Intervention de Marlène Schiappa

Réunion du mardi 25 mai 2021 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Marlène Schiappa, ministre déléguée :

La mission Immigration, asile et intégration est une mission très importante, qui a été soumise à de nombreuses contraintes ces dernières années et dont les évolutions depuis le début du quinquennat montrent bien l'engagement du Gouvernement en matière de politique migratoire. L'année 2021 a encore confirmé cet engagement fort, malgré la crise sanitaire.

Je commencerai par répondre aux questions posées par les rapporteurs spéciaux, que je remercie pour la qualité des échanges que nous avons régulièrement sur ces sujets, puis je reviendrai sur la façon dont le ministère de l'intérieur a pu répondre à la crise sanitaire et assurer ses missions – je parlerai notamment de la réouverture des guichets après le confinement du printemps 2020.

Je tiens à souligner l'effort massif réalisé par le Gouvernement en faveur de la qualité des services des étrangers au sein des préfectures, dans un contexte migratoire tendu. Ces services restent une priorité du ministère. Des renforts sont régulièrement alloués, cela a été dit, pour leur permettre d'assurer leurs missions et de réduire les délais de traitement des dossiers – c'est une des réformes prioritaires du ministère de l'intérieur.

Depuis dix ans, l'ensemble des services des étrangers ont connu une hausse de 55 % de leurs effectifs, alors que les préfectures ont connu, quant à elles, une baisse de 25 % sur la même période. Près de 400 emplois ont été pérennisés dans ces services au cours des quatre dernières années. Ils ont également été soutenus tous les ans entre 2017 et 2019 par des vacations, dans le cadre de différents plans. Cet effort de long terme en faveur des services des étrangers dans les préfectures s'est ensuite vraiment accru en 2020.

L'activité au sein des préfectures a été totalement atypique, tant en matière d'asile et d'intégration que de lutte contre l'immigration irrégulière.

Environ 82 000 demandes, mineurs inclus mais hors réexamens, ont été enregistrées dans les guichets uniques. Le flux de la demande d'asile a diminué – de 41 % – pour la première fois depuis plusieurs années, en raison de la crise sanitaire. Quelque 95 600 demandes, mineurs et réexamens compris, ont été introduites auprès de l'OFPRA en 2020, ce qui représente une baisse de 28 %.

S'agissant de la lutte contre l'immigration irrégulière, la France a maintenu sa politique d'éloignement : 15 950 étrangers ont quitté le territoire national, dans le cadre d'éloignements et de départs volontaires, aidés ou spontanés. Par ailleurs, les non-admissions aux frontières ont augmenté de 40 % par rapport à 2019.

À la sortie du confinement, il a fallu faire face à un pic de demandes que le ministère de l'intérieur s'est mis en position d'instruire. L'effort de renforcement des effectifs par des vacations a été doublé en 2020 pour accompagner la sortie du confinement et la bosse d'activité de l'automne : 2 800 mois de vacations supplémentaires ont été attribués aux services des étrangers sur l'ensemble de l'année. Au total, ces services ont bénéficié de 7 320 mois de vacations l'année dernière. Un tiers des renforts contractuels du programme 354 ont été fléchés vers les services des étrangers.

Les préfectures et les services territoriaux de l'État assurent un rôle absolument central dans la politique d'accueil et de relocalisation des demandes d'asile. La France a tenu ses engagements, même dans le contexte exceptionnel de la crise sanitaire.

En ce qui concerne la délivrance des titres de séjour, l'asile ou l'acquisition de la nationalité française, nous ne nous limitons pas à une approche quantitative. Le Gouvernement travaille aussi à la qualité du service rendu : le ministère de l'intérieur mène une politique permettant de fluidifier et de moderniser les demandes de titres de séjour, notamment en améliorant l'accueil aux guichets des préfectures.

Une dizaine d'audits ont été menés à partir des retours d'expérience, et nous avons mis à la disposition des préfectures, fin 2019, un guide méthodologique destiné à les aider à optimiser leur organisation et leur fonctionnement. L'amélioration de l'accueil aux guichets passe également par une diminution du nombre de passages en préfecture grâce à la dématérialisation des démarches. C'est l'objectif du déploiement de l'ANEF, qui se poursuit et s'accélère en 2021 en ce qui concerne les demandes d'autorisation de travail, les demandes de renouvellement des titres de séjour pour les passeports talents, les changements de situation ou les duplicatas. Fin 2021, 80 % des demandes de titres de séjour seront prises en charge directement par l'ANEF, ce qui limitera l'obligation de se déplacer dans les préfectures et répondra à divers problèmes qui ont été évoqués.

Cette modernisation concernera progressivement tous les publics, à la fois pour simplifier les démarches des usagers mais aussi pour améliorer la lutte contre la fraude documentaire, qui est absolument fondamentale.

Notre politique d'immigration comprend aussi une politique d'intégration dont l'ambition a été revue à la hausse. Des mesures fortes ont été prises. Le parcours d'intégration a ainsi été refondu : le nombre d'heures de français et de formation civique a été doublé et nous avons considérablement renforcé les programmes permettant l'insertion professionnelle. Le ministère de l'intérieur soutient des actions en faveur des femmes, qui font l'objet d'une attention particulière. Les moyens budgétaires dédiés aux politiques d'intégration ont été portés en deux ans à des niveaux sans précédent dans l'histoire de notre pays.

Afin d'améliorer la qualité de l'accueil, le nouveau téléservice NATALI pour les demandes d'accès à la nationalité française sera ouvert à l'été 2021 s'agissant des plateformes pilotes et début 2022 pour les autres. Nous avons également pu concrétiser notre volonté de naturaliser les travailleurs dits covid de première ligne : environ 3 000 personnes ont été naturalisées à la suite de leur engagement dans la période de la pandémie.

La crise sanitaire a conduit les préfectures en général, et les bureaux en charge du séjour en particulier, à s'adapter. Le constat de leur capacité à se réinventer pour maintenir la qualité de l'accueil et du service est largement partagé. Tout cela s'inscrit dans la politique menée tout au long du quinquennat pour renforcer les services des préfectures chargés de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière et de l'intégration des étrangers en France.

J'en viens à l'impact budgétaire de la crise sanitaire. Du fait de celle-ci, mais également de reports pour rembourser les fonds européens, la mission Immigration, asile et intégration a été sous-exécutée : 161 millions d'euros n'ont pas été consommés. Cela représente 8 % des montants initialement prévus par la loi de finances pour 2020.

La crise sanitaire a eu plusieurs conséquences. Elle a, tout d'abord, retardé les effets attendus de plusieurs mesures adoptées en loi de finances en vue de réduire les délais de traitement des demandes d'asile. Je pense, par exemple, aux renforts de 200 ETP qui étaient attendus à l'OFPRA : ils n'ont pas pu être recrutés ou formés tout de suite. Cette mesure devrait, sauf circonstances exceptionnelles, avoir son plein effet en 2021. Par ailleurs, la crise sanitaire a fait baisser fortement les flux de demandes à instruire par les services du ministère de l'intérieur. Enfin, une partie de l'activité habituelle n'a pas pu avoir lieu, ce qui a conduit à limiter des dépenses initialement budgétées. Cela concerne, par exemple, les formations civiques et linguistiques de l'OFII, qui ont été arrêtées lors du premier confinement.

Le principe que nous avons retenu était que les moindres dépenses réalisées d'un côté devaient couvrir les postes pour lesquels, d'un autre côté, des dépenses supplémentaires étaient engagées.

Les dépenses liées à l'ADA n'ont pas connu la baisse attendue en 2020, pour plusieurs motifs. Il y a la question des effectifs que l'OFPRA devait recruter – mais c'est déjà en train d'être corrigé. D'autre part, les transferts de demandeurs d'asile au titre du protocole de Dublin ont été freinés par les différentes restrictions qui ont été instaurées aux frontières pour réduire la propagation de l'épidémie de covid-19.

La crise sanitaire a également contraint les opérateurs de l'accueil et de l'hébergement à engager des dépenses exceptionnelles pour protéger les personnes qu'elles hébergent et leurs salariés lors du premier confinement.

Troisièmement, le ministère de l'intérieur a été confronté à des dépenses exceptionnelles résultant de corrections financières décidées par la Commission interministérielle de coordination des contrôles, qui est chargée de l'audit des fonds européens en France, sur les comptes de 2018. Ces correctifs ont pu être financés par de moindres dépenses en 2020.

Quatrièmement, les moindres dépenses ont aussi permis de compenser la non-réception d'une partie des fonds de concours.

Mme Jacquier-Laforge m'a interrogée sur la baisse du nombre de signatures de contrats d'intégration républicaine. Je confirme cette diminution, qui est de 24 % ; il n'en demeure pas moins que 78 800 contrats ont été conclus.

Il n'y a pas de nouveau blocage des fonds européens, que nous avons reprogrammés sur d'autres dossiers. À l'issue des audits que j'évoquais précédemment, la commission interministérielle de coordination des contrôles a décidé de procéder à certaines corrections financières qui ont été déduites des remboursements de la Commission européenne au titre de l'année 2020. Aucun bénéficiaire n'a vu sa subvention diminuer, puisque ces corrections ont été prises en charge par des crédits nationaux votés en LFI : ainsi, 39 millions d'euros ont été prélevés sur la mission Immigration, asile et intégration en 2020. Les reports de crédits sur l'exercice 2021 permettent d'apurer ces opérations afin de limiter le risque de nouvelles corrections forfaitaires. L'autorité responsable a pris les mesures nécessaires et renforcé notamment ses moyens humains.

Au niveau central, nous n'avons pas une connaissance exhaustive des contentieux engagés par les étrangers pour obtenir un rendez-vous en préfecture, que ce soit en termes de volume, de nature ou de résultats, dans la mesure où les préfectures assurent elles-mêmes leur défense. Il s'agit essentiellement de référés « mesures utiles », le Conseil d'État ayant récemment jugé que cette voie juridictionnelle était adaptée. Par ailleurs, les statistiques relatives au contentieu des étrangers transmises par les préfectures ne nous permettent pas de distinguer ce contentieux très spécifique, plutôt récent, des autres dossiers. Le nombre de contentieux engagés dans le cadre de la procédure d'acquisition de la nationalité française reste très limité au regard du nombre de rendez-vous accordés et d'arrêtés pris chaque année. Certes, un collectif a engagé des recours contestant l'impossibilité d'accès aux guichets des préfectures, dans plusieurs départements, et l'obligation de passer par des modules de rendez-vous sur internet pour y être reçu ; il a obtenu gain de cause devant le tribunal administratif de Montreuil.

Pour remédier à cette situation, la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) et la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l'intérieur ont mis en place un accompagnement au déploiement de la dématérialisation à destination des préfectures. Chaque préfecture recevant du public étranger installera un point d'accès numérique permettant de mieux orienter les usagers dans leurs démarches.

Au sein du programme 216, les dépenses liées au contentieux des étrangers – procédures amiables comprises – se sont élevées à 17,24 millions d'euros en 2020 et à 20,73 millions d'euros en 2019. Il s'agit essentiellement de frais d'avocats. Le contentieux des étrangers représente 20 % de l'ensemble des dépenses de contentieux payées par le programme 216.

La question de M. Dumont relative à l'ADA est fondamentale ; elle montre bien la difficulté que nous avons à nous projeter vers l'année à venir et à évaluer le nombre de personnes qui auront recours à l'allocation. L'ADA a été budgétée au meilleur niveau possible : alors que la prévision la plus récente, qui date du mois de mai, table sur une dépense de 461 millions d'euros, 455 millions avaient été votés en loi de finances ; l'écart pourra être comblé sans difficulté par redéploiement au sein de notre enveloppe budgétaire.

Cette prévision, que nous essayons toujours d'établir au plus juste, s'appuie sur trois éléments.

Premièrement, elle tient compte d'une reprise modérée des flux migratoires. Nous prévoyons ainsi une hausse de 56 % des premières demandes en guichet unique par rapport à 2020. Concrètement, nous faisons l'hypothèse que 127 600 premières demandes d'asile – hors réexamen et mineurs inclus – seraient déposées en 2021, contre 81 700 en 2020 et 138 400 en 2019. Ce sont des chiffres que je vous livre en toute transparence.

Deuxièmement, cette prévision tient compte du contexte actuel et des restrictions liées à la pandémie de covid-19 au niveau des frontières. Ainsi, nous prévoyons une baisse du taux de transfert dans le cadre du protocole de Dublin, car nous convenons tous qu'il sera moins facile de transférer les demandeurs d'asile vers l'État responsable du traitement de leur demande. Nous intégrons également le taux de décision de l'OFPRA, dont nous anticipons qu'il sera moindre que prévu : dans l'attente d'une décision, les demandeurs d'asile resteront probablement plus longtemps dans notre dispositif.

Troisièmement, cette prévision tient compte de la décision rendue par le Conseil d'État le 12 mars 2021, qui oblige l'État à offrir aux demandeurs d'asile à Mayotte des conditions matérielles d'accueil adaptées.

Le Brexit a évidemment nécessité un renfort de policiers et de gendarmes important. Le ministre de l'intérieur s'entretient régulièrement avec son homologue britannique, et nous discutons de tous ces sujets avec les autorités du Royaume-Uni.

S'agissant enfin de la prévision budgétaire pour l'année prochaine, je renvoie la question à l'examen du projet de loi de finances pour 2022 : c'est à ce moment que nous aurons l'occasion d'en débattre tous ensemble.

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