La commission entend M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, sur la réforme des accords de Bâle.
Nous vous auditionnons dans le cadre de notre réflexion sur le secteur des assurances et des banques en lien avec la directive Solvabilité II et les accords de Bâle III dans le contexte d'une sortie de crise. L'Assemblée nationale avait voté une proposition de résolution sur les accords de Bâle et la transposition de ces accords. Nous souhaitons connaître votre opinion sur l'opportunité et le calendrier de la transposition des accords de Bâle III, ses avantages et ses inconvénients, les éventuelles modifications à apporter, ainsi que sur l'état du système bancaire à l'issue de la crise sanitaire.
Le président de la fédération bancaire française (FBF) a évoqué devant notre commission des divergences entre notre système bancaire et l'industrie financière américaine. Les confirmez-vous ?
Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer Bâle III pendant nos rencontres, mais la séquence européenne qui s'ouvre est effectivement déterminante. Les banques françaises vont de nouveau faire entendre une ritournelle, récurrente depuis dix ans, mais désormais assez singulière, dénonçant ces régulations comme injustifiées. S'il convient d'écouter leurs questions, il ne faut pas pour autant donner suite à toutes leurs alarmes.
J'aimerais expliquer pourquoi, en exposant en toute indépendance la position de la Banque de France et de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) que je préside. Il est dans l'intérêt de la France de maintenir son engagement à transposer complètement le pré-accord de Bâle III de décembre 2017. Cette transposition doit être équitable par rapport aux États-Unis, (et je n'ai pas de doute là-dessus), raisonnable quant à l'application du plancher en capital (ou output floor ) et définitive, car il n'y aura pas de Bâle IV.
Je rappellerai tout d'abord que les règles internationales ont favorisé la solidité de notre système bancaire sans freiner en rien la distribution de crédit. Je présenterai ensuite l'intérêt de l'accord et les risques qu'encourrait la France en cas de non-transposition. Enfin, je soulignerai les enjeux d'une bonne transposition européenne en évoquant quelques points de vigilance si nous voulons garantir le financement durable de l'économie.
Ne cédons pas à la tentation de l'oubli, douze ans après la grande crise de 2008. Si l'actuelle crise sanitaire et économique ne s'est pas cette fois doublée d'une crise financière, ce n'est pas par hasard. C'est notamment parce que notre cadre prudentiel a considérablement renforcé la résilience des grandes banques françaises, comme celle de leurs homologues européennes et internationales. Depuis 2011, les ratios de fonds propres des banques françaises ont en moyenne, plus que doublé, ce dont il faut se féliciter. Il y a néanmoins des situations assez différentes : les trois groupes mutualistes ont des ratios de fonds propres significativement plus élevés. C'est le cas aussi sur la période très récente de la Banque Postale, depuis l'intégration de CNP Assurances. En dépit des différences entre leurs situations, toutes satisfont très largement aux exigences réglementaires, y compris celles de Bâle III. Les groupes privés ont également vu une forte augmentation de la situation de leurs fonds propres. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce quasi-doublement des fonds propres depuis 2011. Nous jugeons à ce stade solide la situation de nos banques à l'épreuve de la crise, même si nous resterons vigilants à cet égard. Je présenterai d'ailleurs vendredi le rapport annuel de l'ACPR.
Le renforcement de la solvabilité des banques n'a pas porté préjudice au financement de l'économie française, bien au contraire. Les banques en France financent plus de 60 % de l'économie, contre 75 % en Europe. Elles ont, fort heureusement, encore accru leur volume de financement depuis le début de la crise sanitaire. Le crédit aux entreprises, dont la croissance était de 6 % par an de 2016 à 2019 et dépassait celle du produit intérieur brut (PIB), a nettement accéléré en 2020, à hauteur de 13,3 %, et même à hauteur de 20,3 % pour les PME. Les prêts garantis par l'État (PGE) ont bien sûr joué un rôle, mais ils ne rendent pas compte à eux seuls de l'accélération du crédit. De ce point de vue, les craintes récurrentes qu'exprime depuis dix ans l'industrie bancaire se sont donc révélées totalement infondées. Rien n'étaye le soupçon que les exigences de Bâle III pèseraient sur la croissance et l'investissement.
Le véritable enjeu qui se pose aux établissements bancaires français ne vient pas des exigences de solvabilité, mais de leur rentabilité insuffisante. Il leur appartient d'accélérer leur numérisation et d'innover, entre autres en matière de paiements, et aussi de croître au-delà des frontières nationales. C'est d'ailleurs aussi tout l'enjeu de l'union bancaire européenne, qui reste à concrétiser.
J'en viens au contenu même de l'accord, sur son intérêt et sur les risques pour la France en cas de non-transposition. L'accord de Bâle III de décembre 2017 est un accord technique, qui doit être transposé dans la législation européenne et nationale. Raisonnable, il m'apparaît comme le meilleur accord possible pour notre pays comme pour l'Union européenne (UE). L'ACPR et la Banque de France ont joué un rôle actif dans son aboutissement, en liaison étroite avec les autorités politiques et notamment gouvernementales. La France a obtenu, lors des dernières semaines de négociation, à l'issue d'un rude combat, deux choses : une révision de la pondération des activités de marché ( fundamental review of the trading book ou FRTB), ainsi qu'un calendrier de mise en œuvre suffisamment étendu, de 2022 à 2027. Depuis, en reportant d'un an ce délai, soit un calendrier fixé de 2023 à 2028, le comité de Bâle a tenu à limiter la charge opérationnelle des banques pendant la crise.
La réforme de Bâle III reconnaît définitivement les spécificités du secteur bancaire européen, et notamment la place importante des modèles internes, au cœur des discussions. Largement utilisés par les banques françaises, ces modèles sont moins rigides que les approches dites « standard ». L'ACPR croit à la légitimité de ces modèles internes pour appréhender le risque. Gardons à l'esprit que nos partenaires ont traditionnellement dénoncé le recours à ces modèles, qui favorise les banques qui l'utilisent, notamment les banques françaises, en termes de charge de capital. La négociation portait au début sur une remise en cause de leur utilisation même. Elle sera dorénavant plus encadrée, ce qui explique que les banques françaises aient dû plus augmenter leurs fonds propres que leurs homologues américaines, mais elle sera surtout pérennisée. Même après la réforme de Bâle III, les banques européennes, et en particulier françaises, continueront de retirer des modèles internes, par rapport à l'approche standard, un bénéfice supérieur à ce qu'autorise le cadre réglementaire américain. Le financement de projets est ainsi préservé par le maintien de son éligibilité à la modélisation interne avancée.
Un autre acquis de Bâle III vient de ce qu'il conforte le modèle français de crédit immobilier, fondé sur les crédits cautionnés, de même que le financement des petites et moyennes entreprises (PME).
Dans ce contexte, si la France refusait la transposition, dans la législation européenne et nationale, de l'équilibre auquel est parvenu Bâle III ou même en demandait un nouveau report, malgré notre engagement en ce sens fin 2017, notre pays s'exposerait à un double danger d'instabilité et d'isolement.
L'instabilité d'abord : une telle attitude de la part de la France saperait le renforcement collectif de la stabilité du système bancaire international, nécessaire et d'ailleurs entrepris à la suite de la précédente crise financière. Les réformes adoptées depuis par le comité de Bâle ont été mises en œuvre de façon cohérente par tous les pays. Dix ans après cette crise, des risques d'instabilité financière subsistent. Baisser la garde aujourd'hui reviendrait à cultiver le terreau dont surgira la crise de demain. Il est de mon devoir de superviseur de le souligner.
Le second danger serait l'isolement de la France sur la scène européenne et internationale. Tous les pays, y compris en Europe, sont en outre décidés à transposer les accords de Bâle III. Il serait paradoxal pour la France, qui se présente dans tant d'autres domaines, et avec succès, comme le champion de la méthode multilatérale, de s'y opposer. Cela susciterait d'autant plus d'incompréhension que le multilatéralisme financier a résisté même à la présidence de Donald Trump et que la récente élection de Joe Biden tend à le renforcer.
Un mot sur la transposition aux États-Unis. Les autorités américaines, dont la Réserve fédérale (« Fed »), ont cité l'application intégrale de l'accord de Bâle III parmi leurs priorités pour 2021. Un projet de réglementation américaine est attendu dans le courant de l'année. Nul doute qu'il reprendra les principes de Bâle III, parmi lesquels le FRTB.
Certes, les standards bâlois s'appliquent à plus d'établissements bancaires dans l'UE qu'aux États-Unis, où seules les plus grandes banques y sont assujetties. Cette question de périmètre ne pèse pas d'un poids déterminant pour le secteur bancaire français, déjà constitué de banques universelles, internationalement actives et par nature destinées à se voir appliquer les standards bâlois. Plus encore qu'une majorité d'établissements européens, elles ont intérêt à préserver le cadre multilatéral. Ainsi, la France a, plus que tout autre pays de l'UE, intérêt à préserver le cadre réglementaire international, fixant les conditions d'une concurrence équilibrée tout en constituant une référence et une sécurité pour les investisseurs internationaux.
Un débat nous attend sur la transposition européenne de Bâle III. Plutôt que de nous épuiser dans des discussions stériles ou à la poursuite d'illusions, qu'aucun autre pays d'Europe ne défendrait à nos côtés, nous devons concentrer nos efforts collectifs sur les conditions de cette transposition. La Commission européenne devrait présenter ses projets de directives et de règlements en septembre. Des discussions suivront, au Conseil et au Parlement européen, probablement pendant plusieurs mois. Nous devons viser la reconduction des spécificités que reconnaît la législation européenne actuelle, notamment pour soutenir l'accès des PME au crédit bancaire et aux marchés dérivés à des fins de couverture.
Des critiques en France accusent périodiquement Bâle III de défavoriser l'Europe. Le point de vue inverse prévaut dans le reste du monde : dans l'évaluation faite par le comité de Bâle de la transposition, les exceptions européennes sont jugées singulières. J'estime néanmoins essentiel de les préserver et ose croire que nous y parviendrons.
Il s'agit ensuite, autre objectif, de l'application du mécanisme de plancher en capital, le fameux output floor, qui devra se faire de façon pragmatique et consolidé au niveau des groupes bancaires, et je rejoins là les préoccupations des banques françaises. C'est une condition pour permettre le rapprochement d'établissements par-delà les frontières et pour ramener la hausse totale des exigences en capital pour les six principales banques françaises de 17 % à 12 %, selon la dernière estimation de l'Autorité européenne bancaire. Quel que soit le quantum final dans cette fourchette, je tiens à souligner que cette hausse ne nécessitera, pour aucune banque française, aucune augmentation de capital dédié ni le moindre changement de politique de dividendes. Les banques françaises pourront faire face à Bâle III d'ici 2028, par l'incorporation, normale, d'une part de leurs résultats dans leurs réserves. L'annonce, par plusieurs grands groupes bancaires français, de programmes de rachat de leurs actions, montre qu'eux-mêmes n'estiment pas manquer de capital.
C'est en pesant de tout son poids en faveur d'une transposition européenne équitable et raisonnable de Bâle III que la France œuvrera le mieux à la préservation de ses intérêts économiques. Vous pouvez compter sur l'ACPR pour défendre les spécificités de notre modèle de financement dans un cadre international qui réduit efficacement les risques de crise financière, dans notre intérêt à tous.
La Fédération bancaire française souhaiterait limiter l'application du mécanisme du plancher de capital au premier pilier. Quelle position défendez-vous ? Le sentiment vient que l'impact de ce plancher sur les fonds propres des banques n'est pas toujours compris de la même manière. Lorsque vous en parlez, je comprends qu'il n'y a pas d'impact, alors que les banques françaises évaluent à 70 milliards d'euros l'accroissement de leur capital en résultant. Peut-être cette somme correspond-elle quand même à la réintégration usuelle de leurs résultats sur la période. Il conviendrait d'éclaircir ce point.
Les banques françaises mettent en avant le modèle français, ce qui expliquerait que les Européens ne mènent pas forcément le même combat, notamment en matière d'intégration du crédit immobilier. Notre modèle risque-t-il de changer et, avec lui, le système de crédit immobilier auquel beaucoup de nos compatriotes sont attachés ?
Selon les banques françaises, la finalisation de Bâle III porte préjudice au financement spécialisé de certaines infrastructures de l'aéronautique et surtout à l'accès au crédit des PME non notées. L'appréciation prudentielle du financement des PME et du crédit immobilier à l'européenne leur semble inadaptée. Vous avez expliqué que ces risques n'étaient, selon vous, pas avérés. Pouvez-vous nous repréciser comment se sont constituées les différentes positions sur le sujet ?
Comment expliquer que, selon les dernières études d'impact publiées par l'autorité bancaire européenne, la finalisation de Bâle III augmenterait le besoin de fonds propres des banques européennes ?
Les banques américaines sont-elles, selon vous, soumises à des normes prudentielles plus favorables que leurs homologues européennes ? Les comparaisons entre les normes prudentielles aux États-Unis et en Europe prennent-elles bien en considération tous les paramètres requis ? Confirmez-vous que la finalisation de Bâle III ne modifiera pas l'exigence en fonds propres des banques américaines, ce qui poserait problème ?
Inévitablement, les bouleversements économiques induits par la crise sanitaire entraîneront une nouvelle appréciation des risques. Faudra-t-il prendre en compte la nouvelle réalité issue de la crise actuelle tout de suite après la finalisation de Bâle III ?
Chacun est dans son rôle, et traditionnellement, Heureusement les banques ne décident pas de la réglementation bancaire. Les superviseurs, régulateurs et autorités politiques doivent bien sûr les écouter et répondre à leurs inquiétudes, mais il n'est pas question de les laisser s'auto-réguler. De telles pratiques ont montré leurs limites avant la grande crise financière de 2008, notamment aux États-Unis. Je connais l'activité bancaire de par mon passé et crois avoir tenu l'engagement pris, voici six ans, devant votre commission, de servir en homme droit et libre. Je crois aussi que mon expérience m'autorise à relativiser certains arguments que brandissent les banques françaises mais qui ne correspondent pas à la réalité. La crainte, exprimée depuis dix ans, qu'une réglementation bancaire renforcée freine ou affecte gravement le financement de l'économie ne s'est jamais vérifiée. La musique globale, aujourd'hui très singulière, des banques françaises, ne correspond pas à une réalité. Nous n'en devons pas moins rester attentifs à certains points.
Le plancher en capital est au cœur du débat qui s'ouvre. Je souhaite que nous obtenions sur ce point des arrangements convenus avec le ministère de l'économie et des finances et en partie avec la profession bancaire. Le premier des enjeux relatif au plancher de capital porte sur son application au niveau consolidé, si possible à l'échelle européenne pour favoriser des fusions par-delà les frontières et, en tout cas, impérativement à l'échelle nationale. Il s'agit là d'un point clé pour les groupes mutualistes. L'application du plancher en capital pour toutes les caisses régionales donnerait lieu à des exigences trop élevées, qui ne se justifient pas, du fait des mécanismes de solidarité entre caisses.
Le second enjeu relève de l'application du plancher de capital au premier pilier. Les exigences de Bâle III portent, stricto sensu, sur le pilier 1 et un certain nombre de coussins additionnels (de fonds propres, contracyclique et pour les établissements d'importance systémique mondiale). Les autorités européennes ajoutent d'autres charges en capital, dont le pilier 2, avec une composante individuelle. Le débat porte sur l'application du plancher de capital, soit uniquement à la partie du capital listée dans l'accord de Bâle, comme le défend la France, soit à d'autres exigences également, relevant de la même méthode de calcul des actifs moyens pondérés, ce que souhaitent la plupart de nos partenaires. Je soutiens l'approche française. J'ignore à quoi aboutira la négociation. Le président du mécanisme de surveillance unique européen, le superviseur de l'Union bancaire, Andrea Enria, a pris une position intermédiaire. Si jamais l'application au pilier 1 implique davantage de capital requis, il diminuera l'exigence individuelle relative au pilier 2, certains risques étant dès lors mieux couverts. Nous verrons comment aboutira la négociation, mais il me paraît extrêmement souhaitable que l'on n'applique pas l'output floor de façon mécanique à l'ensemble des exigences sans tenir compte du fait que le pilier 1 sera mieux sécurisé.
Sur le chiffre de 70 milliards, nous pourrons partager un certain nombre d'estimations. Affirmer que l'incorporation normale de résultats couvrira les exigences de Bâle III ne minimise en rien les sommes en jeu, qui se chiffreront en milliards d'euros si les banques souhaitent garder leur marge supplémentaire par rapport aux exigences en capital minimales. Toutes les banques françaises sont aujourd'hui au-dessus de l'exigence minimale. Si, d'aventure, les banques françaises décidaient au contraire d'utiliser cette marge de sécurité pour couvrir les exigences de Bâle III, elles y parviendraient instantanément. Mais si elles souhaitent maintenir intégralement leur marge de sécurité, elles peuvent y arriver grâce à une mise en réserve normale de résultats d'ici 2028. En réalité, elles opteront sans doute pour un moyen terme. Dès lors que Bâle III sécurise davantage les banques par un système jugé plus crédible au plan international, à travers notamment le plancher en capital, celles-ci pourront réduire leur marge de sécurité par rapport aux attentes des investisseurs. Une telle décision relève du choix de chaque établissement.
Bâle III n'amènera pas à modifier le modèle européen de financement de l'économie. Le crédit immobilier à la française est préservé et totalement compatible avec l'accord. Le système américain est certes différent. Freddie Mac (la Federal Home Loan Mortgage Corporation ) et Fanny Mae (la Federal National Mortgage Association ) reprennent pour les soustraire au bilan des établissements américains la plupart des crédits immobiliers. Alors que le bilan résiduel des banques américaines est davantage risqué, celui des banques européennes porte beaucoup de crédits sûrs, notamment dans le cas français. La pondération des risques tient évidemment compte de cette sécurité. Nous entendons dire, depuis la crise financière de 2008, que les réglementations financières vont pousser les banques françaises à titriser les crédits immobiliers ou aux PME, c'est-à-dire à les sortir de leur bilan. Il n'en a rien été, et il n'y aura pas d'obligation de changer notre modèle de financement, ni sur les PME, ni sur le crédit immobilier.
Les PME non notées sont effectivement un point d'attention. Nous souhaitons, en France comme en Allemagne, en accord avec les ministères des finances, un facteur de modération concernant les PME non notées. Il limiterait l'effet de Bâle III pour les banques françaises. Ce point de vigilance revêt une importance plus grande encore pour l'Allemagne, puisque la France dispose du système FIBEN de cotation de la banque de France, ce qui fait que la plupart des entreprises peuvent s'appuyer sur une cotation.
L'effet de Bâle III est estimé globalement neutre sur les banques américaines, alors qu'il conduirait à une augmentation de capital de 12 à 17 % des banques européennes, selon les derniers chiffres de l'autorité bancaire européenne. La différence s'explique par le débat sur les modèles internes. Si vous me permettez une hypothèse virtuelle, une audition devant le Congrès américain me placerait dans une situation bien plus inconfortable. Vues des États-Unis, les règles de Bâle III favorisent exagérément les banques européennes, d'une part du fait des exemptions relatives, entre autres, aux PME, qui doivent être maintenues, et d'autre part et surtout, en raison du recours aux modèles internes. Aux États-Unis, le plancher de capital est fixé à 100 % sur les risques de crédit et de marché depuis 2013, conformément à l'amendement Collins à la loi Dodd-Frank. Les banques américaines sont libres d'utiliser des modèles internes mais n'en tirent aucun avantage en termes de capital, alors que l'utilisation de ces modèles, particulièrement développés en France, y a très significativement diminué les exigences en capital des banques françaises.
Certains de nos partenaires européens utilisent nettement moins ces modèles. C'est le cas par exemple des deux grandes banques internationales espagnoles qui ont des structures assez proches des nôtres, Santander et BBVA, qui ne se positionnent pas toujours à nos côtés sur ce sujet. J'ai souvent dû défendre l'utilisation des modèles internes face à la crainte qu'ils soient à la main des banques, qui s'en serviraient pour optimiser leur bilan. Nous avons réussi à les pérenniser. Or il ne faut pas sous-estimer la virulence avec laquelle les Américains les contestaient. Ils voulaient imposer un plancher en capital de 100 % : l'utilisation d'un modèle interne aurait été possible, mais avec finalement une charge équivalente au modèle standard. Le chiffre de 72,5 % résulte de longues négociations. Il faut y voir le prix d'un accord durable et définitif sur la reconnaissance des modèles internes, que je considère comme un acquis extrêmement important. Les positions de départ ne laissaient en rien présager que nous parviendrions à un tel point d'équilibre.
Il me paraît encore trop tôt pour dresser un bilan définitif des effets de la crise du Covid. Je me réjouis bien sûr de la solidité des banques françaises. Je ne crois pas aujourd'hui que la crise liée à la pandémie, qui s'est traduite par une augmentation temporaire des risques et des provisions des banques françaises, entraîne des changements durables de leur paysage de risque. J'estime les banques en mesure de faire face à la crise à travers des politiques normales de provisionnement, de mise en réserve du capital. Elles l'ont montré par leurs résultats du dernier trimestre 2020 et du premier trimestre 2021. Je salue le fait qu'elles aient même augmenté leur ratio de solvabilité. Nous verrons s'il convient de tirer des leçons de la crise, qui a pour l'heure confirmé la robustesse du cadre réglementaire, et l'intérêt d'une réglementation financière internationale. C'est d'abord au travail des banques et de leurs salariés que nous devons d'avoir échappé à une crise bancaire. Néanmoins, la réglementation a aussi joué son rôle en renforçant la solidité des banques et la confiance qu'elles inspirent aux investisseurs.
Pourquoi les banques espagnoles utilisent-elles peu les modèles internes ? Vous considérez pourtant le système bancaire espagnol proche du français.
La Fédération bancaire française affirme qu'il reste beaucoup de crédits risqués dans le bilan des banques américaines, ce qui justifie un plancher de capital plus élevé dans le modèle standard.
Vous avez indiqué que l'Union bancaire européenne n'était pas achevée. J'ai cru comprendre que la présidence portugaise de l'Union avançait sur ce sujet. Pourriez-vous nous indiquer, en vue de la présidence française, les éléments déterminants pour cette union bancaire, ainsi que les blocages techniques et politiques à cette union ? À quelle échéance pourrions-nous y trouver des solutions ?
Nous avons travaillé avec vos services sur l'Union bancaire en 2019. Des avancées ont-elles eu lieu concernant la garantie européenne des dépôts ? Les accords de Bâle III entraîneront-ils une diversification des sources de financement ou, à l'inverse, vont-ils les restreindre ? Se traduiront-ils par des recompositions, des cessions de filiales ou des restructurations des métiers, dans le secteur bancaire ? Le surendettement de nombreux pays augmente. Quelles fragilités avez-vous constatées depuis 2019 ? Que dire du lien entre risques bancaires et risques souverains évoqué lors de notre précédente rencontre ?
Je remercie monsieur le gouverneur d'avoir défendu la nécessité d'une meilleure régulation du secteur bancaire pour se prémunir contre d'éventuelles catastrophes économiques, notamment au sortir de la crise sanitaire. La position de la France et de l'Allemagne au niveau européen menace aujourd'hui le renforcement de cette régulation. Notre gouvernement souhaite limiter la portée de Bâle III, au mépris des risques d'instabilité et d'isolement qui en résulteraient. Comment vous positionnez-vous à cet égard ?
Ne vous semble-t-il pas que l'Europe, du fait du carcan administratif qui l'entrave, accuse un retard sur les États-Unis, où la transposition de Bâle III fait figure de priorité pour 2021 ? Pourriez-vous nous communiquer un calendrier précis de la transposition de Bâle III dans l'UE ?
Nous évoquons souvent, en commission des finances, l'accès au crédit des PME non notées, lié aux prévisions de croissance. Je m'étonne que vous estimiez non avérés les risques que font peser sur le financement de ces PME, essentielles à l'économie française, les accords de Bâle III. Pourriez-vous étayer sur des arguments plus précis votre conviction ?
Quelle position adoptez-vous en ce qui concerne le point d'équilibre du plancher en capital entre les exigences des piliers 1 et 2 ?
La société actuelle est aujourd'hui dominée par une économie financière à la complexité croissante. Jugez-vous les mesures prudentielles de Bâle III suffisantes face à la financiarisation de la société, aux montages risqués et aux stratégies de contournement ou d'évitement fiscal ?
Vous avez récemment annoncé la suppression de 137 postes à la Banque de France. J'ai exprimé à la faveur d'une tribune dans Libération mes craintes d'une privatisation partielle de votre institution. Votre sous-gouverneur a répondu que « nous devons être performants et osons le dire, compétitifs ». Je n'estime pas que ce soit là le rôle d'une banque centrale. Vous annoncez la fermeture de 13 de vos 37 caisses et une délégation au secteur privé de missions historiques comme le tri et le recyclage de monnaie. Vous n'économiserez ainsi que 0,9 % du résultat ordinaire avant impôt de la Banque de France. Vous annoncez 1 000 suppressions de postes d'ici 2024, soit 10 % supplémentaires d'emplois supprimés. Vous perdrez ainsi 50 % de vos moyens humains en moins de vingt ans. Il y a l'aspect social, d'abord : vous évoquez des départs volontaires alors que cela a été contredit par l'Inspection du travail, qui pense que la légalité de votre plan est discutable.
Le principal problème relève toutefois selon moi de la souveraineté monétaire et du service public. Nous contestions déjà l'indépendance de la Banque de France. Or vous entrez maintenant dans une logique de privatisation partielle de certaines fonctions centrales de votre établissement. Vos arguments me semblent problématiques. Vous invoquez un recul du nombre de billets en circulation en vous fondant sur des chiffres de 2020, année pourtant très particulière. Je crains que la fermeture de caisses n'accélère cette évolution défavorable aux plus défavorisés de nos concitoyens. Ce que je ne comprends pas, c'est que seules six banques centrales en Europe délèguent au privé une partie de leurs tâches, en le rémunérant. Je conteste absolument tout cela. J'aimerais obtenir vos explications.
Notre assemblée a, début 2020, adopté une résolution visant à transposer en douceur les accords de Bâle III afin de ne pas détériorer la compétitivité du secteur bancaire européen. Je ne partage ni le constat, ni les arguments de cette résolution. Le secteur bancaire n'est pas un secteur comme les autres, dont il faudrait assurer la compétitivité. Celle-ci s'avère secondaire par rapport à la stabilité financière, comme le montrent les conséquences désastreuses d'une crise financière mondiale telle que celle de 2008.
Bâle III marque la consécration des modèles d'évaluation internes des risques des banques. Ceux-ci permettent aux grands groupes bancaires, aux banques systémiques de respecter en façade les ratios de solvabilité et fragilisent les banques. Le plancher de capital, au cœur de la critique, vise simplement à limiter l'avantage résultant du recours à des modèles internes plutôt qu'à des modèles standards. Les accords de Bâle III, en rien révolutionnaires, ne procèdent qu'à des ajustements louables en vue d'une meilleure stabilité financière. Ils ne s'attaquent pas au cœur du problème : les banques systémiques de plus en plus puissantes, qui prennent des risques croissants au péril de la stabilité économique. J'espère que les accords de Bâle III ne feront pas l'objet d'une transposition au rabais. Je compte sur vous, monsieur le gouverneur, pour peser de tout le poids de votre institution en faveur de leur stricte application.
Pensez-vous que le Congrès américain ratifiera un éventuel accord de ce type ? Dans la négative, ne faudrait-il pas se contenter d'un accord européen ?
Au vu des mauvaises performances boursières des banques françaises, le moment semble-t-il bien choisi d'un recours au marché financier ? La mise en réserve par les banques de leurs bénéfices, alors même qu'elles ne sont pas très rentables, ne comporte-t-elle pas un danger de chute supplémentaire des cours, au risque que des tiers rachètent les banques non mutualistes ?
Je ne saurais répondre à la place des banques espagnoles. Les banques françaises, qui ont beaucoup travaillé sur leurs modèles internes, ont acquis un savoir-faire dans ce domaine. L'ACPR, le superviseur historique, détient une compétence reconnue en matière de surveillance de ces modèles, qui existe moins ailleurs en Europe. Dans cette défense raisonnée des modèles internes, nous nous sommes souvent trouvés dans une position singulière.
Vous dites que les banques américaines, aux bilans plus risqués, auraient un moindre avantage à recourir aux modèles internes. Il est vrai qu'elles présentent plus de risques, d'abord car elles sortent les crédits immobiliers de leur bilan en les titrisant. La seconde raison tient au modèle de financement de l'économie qui suit, aux États-Unis, un modèle différent. Une plus grande proportion d'entreprises se finance sur les marchés, et seul un tiers des encours aux entreprises proviennent des banques. Concentrés de ce fait sur les PME, ils passent pour davantage risqués. Il ne faudrait pas en conclure que les banques américaines n'auraient pas intérêt à utiliser des modèles internes. Notons au passage qu'un modèle standard ne pondère pas de la même façon un crédit à une PME, un crédit immobilier, et un crédit à une grande entreprise ou à une collectivité. Il tient compte de cette différence. Le modèle interne, lui, tient en outre compte de l'histoire passée de la banque et des leçons qu'elle a tirées concernant son propre portefeuille de risque.
Je défends les modèles internes, mieux adaptés à la structure de risque. Le soupçon n'en résulte pas moins que les banques soient à la fois juge et partie, et qu'elles profitent de ces modèles internes pour diminuer leur charge en capital. Il revient au superviseur de s'assurer qu'il n'en est pas ainsi. Le modèle interne est plus fondé dans son principe, il ne donne que l'avantage de l'expérience historique de la banque considérée, mais ne fait pas disparaître le fait qu'un crédit aux PME est plus risqué qu'un crédit immobilier par exemple.
Nous n'avons pas encore atteint l'Union bancaire en dépit du progrès significatif qu'a marqué en 2014 la supervision unie. Elle a renforcé la sécurité du système bancaire européen, notamment dans des pays où la supervision s'exerçait de manière plus lâche qu'en France. Il nous reste à nous attaquer à deux piliers encore : la résolution et la garantie des dépôts. Nous ne sommes pas encore parvenus à constituer de banques européennes présentes dans plusieurs pays de l'UE. Je le regrette. D'une part, car si certaines banques atteignaient une taille critique, il leur serait plus facile de réaliser d'indispensables investissements numériques à coût fixe. D'autre part, des banques à l'échelle européenne contribueraient à une meilleure circulation de l'épargne privée à travers les frontières internes de la zone euro. Il faut donc continuer à avancer là-dessus.
Quels sont les principaux obstacles ? La garantie des dépôts a été évoquée. Pourtant, si certains progrès sur le sujet sont souhaitables, la complète mutualisation de la garantie des dépôts entre les 19 États de la zone euro ne me semble pas un prérequis aux avancées en vue de l'Union bancaire. Des étapes partielles sont possibles, par exemple des accords de financement entre les schémas nationaux de garantie des dépôts. Le principal obstacle à l'Union bancaire, d'ordre politique, réside dans la multiplication des exigences qu'imposent les pays hôtes de filiales par rapport aux pays sièges des grands groupes bancaires. Demander des exigences en capital et en liquidité filiale par filiale, c'est un obstacle à la constitution de groupes transfrontières. La France s'est engagée pour tenter de lever cette difficulté avec l'appui de quelques alliés. Nous devons envisager des solutions pragmatiques afin de disposer enfin de banques véritablement européennes. Un exemple : lorsque le superviseur européen a dit l'année dernière qu'il acceptait, dans le cas d'une consolidation, de reconnaître l'effet favorable d'une fusion sur le capital, cela a été un élément favorable aux consolidations.
Je ne suis malheureusement pas en mesure de communiquer un calendrier en ce qui concerne la levée de ces blocages. Nous restons mobilisés. Le principal handicap de l'UE par rapport aux États-Unis ne vient pas de Bâle III, mais de la taille de nos banques. Les cinq principales banques américaines se partagent plus de 40 % du marché de détail contre 20 % seulement pour leurs homologues européennes.
Je ne pense pas que Bâle III entraînera une diversification des sources de financement. La crainte de devoir davantage recourir aux marchés s'exprime depuis dix ans. La part du financement de l'économie française assuré par les banques a en réalité peu varié, ces dix dernières années. Elle tourne autour de 63 %, soit une proportion inférieure à la moyenne européenne, liée au nombre significatif de grandes entreprises dans notre pays.
Je n'ai repéré aucun phénomène de diversification des métiers ou des filiales, ce qui n'exclut pas des évolutions. La principale menace qui pèse aujourd'hui sur le secteur bancaire vient des solutions de paiement développées par les géants américains du numérique, d'où l'importance de l' European Payments Initiative (EPI) pour avoir une solution européenne.
Il convient de rester vigilant sur le lien entre risques bancaires et souverains. C'est un point d'attention : la dette souveraine de nombreux pays a en effet beaucoup augmenté. La Banque centrale européenne (BCE) et la Banque de France en ont pris leur part dans le cadre de la politique monétaire. Les acteurs du secteur bancaire et des assurances financent une proportion significative de la dette souveraine. Le sujet se pose moins en France, mais j'attache de l'importance à la diversification des investisseurs en dette souveraine (résidents et non-résidents).
Monsieur Bricout, vous semblez craindre que la position de la France et de l'Allemagne se traduise par une transposition au rabais de Bâle III. Je ne le crois pas. Il faut, selon moi, appliquer de manière raisonnable le plancher de capital sans diminuer la sécurité apportée par Bâle III. Le ministre de l'économie m'appuie en ce sens.
Dans l'état actuel de nos informations, il ne semble pas que la transposition de Bâle III aux États-Unis requière un passage par le Congrès. La « Fed » a déclaré qu'elle imposerait les règles qui en découlent d'ici la fin de l'année. Notons que la tendance actuelle de l'administration et du Congrès démocrates pousse plutôt au durcissement des exigences imposées au secteur financier américain. Étant donné que, même sous la présidence de Donald Trump, Bâle III n'a pas été remis en cause, je vois mal les États-Unis contester aujourd'hui ces accords. Si jamais ce scénario, improbable, se concrétisait, je serais le premier à dire que c'est un élément nouveau et qu'il ne faut pas que la France et l'Europe transposent seules Bâle III. La crainte des banques françaises que l'UE s'avère la seule à transposer ces accords me paraît infondée. En réalité, le monde entier attend aujourd'hui la transposition de Bâle III par l'UE.
Il faudra en principe compter deux ans de débats à partir de la proposition de la Commission européenne en septembre prochain avant que la transposition devienne effective dans tous les pays.
Avant même la crise du Covid, le crédit bancaire aux PME a augmenté de plus de 6 % par an entre 2016 et 2019. En 2020, il a progressé de 20 %. L'alerte au financement des PME ne s'est donc jamais réalisée. Bâle III s'avère parfaitement compatible avec le modèle de financement de notre économie : nous allons garder le facteur de soutien aux PME spécifique à l'Europe. C'est une clientèle extrêmement importante pour les banques. Je m'engage, fort de l'autorité de l'institution que je représente ici, à ce que Bâle III n'entraîne aucun risque de freinage en France du crédit aux PME. Nous ne l'avons pas vu depuis dix ans et nous ne le verrons pas.
Monsieur Castellani, vous demandiez si la régulation de l'économie financière était suffisante. Jusqu'ici, j'ai surtout dû répondre aux inquiétudes de la FBF, qui la jugeait excessive. Je nous crois en réalité parvenus à un point d'équilibre entre les revendications des banques et la nécessité d'encadrer leur activité. Je mesure bien les craintes d'une domination de la sphère financière. Tout de même, le travail mené depuis la précédente crise financière de 2008 a été utile et a ramené l'équilibre. Nous avons la chance de disposer en France de banques puissantes à l'échelle européenne et largement consacrées au financement de l'économie réelle. Par leur activité de banque de détail, elles contribuent en grande part au financement des PME et des particuliers. On ne peut pas laisser aux banques le soin de choisir elles-mêmes leur régulation bancaire, pour autant je ne peux basculer dans l'autre extrême et refuser de tenir compte des spécificités de leurs activités. Nous sommes au bon point d'équilibre. Insistons sur le fait qu'il n'y aura pas de Bâle IV. Il me paraît important de stabiliser la réglementation. Bâle III marque l'achèvement d'un chantier en construction depuis dix ans.
Monsieur Coquerel, vous m'avez interpellé sur les suppressions de postes à la Banque de France. Nous ne fermons pas des caisses de gaieté de cœur ni par posture idéologique. L'usage des billets a fortement reculé, de 40 % jusqu'en 2020, et à nouveau dans les quatre ans à venir selon nos prévisions. Nous avons toutefois dimensionné notre réseau de caisses en conservant une marge de précaution. Une clause de rendez-vous en 2022 permettra de mettre en évidence une évolution plus durable au lendemain de la crise. Je suis en complet désaccord avec votre usage du terme « privatisation ». La Banque de France compte parmi les rares banques centrales européennes engagées dans la production publique de billets, de même que dans la distribution de billets sur tout le territoire à travers son réseau de caisses, alors que nombre de ses homologues passent par un réseau privé. Nous n'en restons pas moins attachés à un service public performant. Un service public performant, c'est l'exact contraire d'une privatisation que je ne souhaite pas plus que vous. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces, y compris pour les raisons que vous évoquez d'inclusion sociale. Nous avons pour mission de garantir la liberté de choix des moyens de paiement, car elle participe de la confiance dans la monnaie.
Je crois les modèles internes légitimes. Il faut malgré tout les surveiller, rôle qui revenait autrefois à l'ACPR et qui échoit maintenant au superviseur européen. Son examen ciblé des modèles internes s'est plutôt conclu par une bonne reconnaissance des modèles français. Il faut aussi les encadrer, et c'est là qu'intervient le plancher en capital. C'est plus qu'un ajustement. Je ne crois pas qu'il s'agira d'une transposition au rabais, et je mettrai toute ma conviction en faveur de la juste transposition à la lettre de Bâle III. Je ne permettrai pas que l'on cède à la tentation de l'oubli. Nous ne pouvons pas prendre le risque, douze ans après la dernière crise financière, de baisser la garde en revenant sur la régulation financière, au risque de fragiliser la stabilité du système.
Le recours des banques aux marchés financiers pour faire face aux exigences de Bâle III ne me paraît heureusement pas nécessaire car, si tel était le cas, les conditions ne joueraient clairement pas en leur faveur. Les banques européennes sont sous-valorisées pour diverses raisons, dont leur taille. La transposition de Bâle III, sans dénaturer ces accords, se traduira par des conséquences raisonnables en termes d'augmentation des exigences en capital pour les banques françaises. Je reste moi aussi attaché à l'atout que représente l'industrie bancaire pour l'économie française.
Les débats autour de la transposition de Bâle II interviennent à un moment particulier : celui du financement de la reconstruction avec tous les besoins d'investissement et de financement des entreprises et des particuliers qu'elle suppose. Le chemin vers Bâle III est parfaitement compatible avec la conjoncture. Nous souhaitons tous la reprise de l'investissement, que nous constatons déjà, et veillons au bon financement de la reconstruction.