Intervention de Véronique Louwagie

Réunion du mercredi 26 mai 2021 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie, rapporteure spéciale (Santé :

) . Je vais d'abord vous présenter quelques éléments sur l'exécution budgétaire en 2020 de la mission Santé, puis vous rendre compte de l'évaluation que j'ai menée sur le coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière.

La mission Santé est composée de deux programmes, le programme 183 qui finance surtout l'aide médicale de l'État (AME) et le programme 204 qui finance des dépenses de structuration de l'offre de soins. En 2020, l'exécution de ces postes budgétaires s'est établie à 1 766 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 1 724 millions en crédits de paiement, soit des montants supérieurs de plus de 50 % aux crédits initiaux. Cette sur-exécution trouve bien sûr son origine dans la crise sanitaire.

Les dépenses du programme 183 se sont établies à 936 millions et ont été globalement conformes aux prévisions. Pour l'AME, elles sont même en retrait de 1 % par rapport à l'exercice 2019, en raison de la modération des dépenses induite par la crise sanitaire.

Les dépenses du programme 204 se sont établies à 830 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 788 millions d'euros en crédits de paiement, soit un niveau quatre fois supérieur aux prévisions. Cet écart s'explique par la crise sanitaire. Les dépenses supplémentaires rendues nécessaires par cette crise n'ont pas été financées par des crédits ouverts en loi de finances rectificative mais au moyen d'un fonds de concours alimenté par Santé publique France. Les dépenses ainsi exécutées apparaissent sincères, mais pour se prononcer définitivement, il faudra attendre la présentation à l'été prochain des travaux que la Cour des comptes conduit sur ce sujet à la demande de notre commission.

J'en viens à l'évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière.

Contrairement à une croyance répandue, ces soins ne sont pas prodigués uniquement dans le cadre de l'AME. En effet, au moins onze dispositifs différents existent en la matière. L'AME est bien sûr au centre de cette organisation, avec un panier de soins sans équivalent : ailleurs en Europe, les soins pris en charge se limitent aux soins urgents et vitaux.

À côté de l'AME, il y a donc au moins dix autres dispositifs, d'importance variable. Il s'agit du maintien de droits à l'assurance maladie, des soins dispensés à Mayotte, des soins prodigués dans les centres de rétention administrative, de la mission d'intérêt général dédiée à la précarité, des permanences d'accès aux soins de santé, de l'admission au séjour pour soins, des soins en détention, des équipes mobiles psychiatrie précarité, des SAMU sociaux et de dépenses fiscales. Je vous renvoie au rapport pour la présentation détaillée de ces dispositifs.

À l'issue de mes travaux, je suis parvenue à estimer le coût de six de ces onze dispositifs, dont les principaux. Pour 2019, il est de l'ordre de1,5 milliard d'euros, soit près de 600 millions de plus que le seul coût de l'AME. Un milliard et demi par an, c'est plus que le budget annuel du troisième ensemble hospitalier de France, l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille, qui compte quatre hôpitaux et 14 000 salariés.

Si ce chiffrage, je le sais, présente certaines limites, j'insiste sur le fait qu'il est partiel puisqu'il devrait être complété par le coût des cinq dispositifs qui ne sont pas encore évalués.

Quelques mots sur le dispositif de maintien des droits expirés à l'assurance maladie, que l'on connaît peu. Dans son principe, le mécanisme est intéressant : un étranger dont le titre de séjour arrive à expiration bénéficie d'une prolongation automatique de son droit à l'assurance maladie pendant six mois, afin de couvrir un éventuel retard dans le traitement de sa demande de renouvellement de titre de séjour par les préfectures ou par l'assurance maladie – ce qui peut arriver. Mais la mise en œuvre de ce dispositif est contestable.

En premier lieu, les conditions d'accès sont beaucoup trop lâches. Le code de la sécurité sociale n'impose pas d'engager une démarche de renouvellement pour bénéficier du dispositif. Juridiquement, un étranger qui réside à peine quatre mois en situation régulière en France puis bascule volontairement dans l'irrégularité bénéficiera d'une prolongation de droit d'au moins six mois. Cela n'est pas acceptable.

En second, la durée du maintien de droit est souvent bien supérieure à six mois. Des contrôles engagés en 2020 ont ainsi identifié plus de 200 000 dossiers où la prolongation des droits était supérieure à un an.

En 2020, la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) a renforcé ses contrôles, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Le résultat en est inquiétant. Sur les 400 000 dossiers bénéficiant d'une prolongation de droits qui doivent être contrôlés, 230 000 l'ont déjà été. Dans 13 % des cas des affiliations irrégulières ont été constatées, au motif que les étrangers concernés s'étaient vu refuser le renouvellement de leur titre de séjour ou n'avaient pas sollicité ce renouvellement.

Dans 13 % des cas donc, les bénéficiaires du dispositif de maintien de droit étaient des étrangers en situation irrégulière sans aucune perspective de renouvellement d'un titre de séjour et qui auraient dû relever de l'AME. Si l'on applique ce ratio de 13 % aux 400 000 dossiers dont le contrôle est en cours, on arrive à plus de 50 000 étrangers en situation irrégulière bénéficiant de la protection universelle maladie (PUMA) et de la complémentaire santé solidaire alors qu'ils devraient relever de l'AME.

Cela n'est pas acceptable. D'une part, cela conduit à ce que des étrangers en situation irrégulière bénéficient d'une couverture santé à laquelle ils n'ont pas droit. D'autre part, cela fait supporter à l'assurance maladie une dépense qui devrait être prise en charge par l'État au titre de l'AME. Enfin cela modifie l'estimation du nombre d'étrangers en situation irrégulière, qui repose aujourd'hui largement sur le nombre de bénéficiaires de l'AME.

En effet, en se fondant sur un nombre de bénéficiaires de l'AME de 370 000 en 2020, on estime qu'il y a environ 400 000 étrangers en situation irrégulière en France métropolitaine. Mais si l'on ajoute à ces 370 000 bénéficiaires de l'AME les 50 000 étrangers qui profitent du dispositif de maintien des droits, on voit que le nombre total d'étrangers en situation irrégulière est probablement plus proche de 450 000 en métropole, 500 000 en prenant en compte les outre-mer.

À mon sens, l'offre de soins proposée en France aux étrangers en situation irrégulière est très généreuse, et même trop. Aucun autre pays en Europe ne permet à un étranger en situation irrégulière de bénéficier par exemple, comme le permet l'AME, d'une intervention chirurgicale pour faire recoller ses oreilles ou poser un anneau gastrique. Aucun autre pays en Europe ne maintient les droits à l'assurance maladie de 50 000 étrangers en situation irrégulière pendant au moins six mois.

Un seul autre pays en Europe, la Belgique, permet de régulariser des personnes pour motif de santé. Le principe de l'admission au séjour pour soins est une réalité socialement de moins en moins acceptable. Non, notre pays ne doit plus délivrer 13 500 titres de séjour chaque année sur ce fondement. Cela pèse sur notre système de soins et alimente une immigration pour soins que l'on ne peut plus refuser de voir.

Mon rapport présente plusieurs documents obtenus dans le cadre de mes pouvoirs spéciaux, notamment une note de la direction de la sécurité sociale évoquant une filière géorgienne identifiée en 2015, organisant la venue, pour des traitements de la tuberculose et des dialyses, d'étrangers en situation irrégulière ayant pour un grand nombre d'entre eux un passé carcéral. Si cet exemple ne résume évidemment pas les soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière, il en illustre les dérives.

L'exception française, ou plutôt l'anomalie française doit cesser. L'AME doit être recentrée sur les soins urgents, les conditions d'accès au dispositif du maintien des droits doivent être resserrées, la procédure d'admission au séjour pour soins doit être fortement restreinte et la protection santé des demandeurs d'asile issus de pays d'origine sûrs doit être modifiée pour dissuader une immigration irrégulière pour soins. Un ressortissant moldave qui a 0,2 % de chances de voir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) accéder à sa demande d'asile ne doit plus disposer de la même protection santé qu'un ressortissant d'un autre pays ayant de fortes chances d'obtenir l'asile.

Monsieur le ministre je vous invite à nous faire part de vos intentions en ce domaine.

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