 milliards d'euros iront à la transition écologique : c'est un choix politique lourd. Un autre gros quart des fonds ira à la digitalisation. La France a pris du retard en matière de digitalisation de ses PME et de son industrie notamment. Nous allons investir dans le cloud et dans cette transformation numérique des PME, laquelle, soit dit en passant, est l'un des programmes du plan de relance qui marchent le mieux : alors que nous avions prévu 280 millions d'euros pour le crédit d'impôt que nous avons instauré, nous allons probablement dépenser près d'un milliard d'euros. C'est dire qu'il y avait un vrai appétit pour cette question. Le troisième volet a trait à la cohésion sociale et territoriale, avec notamment des mesures pour les jeunes, les primes à l'embauche ou celles dédiées à l'apprentissage.
Quand toucherons-nous ces 40 milliards d'euros ? Je souhaite que ce soit au plus tard en septembre. Nous commencerons par percevoir 13 % du montant total, c'est-à-dire 5,1 milliards d'euros. J'ai fixé la date limite au début du mois de septembre. Si les subventions arrivent plus tôt, tant mieux, ce sera le signe de la bonne exécution du plan européen.
Enfin, quelles réformes avons-nous inscrites à l'agenda du plan de relance européen ? D'abord, toutes les propositions que nous faisons sont conformes aux choix politiques présentés par le Président de la République lors de son élection en 2017. La Commission européenne ne vient donc pas nous imposer de nouvelles réformes pour bénéficier des 40 milliards d'euros, que cela soit clair. Les réformes que nous avons indiquées dans nos fameux milestones, ces étapes que la France se propose d'accomplir, ont été validées par le peuple français dans le cadre de l'élection présidentielle.
Par exemple, comme le montre le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, la volonté d'accélérer la lutte contre le changement climatique faisait partie de notre projet politique. Il en est de même de la réforme de l'assurance chômage, qui a été votée avant l'adoption du plan de relance européen, de la meilleure gouvernance des finances publiques et de la revue de l'efficacité de la dépense publique. Je me suis suffisamment exprimé à ce propos depuis plus de quatre ans pour que ces réformes ne soient pas imputées au plan de relance européen.
Je tiens à préciser que, si la réforme des retraites, techniquement, ne figure pas dans les rendez-vous que nous avons indiqués à nos partenaires européens, je la crois nécessaire pour assurer l'équilibre du système de retraites par répartition et, surtout, la prospérité des générations à venir.
Enfin, j'ai présenté aujourd'hui ce plan – que nous déposerons formellement demain devant la Commission européenne – au même moment où Olaf Scholz, le vice-chancelier allemand et ministre fédéral des finances déposera le plan allemand. En effet, nous avons travaillé main dans la main avec l'Allemagne depuis le début de cette crise : l'idée même d'un plan de relance est née de la coordination franco-allemande : les premières décisions prises par les ministres des finances au mois de mars et d'avril l'ont été sous notre impulsion ; la décision d'émettre des dettes en commun – qui nous permet de bénéficier de ces financements – a été prise par le Président de la République et la Chancelière. À mes yeux, ce plan de relance européen est l'aboutissement d'une coopération franco-allemande très étroite et efficace depuis le début de cette crise.
Compte tenu du temps qui nous est imparti, M. le ministre délégué Olivier Dussopt souhaite laisser la parole aux parlementaires. Je commencerai donc par poser une « question catastrophe » : que se passerait-il faute d'accord sur les ressources propres ? Comment le remboursement de l'emprunt européen pourrait-il être assuré ? Et qu'en est-il, parmi ces ressources propres, de la plus concrète, celle déjà instituée qui taxe les déchets d'emballages en plastique ?
Comment s'articulent les plans de relance et les PIIEC – projets importants d'intérêt européen commun – sur l'hydrogène, les batteries ou le cloud par exemple, qui sont largement partagés par l'Allemagne et d'autres États ?
Par ailleurs, les réformes structurelles évoquées relèvent d'un inventaire à la Prévert. Certaines d'entre elles sont d'ailleurs structurelles en dépenses comme, par exemple, la loi sur le grand âge et l'autonomie. D'autres seront peut-être moins structurantes qu'il n'y paraît, comme la réforme de la fonction publique, essentiellement axée sur la formation, même si la suppression à terme de quelques grands corps est annoncée et que les élèves cadres de la fonction publique suivront un cursus commun : elle ne comprend rien sur le statut des fonctionnaires, le contrat, les modalités d'embauche ou la gestion des ressources humaines.
Enfin, ce plan mentionne à peine la question des retraites, au détour d'une page. Je connais le volontarisme dont vous faites preuve en la matière, Monsieur le ministre, et vous avez raison : la poursuite d'une réforme structurelle des retraites s'impose compte tenu de leur poids dans notre PIB, mais est-elle possible ? Je ne le sais pas, et ce n'est pas vraiment à moi de le dire, mais je suis absolument convaincu de sa nécessité.
Le plan de relance européen avance et la perspective de son entrée en vigueur semble maintenant se concrétiser, ce dont je me réjouis.
Où en sont les discussions européennes sur les nouvelles recettes, en particulier fiscales, et donc sur les ressources propres ? Quelles sont vos priorités en la matière, notamment dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne ?
Le plan de relance, outre les subventions, prévoit également des prêts, à hauteur d'un peu moins de la moitié de l'emprunt levé. La France en bénéficiera-t-elle, directement ou indirectement ? Si oui, pourriez-vous nous en dire plus ?
La semaine dernière, la Cour constitutionnelle allemande a rejeté un recours contre le plan de relance européen, ce qui lève un obstacle, mais une dizaine d'États ne l'ont toujours pas ratifié. Qu'en est-il du calendrier de ratification de l'ensemble des États membres et des conséquences sur les retards pris dans l'exécution, notamment par rapport à l'équilibre défini par la loi de finances initiale pour 2021?
Enfin, avez-vous pu avoir des échanges avec la Commission européenne et d'autres États membres avant la transmission du PNRR ? Peut-on anticiper d'éventuelles remarques de la Commission sur la singularité de l'économie générale du plan français ?
Nous nous réjouissons de connaître la déclinaison du plan de relance, dont il faut tout de même rappeler qu'il est issu d'une mutualisation européenne de 750 milliards d'euros de dette : c'est historique et, il y a deux ans encore, c'était inenvisageable ! Et, au-delà du financement, ce plan prévoit des projets de coopération dans différents secteurs, comme l'hydrogène, les télécommunications ou les batteries.
Comme le président Éric Woerth et le rapporteur général Laurent Saint-Martin, nous nous interrogeons sur la ratification de la décision concernant les ressources propres : où en est-on ? Que se passera-t-il en cas de problème ? Le retard pris sera-t-il reporté sur les délais de remboursement du capital ?
Alors que la France s'apprête à présider l'Union européenne, quelles pourraient être les recettes issues des deux ressources propres qui paraissent les plus susceptibles d'être adoptées, les quotas d'émissions polluantes (ETS, Emission trading scheme ) et le mécanisme de compensation carbone aux frontières de l'Union ? Quand un accord sera-t-il conclu ?
Enfin, ce plan peut-il être l'occasion d'envisager la pérennisation du dispositif européen de sur-assurance chômage SURE ( Support to mitigate unemployment risks in an emergency ) qui a récemment fait l'objet d'une recapitalisation, signe du succès qu'il rencontre ?
J'ai bien compris que les 5,1 premiers milliards d'euros ne seront probablement pas versés avant le mois de septembre alors qu'ils devaient l'être au début du mois de juillet. Pourquoi un tel retard ? Nous ne sommes qu'en avril, nous pourrions espérer une moindre lenteur bureaucratique au regard des enjeux.
Nous nous réjouissons de ce PNRR mais quelles garanties avez-vous prises pour éviter des difficultés opérationnelles qui affecteraient l'efficacité de la relance ?
Le plan de relance de la France sera présenté à Bruxelles demain, ce qui constitue une étape importante pour la réception des 40 milliards d'euros. Pour être validé, le PNRR doit satisfaire à plusieurs conditions, dont un minimum de 37 % d'investissements dans la transition écologique et 20 % dans le numérique, et des engagements sur des réformes réclamées depuis longtemps par l'Union européenne. Avec les dépenses orientées vers la transition écologique, en particulier pour la rénovation des logements, la mobilité propre ou l'hydrogène, les deux premières conditions ne semblent pas soulever de problèmes particuliers. De plus, les réformes entreprises depuis le début de notre mandat – prochaine entrée en vigueur de la réforme de l'assurance chômage, mesures de simplification pour les entreprises et l'administration, baisse des impôts de production, effort de maîtrise de la dépense publique pour les années à venir – devraient être autant de garanties pour la Commission européenne.
Je m'interroge toutefois sur cet épineux dossier qu'est la réforme du système de retraites, alors que Bruxelles demande l'uniformisation progressive des règles des différents régimes, comme le recommandait d'ailleurs le Conseil européen dans son avis de 2019 sur le programme de stabilité français. Cette réforme a été engagée puis abandonnée en raison de la crise inattendue : pensez-vous que cela suffira, a fortiori alors que les crises risquent de durer ?
Alors que les entreprises ont besoin de renforcer leurs capitaux stables, pourquoi la part consacrée à leur financement ne s'élève-t-elle qu'à 300 millions d'euros, soit 0,75 % du montant total de l'aide à la relance ?
Enfin, ne serait-il pas opportun de mettre en avant la réforme du statut des entrepreneurs individuels pour montrer combien la France continue d'avancer, de réformer et de se débarrasser des contraintes qui, pendant trop longtemps, l'ont ralentie ?
À la veille de la présentation du PNRR à l'Union européenne, j'aimerais revenir sur plusieurs points qui me préoccupent et connaître votre position.
Le document que vous nous avez remis présente les réformes que le Gouvernement compte mener en échange des 40 milliards d'euros du plan européen, qui financeront 40 % de notre propre plan de relance.
Nos ambitions me semblent trop limitées, d'abord financièrement. On est très loin du plan de relance américain, qui représente 25 % du PIB des États-Unis, contre 5 % chez nous. Nos ambitions sont également limitées en termes d'équité : aux États-Unis, le niveau de l'impôt sur les sociétés a été relevé – il est désormais supérieur au nôtre – afin que les plus grandes fortunes soient mises à contribution. Le plan américain, par ailleurs, est essentiellement axé sur les ménages et il introduit des avancées sociales : des chèques sont directement versés aux foyers, on investit dans les infrastructures… Comment expliquer cet écart entre les volumes financiers mis à disposition aux États-Unis et en Europe pour faire face à la crise ? Comment expliquer ces divergences politiques ? Il est indiqué dans le document que les mesures ciblées sur la demande pourraient être le moteur de la relance sur la période 2020-2022. Pourquoi, dès lors, faire preuve d'une telle timidité sur les politiques de la demande ?
J'en viens aux réformes structurelles. Vous dites que la réforme des retraites n'en fait pas partie, en tant que telle, mais vous ne cessez de dire qu'il faut la mener à son terme. Allez-vous, oui ou non, aller au bout de cette réforme d'ici la fin du quinquennat ? Vous n'avez rien dit non plus d'un éventuel projet de loi sur le grand âge.
Enfin, le fait que certains États membres n'aient pas encore ratifié le plan européen ne vous inquiète-t-il pas ? La Pologne, faute de coalition, a par exemple dû repousser de deux semaines cette ratification.
Comme certains collègues, je regrette qu'il faille attendre le mois de septembre pour toucher le premier euro et je m'interroge sur le dimensionnement de notre plan de relance, mais puisque ces questions ont déjà été évoquées, je voudrais me concentrer sur trois points très précis.
Notre pays est très en retard en matière de recyclage du plastique. Or l'Union européenne est sur le point d'introduire une taxe qui va nous coûter un milliard d'euros par an. Le plan de relance contient-il un volet qui nous permettrait de rattraper notre retard en matière de collecte et de tri des déchets ?
Vous avez évoqué le volet numérique, qui sera important. Vu les difficultés que nos établissements scolaires, nos collèges et nos lycées ont rencontrées, je souhaiterais savoir si vous prévoyez d'équiper les établissements et les élèves pour que tout le monde ait réellement accès au numérique.
Enfin, que vous comptez faire pour attirer les financements privés, afin de créer un effet de levier ?
Les 40 milliards d'euros de subventions européennes viennent-ils en addition des crédits déjà ouverts ou financent-ils des projets déjà décidés ? Autrement dit, visent-ils simplement à réduire le besoin de financement de l'État ?
Pourquoi seuls 14 % de ces 40 milliards – 5,2 milliards d'après le document que vous nous avez transmis – seront-ils affectés à la compétitivité des entreprises françaises ?
Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur la question des ressources propres ? Parmi les pistes qui ont été évoquées, lesquelles ont une chance d'aboutir ?
Les contreparties qui sont exigées en échange des 40 milliards sont assez mal venues. Je pense en particulier à la réforme de l'assurance chômage, qui survient en pleine crise sanitaire et à la veille d'une crise sociale, mais aussi aux fameuses « réformes structurelles ». Vous auriez pu faire de la dépense publique un levier de la relance. Vous n'avez pas fait ce choix ; en tout cas, l'Europe vous en impose un autre et c'est dommage.
Ma question concerne les ressources propres de l'Union européenne, qui doivent lui permettre de rembourser son emprunt et de financer son plan de relance. On attend 7 milliards d'euros de la taxe sur le plastique, mais j'aimerais savoir où en sont les autres pistes qui avaient été évoquées, comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ou la taxe sur les géants du numérique, les GAFA – je rappelle que leur taux d'imposition est de 9 %, contre 23 % pour les entreprises classiques. Des eurodéputés se sont par ailleurs prononcés en faveur de l'introduction d'une taxe de 0,1 % sur les transactions financières, qui pourrait rapporter 35 à 50 milliards d'euros. Où en sont ces différents projets ?
Je commencerai par les dernières questions qui m'ont été posées avant d'aborder, en bloc, celles qui concernent les ressources propres.
Les 40 milliards d'euros ont effectivement vocation à réduire les besoins de financement de l'État : ces subventions de l'Union européenne permettent de financer des dépenses publiques qui ne sont pas financées sur le budget de l'État. Cela ne nous a pas empêchés de commencer à développer le plan de relance. Nous l'avons fait selon un calendrier qui me semble être le bon et son exécution suit un rythme soutenu, puisque 30 milliards d'euros, soit près d'un tiers du plan de relance, sont déjà engagés dans un certain nombre de politiques publiques.
S'agissant des financements privés, je rappelle que nous avons introduit, il y a de cela plusieurs semaines, des prêts participatifs. Grâce à dix-huit compagnies d'assurance et à la Caisse des dépôts et consignations, nous avons déjà levé 11 des 20 milliards d'euros que nous souhaitons lever pour le financement des entreprises en quasi-fonds propres. C'est une réponse à la hauteur des enjeux.
La comparaison entre les plans de relance américain et européen revient sans cesse. Je ne vous cache pas que je la trouve très injuste et très décalée. Lorsque l'Union européenne a apporté un soutien massif aux salariés, à l'activité partielle, aux entreprises en difficulté, aux petits commerçants, aux artisans, aux TPE, personne n'a dit, aux États-Unis, que l'Europe faisait beaucoup mieux en matière de soutien aux entreprises et aux personnes en difficulté. Et pourtant, c'était le cas ! Une grande partie du plan Biden consiste à verser des chèques à des personnes qui ne bénéficient pas de l'assurance chômage ; il ne faut pas oublier que nous avons, nous, un dispositif de protection sociale très fort.
Considérer que les 1 900 milliards de dollars du plan américain ne sont destinés qu'à la relance est une erreur de jugement. En réalité, il s'agit aussi de financer des politiques sociales qui, sur le continent européen, existent déjà. Si l'on additionne le coût des systèmes sociaux européens, les sommes qui ont été dépensées pour protéger encore mieux nos concitoyens pendant la crise – je pense en particulier aux prêts garantis par l'État et à l'activité partielle – et le montant des investissements, on atteint des chiffres qui sont tout à fait comparables à ceux du plan de relance américain, de l'ordre de 20 à 25 % du PIB. Je suis stupéfait de voir autant d'admiration pour les États-Unis ; on peut aussi saluer la manière dont l'Union européenne a répondu à la crise économique et au risque de crise sociale en acceptant de gonfler encore ses dispositifs de protection.
Le plan de relance européen sera-t-il suffisant ? Nous verrons ce qu'il en est, au fur et à mesure du décaissement. Je vous donne rendez-vous en septembre : en fonction de la situation économique, du rebond que l'économie aura ou non connu pendant l'été, nous saurons s'il faut des financements supplémentaires pour les plans de relance nationaux et pour des plans de relance européens dans un cadre coordonné. La priorité absolue, aujourd'hui, c'est la bonne exécution, à savoir le décaissement des plans de relance nationaux – en France, cela se passe très bien – et l'adoption des mesures qui permettront de décaisser le financement européen. Je rappelle que dix-sept États ont déjà ratifié la décision ressources propres, mais que tant que les dix autres ne l'auront pas fait, il n'y aura pas d'argent européen. Nous ferons le point en septembre sur le décaissement du plan de relance national, sur la situation économique du continent européen et la nécessité ou non de compléter les plans de relance, pour s'assurer que nous continuons de soutenir la croissance.
On nous dit que les États-Unis sont allés plus vite que nous pour adopter leur plan de relance, et c'est vrai. Autant je conteste le fait que les États-Unis auraient mis beaucoup plus dans la relance que le continent européen, autant c'est un fait qu'ils ont été plus rapides dans la prise de décision. Pourquoi ? Tout simplement parce que les États-Unis ont adopté leur plan de relance dans le cadre d'une architecture financière existante. Le plan de relance européen, lui, est fondé sur une architecture radicalement nouvelle : c'est ce qui explique qu'il faille un peu de temps. Ce que j'espère, c'est qu'une fois que nous aurons définitivement adopté cette architecture financière, elle pourra être opérationnelle beaucoup plus rapidement. Je suis comme vous : je souhaite que les choses aillent plus vite et que l'Union européenne soit plus réactive.
Ce plan de relance est financé par de la dette commune. Nous ne nous sommes appuyés ni sur le budget européen ni sur les ressources des États membres ; nous avons décidé que nous allions lever de la dette en commun, ce que nous n'avions jamais fait dans le passé. Nous créons donc un nouvel instrument financier : il faut s'imaginer la révolution financière que cela représente pour les États européens ! Plutôt que de laisser chacun se débrouiller, nous acceptons, par solidarité, de partager nos niveaux de taux d'intérêt, de lever sur les marchés une dette en commun, avec un taux qui mélangera le taux allemand, négatif, et les taux espagnol ou italien, positifs. Cette architecture financière est nouvelle et complexe, cela prend donc plus de temps.
Sur ces 790 milliards d'euros, 390 milliards iront à des prêts, 312 milliards à des subventions, et le reste, à un ajustement des fonds structurels.
Une fois cette nouvelle architecture financière adoptée, elle doit être ratifiée par les Vingt-Sept. C'est la première étape, celle qui prend le plus de temps. La ratification de la décision ressources propres a pour effet d'autoriser les États membres à dépasser le plafond de dépenses européen qu'ils ont voté. Cela suscite des débats dans plusieurs États : en Pologne, en Finlande, en Hongrie, certains affirment ne pas souhaiter bénéficier de la solidarité européenne et vouloir s'en sortir seuls. Il y a, dans ces arguments, beaucoup de récupération politique, car personne ne peut se débrouiller seul face à la crise. À ce titre, le soutien européen est utile.
Dix-sept États ont déjà ratifié la décision ; tant que les dix autres ne l'auront pas fait, nous ne pourrons pas disposer de l'argent européen. C'est pourquoi j'ai fixé la date limite au mois de septembre, tout en espérant que cela interviendra plus tôt. La décision ressources propres permettra à la Commission européenne de lever l'argent sur les marchés financiers au titre de la dette commune. Si la ratification intervenait trop tard, au début de l'été ou à la mi-juillet, les marchés ne seraient pas assez profonds pour permettre de lever de la dette à ce moment-là : cela reporterait les opérations à septembre. Cela n'est toutefois pas l'hypothèse la plus probable. J'invite tous les États membres à ratifier la décision ressources propres le plus rapidement possible pour que la Commission européenne puisse lever les fonds nécessaires et attribuer aux États, dans le courant de l'été, l'argent du plan de relance européen, selon la clé de répartition que je vous ai indiquée. Voilà la première étape, dont l'architecture est déjà complexe.
La deuxième étape sera la conclusion d'un accord sur les ressources propres à partir desquelles l'Union européenne pourra se financer. Si nous n'y parvenions pas, cela obligerait les nations – qui devront, en tout état de cause, rembourser les 750 milliards d'euros de 2028 à 2058 – à augmenter leur contribution, faute de ressources propres. Ce serait possible, puisque chacune d'entre elles aura ratifié la décision l'autorisant à dépasser le plafond de dépenses, mais je ne privilégie évidemment pas ce cas de figure. Nous allons faire le maximum pour parvenir à cet accord avant la date butoir, en janvier 2023. Il renforcerait considérablement l'architecture financière et la souveraineté politique de l'Union européenne.
Outre la contribution fondée sur les déchets plastique non recyclés au 1er janvier 2021, les nouvelles ressources propres seraient constituées du système communautaire d'échange de quotas d'émission (ETS), du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, de la taxe sur les activités digitales ou encore de la taxe sur les transactions financières. Sur chacun de ces sujets, les discussions avancent. Nous voulons faire de ce débat un des éléments importants de la présidence française de l'Union européenne, à partir de janvier 2022. On critique souvent la position de la France mais je rappelle que notre pays, contrairement à d'autres États européens, a déjà institué une taxe sur les transactions financières. Sur la taxation digitale, nous avançons, dans le cadre de l'OCDE. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, quant à lui, fait l'objet de débats intenses. Vous connaissez ma position : nous ne pouvons pas engager des milliards d'euros pour décarboner notre économie, en particulier nos aciéries, si, dans le même temps, nous réimportons de l'acier produit en Chine ou en Turquie dans des conditions environnementales insatisfaisantes. Ce sont des enjeux majeurs, où la question des ressources propres rencontre celle des politiques publiques environnementales. J'espère que la nouvelle architecture financière sera adoptée dans le courant de l'année 2022.
Avec le plan de relance, l'Union européenne franchit un pas historique, non seulement parce qu'elle engage 750 milliards d'euros pour relancer l'économie, mais aussi en raison des modalités de financement du plan : l'émission de dette en commun sera remboursée par des ressources propres nouvelles correspondant à des politiques publiques que nous menons, notamment en faveur de la réduction des émissions de CO2. Il est vrai que c'est complexe, que cela prend du temps, mais cela permettra aussi de franchir une étape majeure dans l'affirmation de la souveraineté européenne.
J'ajoute que les 40 milliards d'euros de subventions européennes viendront bien en déduction des 100 milliards du plan de relance français et diminueront donc le besoin de financement de notre pays.
Le calendrier évoqué pour l'approbation de la décision ressources propres et le premier décaissement ne remet pas en cause l'application du plan de relance français. Les 100 milliards d'euros votés dans la loi de finances permettent de financer les actions prévues et de mettre en œuvre le plan de relance selon les échéances convenues. Plus vite nous recevrons l'argent européen, mieux ce sera pour les finances de l'État, mais un allongement du délai n'entraînerait pas de retard dans son application.
Il ne faut pas confondre les 40 milliards dont nous avons donné le détail, qui font l'objet d'une demande de remboursement auprès de l'Union européenne, avec les 100 milliards du plan de relance ou avec les mesures d'urgence que nous avons adoptées. La Commission soumet le déblocage des 40 milliards à un certain nombre de conditions. L'une d'elles est qu'au moins 37 % des actions présentées relèvent de la transition écologique. Or, un peu plus de 50 % des actions que nous soumettons à la Commission satisfont ce critère. De la même manière, 25 % des fonds consommés par le PNRR participeront à la transition numérique, alors que le seuil fixé par la Commission est de 20 %. Autrement dit, nous mettons le maximum de chances de notre côté. La ventilation que nous avons réalisée a pour objet de rendre les actions éligibles et de bénéficier du remboursement. Nos propositions ne sont pas exhaustives, car elles ne portent que sur 40 des 100 milliards que nous allons engager.
Je salue aussi l'avancée que représente le plan européen de 750 milliards d'euros. C'est un instrument novateur, qui offre un espoir nouveau d'intégration européenne. Nous verrons de quelle façon il sera appliqué. Le Gouvernement devra rendre compte deux fois par an de l'application du PNRR, et il incombera à la représentation nationale de jouer son rôle dans le contrôle de cette dépense. Cette dernière devra être pleinement efficace pour que les prévisions relatives au gain de croissance engendré par la relance soient les plus proches possible de la réalité.
Monsieur Bruno Le Maire, à la lecture de l'entretien croisé que vous avez donné, avec votre homologue Olaf Scholz, au Figaro – publié dans l'édition de ce matin – j'ai constaté qu'il y avait, entre vous, une grande convergence de vues. Cela étant, j'ai perçu une prudence assez forte de l'Allemagne, en particulier sur les critères du pacte de stabilité. À ce sujet, M. Scholz a été – c'est le moins qu'on puisse dire – évasif dans sa réponse, mais peut-être est-ce simplement l'expression de la culture germanique.
Messieurs les ministres, je vous remercie. Le Parlement suivra très étroitement l'application du plan de relance et sa déclinaison dans nos territoires. Il y a lieu de se réjouir de la qualité des relations franco-allemandes, illustrée par l'entretien de MM. Le Maire et Scholz. Cela étant, nous avons encore du chemin à parcourir ensemble. Je souhaiterais que nous ayons des échanges, au sein de la commission des affaires européennes ou de l'Assemblée parlementaire franco-allemande, pour en savoir un peu plus sur les projets franco-allemands dans le cloud, l'électronique et l'hydrogène, et voir de quelle manière ils peuvent s'articuler.