Intervention de Aude Bono-Vandorme

Réunion du mardi 25 mai 2021 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAude Bono-Vandorme, rapporteure spéciale (Budget opérationnel de la défense) :

À titre de rappel, le rapport spécial consacré au budget opérationnel de la défense rassemble deux des quatre programmes de la mission Défense : le programme 178 Préparation et emploi des forces et le programme 212 Soutien de la politique de la défense. Celui-ci rassemble les fonctions de direction et de soutien. Il comporte en particulier l'ensemble des crédits de personnel de la mission.

J'ai souhaité, cette année, m'intéresser à la préparation opérationnelle des armées, activité essentielle qui doit nous permettre d'acquérir la supériorité militaire dans les conflits où nos armées sont engagées. Avant de m'attacher à cet enjeu, j'aborderai l'exécution budgétaire de l'année 2020.

Une nouvelle fois, et notre expérience nous montre que c'est suffisamment rare pour être salué, les ouvertures de crédits respectaient les trajectoires de la loi de programmation militaire. Pour les programmes 178 et 212, les crédits de paiement (CP) progressaient respectivement de 4 % et 0,4 % entre 2019 et 2020, pour atteindre 10,2 et 22,2 milliards d'euros. Les autorisations d'engagement (AE) croissaient de 8,4 % pour le programme 178 et régressaient de 6 % pour le programme 212, en raison principalement de mesures de périmètre ; à la suite de ces évolutions, elles atteignaient 16,5 et 22,2 milliards d'euros.

L'exécution, quant à elle, peut être considérée comme une réelle réussite compte tenu du contexte de crise sanitaire, à l'image de la capacité des armées à continuer d'accomplir leurs missions – et même davantage – durant cette année.

Pour le programme 178, la principale tension en exécution réside dans une sous-consommation des AE. Celles-ci ont été exécutées à hauteur de 72 % des ouvertures, en raison du report à 2021 de la passation de contrats majeurs de maintien en condition opérationnelle des équipements. Ce report est le fait de retards pris dans des négociations hautement complexes, dans un contexte de crise, peu propice. Pour le programme 212, l'exécution est conforme à l'autorisation : 99 % des AE et 98,4 % des CP ont ainsi été consommés. Le schéma d'emplois est réalisé, avec la création de 416 équivalents temps plein (ETP), soit une surexécution de 67 ETP, ce qui constitue un très beau résultat dans un contexte aussi troublé.

Les surcoûts liés aux opérations extérieures et missions intérieures se sont élevés à 1,44 milliard. Ils ont été pris en charge sans recourir à la solidarité interministérielle, en partie grâce à une hausse de la provision formée pour couvrir ces surcoûts. Cette provision avait été fixée à 1,2 milliard en LFI 2020.

L'année 2020 a vu une évolution majeure de la répartition des crédits au sein de la nomenclature par destination de la mission : une partie des crédits d'infrastructure a été transférée du programme 212, où ils étaient auparavant concentrés, vers les programmes 146 et 178, en vue de favoriser la responsabilisation des gestionnaires, dans une logique de subsidiarité, en rapprochant la gestion des besoins. S'il est encore trop tôt pour tirer un bilan de cette nouvelle architecture budgétaire, les armées manifestent déjà leur satisfaction face à cette évolution. Elle leur offre un meilleur levier sur la gestion des infrastructures, qui constituent des éléments cruciaux de l'activité des forces. Toutefois, on pourrait tirer le plein potentiel de ce mouvement en confiant aux armées non seulement la gestion mais aussi la programmation des crédits d'infrastructure.

Lors de son audition par la commission de la défense nationale et des forces armées le jeudi 15 octobre 2020, le général François Lecointre, chef d'état-major des armées, a rappelé que l'« efficacité d'une armée ne repose pas uniquement sur les capacités dont elle est dotée ou sur la cohérence générale […], elle repose également sur la préparation opérationnelle ». Partageant ce constat, j'ai souhaité m'intéresser cette année à la préparation opérationnelle des armées, qui est une composante essentielle de leur efficacité, ainsi que de leur capacité de fidélisation. Elle constitue à mes yeux l'un des enjeux brûlants pour les armées françaises, dès maintenant mais surtout pour les années à venir. En effet, la préparation opérationnelle doit non seulement permettre d'emporter la décision aujourd'hui, mais aussi la rendre possible demain. Or le contexte stratégique international dans lequel l'action de la France s'insère se durcit de plus en plus.

Dans ce domaine, je tiens tout d'abord à saluer les résultats obtenus par les armées. De manière globale, les efforts de préparation ont permis de remplir le contrat opérationnel année après année. Toutefois, certaines capacités complexes ont été fragilisées. Conformément à ce que prévoyait la LPM, la préparation opérationnelle s'est en effet recentrée, durant ces dernières années, sur la réponse aux enjeux du moment, parfois au détriment des savoir-faire dans le domaine de la haute intensité. C'était cependant l'unique possibilité compte tenu des moyens disponibles.

La préparation opérationnelle a également connu des limitations résultant de manques de matériels et de munitions et d'un niveau d'engagement des forces très élevé sur des missions de basse intensité. La crise liée au covid-19 a accentué cette tendance en approfondissant la dette d'entraînement contractée par les armées dans le domaine des compétences du haut du spectre. Cela dit, je sais que des efforts ont d'ores et déjà été entrepris pour tenter de la résorber.

De manière structurelle, la mise en œuvre de la LPM permet et permettra une amélioration sensible des moyens nécessaires à la préparation opérationnelle. C'est d'autant plus vrai que, lors de votre audition par la commission de la défense le 4 mai, madame la ministre, vous avez annoncé que la préparation opérationnelle serait l'un trois axes possibles d'ajustement de la LPM. Je ne peux que vous rejoindre dans ce projet, ayant moi aussi compris au cours de mes travaux que notre capacité à faire progresser l'entraînement dans le domaine de la haute intensité tout en maintenant notre excellence dans les conflits asymétriques sera l'un des enjeux fondamentaux des armées pour les dix ans à venir.

Je propose dans mon rapport plusieurs pistes qui pourraient permettre d'accompagner cet effort. Vous avez déjà identifié, madame la ministre, l'enjeu de la préparation simulée ; je l'ai moi aussi perçue comme un axe de progrès. Je recommande donc de consacrer les moyens adéquats pour le développement d'un écosystème de simulation partagée interarmes mais aussi interarmées. Ce système permettra d'opérer un bond qualitatif par rapport aux capacités actuelles de préparation simulée.

Il conviendra également de formaliser une nouvelle approche budgétaire des opérations pour prendre la pleine mesure de l'évolution de la conflictualité mondiale. Dans ce contexte, l'opération Lynx, qui est en cours, apparaît particulièrement riche de perspectives. Cette opération de réassurance, menée sous l'égide de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) sur le territoire des pays Baltes, a deux buts distincts : affirmer le positionnement stratégique et les capacités opérationnelles de la France et réaliser un entraînement précieux pour les troupes. Selon moi, les opérations de ce type sont appelées à se développer, car elles permettent d'entraîner nos forces ainsi que de dissuader d'éventuels adversaires de passer à l'action dans des zones où nous serions absents. Afin de poursuivre l'effort de sincérisation budgétaire des surcoûts OPEX et d'éviter que des opérations comme celle-ci ne contraignent la capacité d'entraînement, je recommande d'envisager de les rendre éligibles aux surcoûts OPEX.

Enfin, et toujours dans l'objectif de dégager des marges de manœuvre matérielles, budgétaires mais aussi humaines, spécialement pour l'armée de terre, je recommande d'engager une réflexion sur les modalités de mise en œuvre de l'opération Sentinelle, qui contraint les capacités de préparation interarmes. Une solution pourrait passer par l'établissement d'une durée maximale de déploiement Sentinelle. Cela permettrait d'éviter une incertitude dommageable au passage des unités au sein des centres d'entraînement spécialisés.

D'un point de vue purement budgétaire, la préparation opérationnelle est par nature complexe à suivre. Cela impose de disposer d'indicateurs d'activité et de performance permettant de juger du niveau et de la qualité de la préparation opérationnelle. Votre dispositif de performance m'apparaît perfectible. Je formule donc dans mon rapport plusieurs recommandations visant à l'améliorer, par exemple grâce à l'intégration aux documents budgétaires des indicateurs de performance déjà utilisés par les armées et par vous, au profit de mécanismes internes de pilotage.

Je me permettrai maintenant, madame la ministre, de vous interroger sur quelques points.

Partant de mon analyse de l'exécution 2020, je sollicite votre avis sur l'idée de confier aux gestionnaires des programmes 146 et 178 non seulement la gestion mais aussi la programmation des crédits d'infrastructure qui leur ont été transférés. Cela permettrait d'aller au bout de la logique de subsidiarité qui fonde la nouvelle architecture budgétaire.

Pourriez-vous, par ailleurs, détailler les ajustements de la LPM prévus dans le domaine de la préparation opérationnelle ?

Enfin, comment allez-vous concilier la préparation opérationnelle à l'hypothèse d'un engagement majeur et le maintien d'une préparation opérationnelle aux conflits asymétriques, à même de préserver le niveau d'excellence de nos armées ?

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