Je ne saurais répondre à la place des banques espagnoles. Les banques françaises, qui ont beaucoup travaillé sur leurs modèles internes, ont acquis un savoir-faire dans ce domaine. L'ACPR, le superviseur historique, détient une compétence reconnue en matière de surveillance de ces modèles, qui existe moins ailleurs en Europe. Dans cette défense raisonnée des modèles internes, nous nous sommes souvent trouvés dans une position singulière.
Vous dites que les banques américaines, aux bilans plus risqués, auraient un moindre avantage à recourir aux modèles internes. Il est vrai qu'elles présentent plus de risques, d'abord car elles sortent les crédits immobiliers de leur bilan en les titrisant. La seconde raison tient au modèle de financement de l'économie qui suit, aux États-Unis, un modèle différent. Une plus grande proportion d'entreprises se finance sur les marchés, et seul un tiers des encours aux entreprises proviennent des banques. Concentrés de ce fait sur les PME, ils passent pour davantage risqués. Il ne faudrait pas en conclure que les banques américaines n'auraient pas intérêt à utiliser des modèles internes. Notons au passage qu'un modèle standard ne pondère pas de la même façon un crédit à une PME, un crédit immobilier, et un crédit à une grande entreprise ou à une collectivité. Il tient compte de cette différence. Le modèle interne, lui, tient en outre compte de l'histoire passée de la banque et des leçons qu'elle a tirées concernant son propre portefeuille de risque.
Je défends les modèles internes, mieux adaptés à la structure de risque. Le soupçon n'en résulte pas moins que les banques soient à la fois juge et partie, et qu'elles profitent de ces modèles internes pour diminuer leur charge en capital. Il revient au superviseur de s'assurer qu'il n'en est pas ainsi. Le modèle interne est plus fondé dans son principe, il ne donne que l'avantage de l'expérience historique de la banque considérée, mais ne fait pas disparaître le fait qu'un crédit aux PME est plus risqué qu'un crédit immobilier par exemple.
Nous n'avons pas encore atteint l'Union bancaire en dépit du progrès significatif qu'a marqué en 2014 la supervision unie. Elle a renforcé la sécurité du système bancaire européen, notamment dans des pays où la supervision s'exerçait de manière plus lâche qu'en France. Il nous reste à nous attaquer à deux piliers encore : la résolution et la garantie des dépôts. Nous ne sommes pas encore parvenus à constituer de banques européennes présentes dans plusieurs pays de l'UE. Je le regrette. D'une part, car si certaines banques atteignaient une taille critique, il leur serait plus facile de réaliser d'indispensables investissements numériques à coût fixe. D'autre part, des banques à l'échelle européenne contribueraient à une meilleure circulation de l'épargne privée à travers les frontières internes de la zone euro. Il faut donc continuer à avancer là-dessus.
Quels sont les principaux obstacles ? La garantie des dépôts a été évoquée. Pourtant, si certains progrès sur le sujet sont souhaitables, la complète mutualisation de la garantie des dépôts entre les 19 États de la zone euro ne me semble pas un prérequis aux avancées en vue de l'Union bancaire. Des étapes partielles sont possibles, par exemple des accords de financement entre les schémas nationaux de garantie des dépôts. Le principal obstacle à l'Union bancaire, d'ordre politique, réside dans la multiplication des exigences qu'imposent les pays hôtes de filiales par rapport aux pays sièges des grands groupes bancaires. Demander des exigences en capital et en liquidité filiale par filiale, c'est un obstacle à la constitution de groupes transfrontières. La France s'est engagée pour tenter de lever cette difficulté avec l'appui de quelques alliés. Nous devons envisager des solutions pragmatiques afin de disposer enfin de banques véritablement européennes. Un exemple : lorsque le superviseur européen a dit l'année dernière qu'il acceptait, dans le cas d'une consolidation, de reconnaître l'effet favorable d'une fusion sur le capital, cela a été un élément favorable aux consolidations.
Je ne suis malheureusement pas en mesure de communiquer un calendrier en ce qui concerne la levée de ces blocages. Nous restons mobilisés. Le principal handicap de l'UE par rapport aux États-Unis ne vient pas de Bâle III, mais de la taille de nos banques. Les cinq principales banques américaines se partagent plus de 40 % du marché de détail contre 20 % seulement pour leurs homologues européennes.
Je ne pense pas que Bâle III entraînera une diversification des sources de financement. La crainte de devoir davantage recourir aux marchés s'exprime depuis dix ans. La part du financement de l'économie française assuré par les banques a en réalité peu varié, ces dix dernières années. Elle tourne autour de 63 %, soit une proportion inférieure à la moyenne européenne, liée au nombre significatif de grandes entreprises dans notre pays.
Je n'ai repéré aucun phénomène de diversification des métiers ou des filiales, ce qui n'exclut pas des évolutions. La principale menace qui pèse aujourd'hui sur le secteur bancaire vient des solutions de paiement développées par les géants américains du numérique, d'où l'importance de l' European Payments Initiative (EPI) pour avoir une solution européenne.
Il convient de rester vigilant sur le lien entre risques bancaires et souverains. C'est un point d'attention : la dette souveraine de nombreux pays a en effet beaucoup augmenté. La Banque centrale européenne (BCE) et la Banque de France en ont pris leur part dans le cadre de la politique monétaire. Les acteurs du secteur bancaire et des assurances financent une proportion significative de la dette souveraine. Le sujet se pose moins en France, mais j'attache de l'importance à la diversification des investisseurs en dette souveraine (résidents et non-résidents).
Monsieur Bricout, vous semblez craindre que la position de la France et de l'Allemagne se traduise par une transposition au rabais de Bâle III. Je ne le crois pas. Il faut, selon moi, appliquer de manière raisonnable le plancher de capital sans diminuer la sécurité apportée par Bâle III. Le ministre de l'économie m'appuie en ce sens.
Dans l'état actuel de nos informations, il ne semble pas que la transposition de Bâle III aux États-Unis requière un passage par le Congrès. La « Fed » a déclaré qu'elle imposerait les règles qui en découlent d'ici la fin de l'année. Notons que la tendance actuelle de l'administration et du Congrès démocrates pousse plutôt au durcissement des exigences imposées au secteur financier américain. Étant donné que, même sous la présidence de Donald Trump, Bâle III n'a pas été remis en cause, je vois mal les États-Unis contester aujourd'hui ces accords. Si jamais ce scénario, improbable, se concrétisait, je serais le premier à dire que c'est un élément nouveau et qu'il ne faut pas que la France et l'Europe transposent seules Bâle III. La crainte des banques françaises que l'UE s'avère la seule à transposer ces accords me paraît infondée. En réalité, le monde entier attend aujourd'hui la transposition de Bâle III par l'UE.
Il faudra en principe compter deux ans de débats à partir de la proposition de la Commission européenne en septembre prochain avant que la transposition devienne effective dans tous les pays.
Avant même la crise du Covid, le crédit bancaire aux PME a augmenté de plus de 6 % par an entre 2016 et 2019. En 2020, il a progressé de 20 %. L'alerte au financement des PME ne s'est donc jamais réalisée. Bâle III s'avère parfaitement compatible avec le modèle de financement de notre économie : nous allons garder le facteur de soutien aux PME spécifique à l'Europe. C'est une clientèle extrêmement importante pour les banques. Je m'engage, fort de l'autorité de l'institution que je représente ici, à ce que Bâle III n'entraîne aucun risque de freinage en France du crédit aux PME. Nous ne l'avons pas vu depuis dix ans et nous ne le verrons pas.
Monsieur Castellani, vous demandiez si la régulation de l'économie financière était suffisante. Jusqu'ici, j'ai surtout dû répondre aux inquiétudes de la FBF, qui la jugeait excessive. Je nous crois en réalité parvenus à un point d'équilibre entre les revendications des banques et la nécessité d'encadrer leur activité. Je mesure bien les craintes d'une domination de la sphère financière. Tout de même, le travail mené depuis la précédente crise financière de 2008 a été utile et a ramené l'équilibre. Nous avons la chance de disposer en France de banques puissantes à l'échelle européenne et largement consacrées au financement de l'économie réelle. Par leur activité de banque de détail, elles contribuent en grande part au financement des PME et des particuliers. On ne peut pas laisser aux banques le soin de choisir elles-mêmes leur régulation bancaire, pour autant je ne peux basculer dans l'autre extrême et refuser de tenir compte des spécificités de leurs activités. Nous sommes au bon point d'équilibre. Insistons sur le fait qu'il n'y aura pas de Bâle IV. Il me paraît important de stabiliser la réglementation. Bâle III marque l'achèvement d'un chantier en construction depuis dix ans.
Monsieur Coquerel, vous m'avez interpellé sur les suppressions de postes à la Banque de France. Nous ne fermons pas des caisses de gaieté de cœur ni par posture idéologique. L'usage des billets a fortement reculé, de 40 % jusqu'en 2020, et à nouveau dans les quatre ans à venir selon nos prévisions. Nous avons toutefois dimensionné notre réseau de caisses en conservant une marge de précaution. Une clause de rendez-vous en 2022 permettra de mettre en évidence une évolution plus durable au lendemain de la crise. Je suis en complet désaccord avec votre usage du terme « privatisation ». La Banque de France compte parmi les rares banques centrales européennes engagées dans la production publique de billets, de même que dans la distribution de billets sur tout le territoire à travers son réseau de caisses, alors que nombre de ses homologues passent par un réseau privé. Nous n'en restons pas moins attachés à un service public performant. Un service public performant, c'est l'exact contraire d'une privatisation que je ne souhaite pas plus que vous. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces, y compris pour les raisons que vous évoquez d'inclusion sociale. Nous avons pour mission de garantir la liberté de choix des moyens de paiement, car elle participe de la confiance dans la monnaie.
Je crois les modèles internes légitimes. Il faut malgré tout les surveiller, rôle qui revenait autrefois à l'ACPR et qui échoit maintenant au superviseur européen. Son examen ciblé des modèles internes s'est plutôt conclu par une bonne reconnaissance des modèles français. Il faut aussi les encadrer, et c'est là qu'intervient le plancher en capital. C'est plus qu'un ajustement. Je ne crois pas qu'il s'agira d'une transposition au rabais, et je mettrai toute ma conviction en faveur de la juste transposition à la lettre de Bâle III. Je ne permettrai pas que l'on cède à la tentation de l'oubli. Nous ne pouvons pas prendre le risque, douze ans après la dernière crise financière, de baisser la garde en revenant sur la régulation financière, au risque de fragiliser la stabilité du système.
Le recours des banques aux marchés financiers pour faire face aux exigences de Bâle III ne me paraît heureusement pas nécessaire car, si tel était le cas, les conditions ne joueraient clairement pas en leur faveur. Les banques européennes sont sous-valorisées pour diverses raisons, dont leur taille. La transposition de Bâle III, sans dénaturer ces accords, se traduira par des conséquences raisonnables en termes d'augmentation des exigences en capital pour les banques françaises. Je reste moi aussi attaché à l'atout que représente l'industrie bancaire pour l'économie française.
Les débats autour de la transposition de Bâle II interviennent à un moment particulier : celui du financement de la reconstruction avec tous les besoins d'investissement et de financement des entreprises et des particuliers qu'elle suppose. Le chemin vers Bâle III est parfaitement compatible avec la conjoncture. Nous souhaitons tous la reprise de l'investissement, que nous constatons déjà, et veillons au bon financement de la reconstruction.