Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 26 mai 2021 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Chacun est dans son rôle, et traditionnellement, Heureusement les banques ne décident pas de la réglementation bancaire. Les superviseurs, régulateurs et autorités politiques doivent bien sûr les écouter et répondre à leurs inquiétudes, mais il n'est pas question de les laisser s'auto-réguler. De telles pratiques ont montré leurs limites avant la grande crise financière de 2008, notamment aux États-Unis. Je connais l'activité bancaire de par mon passé et crois avoir tenu l'engagement pris, voici six ans, devant votre commission, de servir en homme droit et libre. Je crois aussi que mon expérience m'autorise à relativiser certains arguments que brandissent les banques françaises mais qui ne correspondent pas à la réalité. La crainte, exprimée depuis dix ans, qu'une réglementation bancaire renforcée freine ou affecte gravement le financement de l'économie ne s'est jamais vérifiée. La musique globale, aujourd'hui très singulière, des banques françaises, ne correspond pas à une réalité. Nous n'en devons pas moins rester attentifs à certains points.

Le plancher en capital est au cœur du débat qui s'ouvre. Je souhaite que nous obtenions sur ce point des arrangements convenus avec le ministère de l'économie et des finances et en partie avec la profession bancaire. Le premier des enjeux relatif au plancher de capital porte sur son application au niveau consolidé, si possible à l'échelle européenne pour favoriser des fusions par-delà les frontières et, en tout cas, impérativement à l'échelle nationale. Il s'agit là d'un point clé pour les groupes mutualistes. L'application du plancher en capital pour toutes les caisses régionales donnerait lieu à des exigences trop élevées, qui ne se justifient pas, du fait des mécanismes de solidarité entre caisses.

Le second enjeu relève de l'application du plancher de capital au premier pilier. Les exigences de Bâle III portent, stricto sensu, sur le pilier 1 et un certain nombre de coussins additionnels (de fonds propres, contracyclique et pour les établissements d'importance systémique mondiale). Les autorités européennes ajoutent d'autres charges en capital, dont le pilier 2, avec une composante individuelle. Le débat porte sur l'application du plancher de capital, soit uniquement à la partie du capital listée dans l'accord de Bâle, comme le défend la France, soit à d'autres exigences également, relevant de la même méthode de calcul des actifs moyens pondérés, ce que souhaitent la plupart de nos partenaires. Je soutiens l'approche française. J'ignore à quoi aboutira la négociation. Le président du mécanisme de surveillance unique européen, le superviseur de l'Union bancaire, Andrea Enria, a pris une position intermédiaire. Si jamais l'application au pilier 1 implique davantage de capital requis, il diminuera l'exigence individuelle relative au pilier 2, certains risques étant dès lors mieux couverts. Nous verrons comment aboutira la négociation, mais il me paraît extrêmement souhaitable que l'on n'applique pas l'output floor de façon mécanique à l'ensemble des exigences sans tenir compte du fait que le pilier 1 sera mieux sécurisé.

Sur le chiffre de 70 milliards, nous pourrons partager un certain nombre d'estimations. Affirmer que l'incorporation normale de résultats couvrira les exigences de Bâle III ne minimise en rien les sommes en jeu, qui se chiffreront en milliards d'euros si les banques souhaitent garder leur marge supplémentaire par rapport aux exigences en capital minimales. Toutes les banques françaises sont aujourd'hui au-dessus de l'exigence minimale. Si, d'aventure, les banques françaises décidaient au contraire d'utiliser cette marge de sécurité pour couvrir les exigences de Bâle III, elles y parviendraient instantanément. Mais si elles souhaitent maintenir intégralement leur marge de sécurité, elles peuvent y arriver grâce à une mise en réserve normale de résultats d'ici 2028. En réalité, elles opteront sans doute pour un moyen terme. Dès lors que Bâle III sécurise davantage les banques par un système jugé plus crédible au plan international, à travers notamment le plancher en capital, celles-ci pourront réduire leur marge de sécurité par rapport aux attentes des investisseurs. Une telle décision relève du choix de chaque établissement.

Bâle III n'amènera pas à modifier le modèle européen de financement de l'économie. Le crédit immobilier à la française est préservé et totalement compatible avec l'accord. Le système américain est certes différent. Freddie Mac (la Federal Home Loan Mortgage Corporation ) et Fanny Mae (la Federal National Mortgage Association ) reprennent pour les soustraire au bilan des établissements américains la plupart des crédits immobiliers. Alors que le bilan résiduel des banques américaines est davantage risqué, celui des banques européennes porte beaucoup de crédits sûrs, notamment dans le cas français. La pondération des risques tient évidemment compte de cette sécurité. Nous entendons dire, depuis la crise financière de 2008, que les réglementations financières vont pousser les banques françaises à titriser les crédits immobiliers ou aux PME, c'est-à-dire à les sortir de leur bilan. Il n'en a rien été, et il n'y aura pas d'obligation de changer notre modèle de financement, ni sur les PME, ni sur le crédit immobilier.

Les PME non notées sont effectivement un point d'attention. Nous souhaitons, en France comme en Allemagne, en accord avec les ministères des finances, un facteur de modération concernant les PME non notées. Il limiterait l'effet de Bâle III pour les banques françaises. Ce point de vigilance revêt une importance plus grande encore pour l'Allemagne, puisque la France dispose du système FIBEN de cotation de la banque de France, ce qui fait que la plupart des entreprises peuvent s'appuyer sur une cotation.

L'effet de Bâle III est estimé globalement neutre sur les banques américaines, alors qu'il conduirait à une augmentation de capital de 12 à 17 % des banques européennes, selon les derniers chiffres de l'autorité bancaire européenne. La différence s'explique par le débat sur les modèles internes. Si vous me permettez une hypothèse virtuelle, une audition devant le Congrès américain me placerait dans une situation bien plus inconfortable. Vues des États-Unis, les règles de Bâle III favorisent exagérément les banques européennes, d'une part du fait des exemptions relatives, entre autres, aux PME, qui doivent être maintenues, et d'autre part et surtout, en raison du recours aux modèles internes. Aux États-Unis, le plancher de capital est fixé à 100 % sur les risques de crédit et de marché depuis 2013, conformément à l'amendement Collins à la loi Dodd-Frank. Les banques américaines sont libres d'utiliser des modèles internes mais n'en tirent aucun avantage en termes de capital, alors que l'utilisation de ces modèles, particulièrement développés en France, y a très significativement diminué les exigences en capital des banques françaises.

Certains de nos partenaires européens utilisent nettement moins ces modèles. C'est le cas par exemple des deux grandes banques internationales espagnoles qui ont des structures assez proches des nôtres, Santander et BBVA, qui ne se positionnent pas toujours à nos côtés sur ce sujet. J'ai souvent dû défendre l'utilisation des modèles internes face à la crainte qu'ils soient à la main des banques, qui s'en serviraient pour optimiser leur bilan. Nous avons réussi à les pérenniser. Or il ne faut pas sous-estimer la virulence avec laquelle les Américains les contestaient. Ils voulaient imposer un plancher en capital de 100 % : l'utilisation d'un modèle interne aurait été possible, mais avec finalement une charge équivalente au modèle standard. Le chiffre de 72,5 % résulte de longues négociations. Il faut y voir le prix d'un accord durable et définitif sur la reconnaissance des modèles internes, que je considère comme un acquis extrêmement important. Les positions de départ ne laissaient en rien présager que nous parviendrions à un tel point d'équilibre.

Il me paraît encore trop tôt pour dresser un bilan définitif des effets de la crise du Covid. Je me réjouis bien sûr de la solidité des banques françaises. Je ne crois pas aujourd'hui que la crise liée à la pandémie, qui s'est traduite par une augmentation temporaire des risques et des provisions des banques françaises, entraîne des changements durables de leur paysage de risque. J'estime les banques en mesure de faire face à la crise à travers des politiques normales de provisionnement, de mise en réserve du capital. Elles l'ont montré par leurs résultats du dernier trimestre 2020 et du premier trimestre 2021. Je salue le fait qu'elles aient même augmenté leur ratio de solvabilité. Nous verrons s'il convient de tirer des leçons de la crise, qui a pour l'heure confirmé la robustesse du cadre réglementaire, et l'intérêt d'une réglementation financière internationale. C'est d'abord au travail des banques et de leurs salariés que nous devons d'avoir échappé à une crise bancaire. Néanmoins, la réglementation a aussi joué son rôle en renforçant la solidité des banques et la confiance qu'elles inspirent aux investisseurs.

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