Je vous présenterai ce projet d'avis en trois parties : d'abord, la situation de la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire, la seule concernée par le projet de décret d'avance, et ses conséquences sur les mouvements de crédits ; ensuite, la conformité du projet de décret d'avance aux conditions fixées par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ; enfin, l'évolution passée et à venir, dans les prochaines semaines et les prochains mois, du fonds de solidarité et de l'activité partielle, les deux grands outils qui ont été au cœur de la politique de protection du Gouvernement en faveur de notre économie et de nos salariés.
Rappelons que la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire, dont Éric Woerth et moi-même sommes rapporteurs spéciaux, est la seule concernée par ce projet de décret. Le mouvement de crédit assez simple, présenté hier par le ministre, prévoit 6,7 milliards d'euros de crédits ouverts au titre du fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire et 500 millions au titre de la prise en charge de l'activité partielle, soit 7,2 milliards. Ce projet de décret tend, en contrepartie, à annuler 7,2 milliards pour le programme 358 Renforcement exceptionnel des participations financières de l'État dans le cadre de la crise sanitaire, doté, en 2020, dans le cadre de l'adoption des lois de finances rectificative (LRF), de 20 milliards. Par la suite, un report de crédits avait été effectué sur l'année 2021, dont il est proposé d'annuler 7,2 milliards afin de recréditer à la fois le fonds de solidarité et le programme destiné à la prise en charge de l'activité partielle.
Avant d'évoquer le décret d'avance proprement dit, je vous propose de regarder dans le rétroviseur l'exécution des programmes de l'année 2020 et les crédits ouverts en 2021, en loi de finances initiale et par les reports.
Pour 2020, les exécutions sont les suivantes : pour le programme 356relatif à l'activité partielle, 17,8 milliards ; pour le fonds de solidarité pour les entreprises, 11,8 milliards ; pour le programme 358, celui concerné par les annulations de crédit proposées aujourd'hui, 8,3 milliards, à quoi s'ajoutent les compensations à la sécurité sociale des allégements de prélèvement, à hauteur de 3,9 milliards. J'intègre ainsi le programme 360 dans ce regard arrière, concerné par les reports sur l'année 2021, car il existe deux séquences : l'exécution pour 2020, les reports des crédits pour 2021, y compris sur ce programme 360.
Par la loi de finances pour 2021, 5,6 milliards avaient été votés pour le fonds de solidarité, auxquels se sont ajoutés 14,5 milliards d'euros de reports issus de plusieurs programmes, et 528 millions d'euros pour le programme 366, relatif au matériel sanitaire. Les reports ont permis de financer à hauteur de 2,5 milliards la prise en charge de l'activité partielle d'urgence et à hauteur de 11,7 milliards le programme 358. En résumé, 20 milliards pour le programme 358 votés dans le projet de loi de finances rectificative pour 2020 deviennent, par voie de reports, 11,7 milliards, dont on retirerait 7,2 milliards par le décret d'avance.
Ainsi, avant le décret d'avance, la situation est la suivante : 2,5 milliards d'euros pour le programme 356, Prise en charge du dispositif exceptionnel de chômage partiel à la suite de la crise sanitaire, 20 milliards pour le programme 357, Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire, et 11,7 milliards pour le programme 358, Renforcement exceptionnel des participations financières de l'État dans le cadre de la crise sanitaire. Selon le système d'information Chorus, à la date du 11 mai, le niveau de consommation est d'environ 70 %, pour les programmes 358 et 357, ce qui justifie le caractère d'urgence et la nécessité du décret d'avance. Il ne reste plus, à ce jour, que 717 millions pour l'activité partielle et 6,2 milliards pour le fonds de solidarité, ce qui montre le rythme élevé de consommation des crédits ouverts et reportés. À l'inverse, le programme 358, concerné par les annulations, a fait l'objet d'un très faible décaissement qui peut s'expliquer par le fait que l'État n'a pas eu besoin de recapitaliser des entreprises à hauteur de ce qui avait été anticipé. La force de frappe des prêts garantis par l'État (PGE) a permis, pendant l'année 2020 et la première partie de l'année 2021, de maintenir la trésorerie des entreprises sans puiser dans ce matelas de sécurité qui avait été voté et qui permet aujourd'hui de financer les autres programmes.
Deux tableaux présentent les niveaux de crédits résultant directement du projet de décret d'avance. À gauche figurent l'ensemble des crédits ouverts pour les trois programmes par la loi de finances initiale, les reports et le décret d'avance ; à droite, les crédits disponibles, y compris après décret d'avance. On passe de l'un à l'autre en déduisant la consommation effective au 11 mai. Après la prise du décret d'avance, si vous acceptez cet avis, 1,2 milliard sera consacré à la prise en charge de l'activité partielle au titre de la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire.
Le ministre a précisé hier que le Gouvernement avait utilisé des crédits de la mission Plan de relance pour financer la prise en charge de l'activité partielle d'urgence. J'y reviendrai au moment du vote, parce qu'au sein de la commission, nous devrons nous assurer que les crédits de la mission Plan de relance ne sont pas utilisés pour la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire et seront compensés par la loi de finances rectificative. À ce 1,2 milliard s'ajoutent donc 12,9 milliards disponibles pour le fonds de solidarité et 3,9 milliards pour les participations financières de l'État.
En résumé, après le décret d'avance, seront disponibles : 1,2 milliard d'euros pour l'activité partielle au titre de la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire, 12,9 milliards pour le fonds de solidarité et 3,9 milliards pour les participations financières de l'État.
S'agissant de la conformité du projet de décret d'avance, les quatre conditions fixées par la LOLF sont remplies. La première, fixée par l'article 13 de la loi organique, est l'équilibre budgétaire. Il est facile de constater que l'annulation est strictement égale en montant aux deux ouvertures. Je rappelle que l'article 13 de la LOLF prévoit que les annulations et ouvertures de crédits doivent être inférieures respectivement à 1,5 % et à 1 % du montant des crédits ouverts par la loi de finances. C'est le cas, même si, reconnaissons-le, nous n'avons jamais connu un tel niveau de décret d'avance, puisque nous tangentons le 1 % : 0,933 % en autorisations d'engagement et 0,995 % en crédits de paiement. Historiquement, jamais un décret d'avance n'avait utilisé la possibilité d'ouvrir des crédits pour 1 % du budget initial. C'est un fusil à un coup, puisqu'après avoir pris ce décret d'avance, il ne sera plus possible d'en faire d'autres. C'est pourquoi nous aurons très probablement besoin d'un projet de loi de finances rectificative avant l'examen du projet de loi de finances pour 2022.
Par ce décret d'avance, nous autorisons le Gouvernement à utiliser toute la possibilité offerte par la loi organique. Le plafond est pratiquement saturé mais ce décret d'avance peut être qualifié de sincère : Il n'est pas destiné à combler des sous-budgétisations mais à recréditer des programmes d'urgence qui ont fait leurs preuves et qui, chacun en conviendra ici, restent nécessaires pour nos entreprises et nos salariés.
Je rappelle que ce pourcentage d'ouverture est calculé non seulement sur les crédits du budget général, mais aussi sur ceux des budgets annexes et des comptes spéciaux. Il est donc proposé d'ouvrir 7,2 milliards d'euros, au regard des un peu plus de 720 milliards du budget général de l'État, des budgets annexes et des comptes spéciaux.
La loi organique fixe une dernière condition, celle de l'urgence. Les crédits décaissés au mois de mai, pendant que nous parlons, résultent notamment des demandes faites au titre du mois d'avril. La temporalité de ces processus valide l'hypothèse d'une possible rupture de trésorerie en juin, avancée par le ministre, et remplit la condition d'urgence imposée par la LOLF.
Plus largement, ce décret d'avance doit être pris parce qu'au moment du vote de la loi de finances et des reports de crédits, n'apparaissait pas dans la vision collective de la crise la nécessité d'un troisième confinement et de la poursuite, au deuxième trimestre 2021, de mesures urgentes identiques ou encore augmentées. Malgré des reports très élevés, il est nécessaire de poursuivre l'augmentation des crédits.
L'évolution des caractéristiques du fonds de solidarité et de l'activité partielle explique la nécessité d'augmenter ces crédits.
Les évolutions importantes du fonds de solidarité en 2021 méritent d'être rappelées, puisque nous n'avons pas eu l'occasion de nous retrouver autour d'un texte sur ce sujet. Le coût de la couverture des charges fixes était estimé, le 14 janvier 2021, à 1,3 milliard. Des aides sectorielles spécifiques ont été décidées par le Gouvernement, notamment pour les stations de ski et les commerces des stations de ski, par le décret du 30 décembre dernier, pour 700 millions d'euros. Une mesure spécifique de 200 millions a été annoncée le 2 avril pour les commerçants affectés par la problématique des stocks saisonniers. Ces dispositions étant prolongées jusqu'au 30 juin, le « quoi qu'il en coûte » fait boule de neige et il est nécessaire de créditer le programme.
Concernant les évolutions de l'activité partielle, il convient de noter une aide exceptionnelle de prise en charge de l'équivalent de dix jours de congés payés, pour un coût estimé à environ 200 millions. La prime exceptionnelle de 900 euros aux « permittents », entre novembre et mars, pour un coût de 1,5 milliard, est également prolongée jusqu'au 30 juin. Tout cela justifie davantage de crédits budgétaires.
En soumettant cet avis à votre vote, j'appelle votre attention sur deux points, qu'il me semble important de signifier au Gouvernement.
En premier lieu, la situation financière du fonds de solidarité et de l'activité partielle reste incertaine, en sorte que, malgré ce décret d'avance, et nous en avons parlé ouvertement avec le ministre, un projet de loi de finances rectificative reste nécessaire à court terme. Celui-ci devra, ouvrir de nouveaux débats, nous l'espérons tous, sur l'après-crise sanitaire, en vue de faire évoluer les aides d'urgence, afin d'accompagner la sortie de crise pour nos entreprises et de préparer la suite. Il devra faire le point sur la situation financière des entreprises, des ménages, mais aussi des collectivités.
En second lieu, le PLFR doit être l'occasion de clarifier le financement de l'activité partielle d'urgence, imputé tantôt dans la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire, tantôt dans la mission Plan de relance. Il faudra veiller à ce que chaque euro du plan de relance soit affecté in fine aux objectifs et aux actions du plan de relance. Si, de façon temporaire, des crédits du plan de relance ont été utilisés pour la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire, cela doit être corrigé par un projet de loi de finances rectificative.
En conclusion, le projet de décret d'avance qui nous est soumis opérerait une simple réallocation de crédits au sein d'une même mission. C'est clair, lisible, et c'est important dans ces temps budgétairement très complexes. L'urgence de ces besoins me paraît avérée par un risque de rupture de trésorerie dès le mois de juin et de ne pas pouvoir financer les aides aux entreprises dans un moment critique. Les conditions fixées par la loi organique sont respectées. Si, en théorie, la prévision des besoins par le Gouvernement aurait pu être plus pertinente, en pratique, il est compréhensible que l'incertitude de la situation sanitaire que nous connaissons depuis des mois et depuis plus d'un an ait complexifié l'exercice d'anticipation. Au moment où nous votions, à l'automne, nul ne savait comment la situation sanitaire évoluerait. Tout cela justifie amplement que nous puissions collectivement donner un avis positif à ce projet de décret d'avance.