En 2020, près de 30 milliards d'euros ont été exécutés pour la mission Solidarité, insertion et égalité des chances. Après une hausse de près de 5 milliards d'euros entre 2018 et 2019, cela représente une nouvelle augmentation de plus de 4 milliards. Cela s'explique par l'évolution structurelle de la dépense, mais aussi par les mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire. Au total, 2,75 milliards d'euros supplémentaires ont été ouverts par les différentes lois de finances rectificatives adoptées en 2020 et le montant des crédits consommés excède naturellement l'autorisation initiale.
L'impact net de la crise sanitaire sur la mission s'élève à 2,4 milliards d'euros. Des crédits de 2 milliards ont été ouverts en cours de gestion sur le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes pour financer deux vagues d'aides exceptionnelles de solidarité, qui ont bénéficié à 4,3 millions de foyers et à 600 000 jeunes non étudiants percevant des aides au logement. Je salue l'ouverture de ces aides en décembre 2020 aux 200 personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution, particulièrement fragiles, bénéficiaires de l'aide financière à l'insertion sociale et professionnelle (AFIS).
Parmi les autres mesures importantes prises durant l'année, 94 millions d'euros supplémentaires ont été alloués à deux plans d'urgence d'aide alimentaire, et 50 millions ont permis de maintenir la prise en charge des jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance durant l'état d'urgence sanitaire. Les travailleurs handicapés accueillis en ESAT (établissements et services d'aide par le travail) ont vu aussi leur rémunération intégralement maintenue. Des moyens supplémentaires ont également été alloués à la protection des femmes victimes de violences.
Par ailleurs, la prime d'activité a assuré un rôle d'amortisseur en compensant une partie des pertes de revenus des salariés placés en activité partielle. Les dépenses afférentes à ce dispositif frôlent désormais les 10 milliards d'euros, soit un tiers de l'exécution de la mission.
Au regard de ces éléments, monsieur le ministre, nous saluons la réactivité de l'État et l'ampleur des moyens mobilisés. J'aimerais savoir si le Gouvernement a engagé des travaux d'évaluation permettant de dresser un bilan des mesures d'urgence financées par la mission.
Je ferai plusieurs remarques. D'abord, les dépenses de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ont été sous-budgétisées : nous recommandons au Gouvernement de mieux tenir compte des prévisions établies par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) à l'automne pour construire le budget de l'AAH. Les dépenses consacrées à la prise en charge et à l'évaluation des mineurs non accompagnés ont baissé de près de moitié en 2020 par rapport à 2019. Si cela s'explique par des arrivées moins nombreuses et les perturbations induites par le confinement, cette évolution est aussi conjoncturelle. Nous estimons nécessaire de maintenir un niveau élevé de dépenses sur cette politique publique et recommandons que les économies réalisées sur ce poste servent à abonder les mesures dédiées aux mineurs non accompagnés dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance.
Nous manquons également d'un dispositif d'accueil des jeunes étrangers évalués comme majeurs à leur arrivée sur notre territoire. Ces tout jeunes gens sont soumis aux dispositifs de droit commun des adultes, qui ne sont pas adaptés : ils ont besoin d'autre chose que du toit pour dormir que leur fournit le 115, même si cela reste essentiel. Plutôt que de les voir livrés à eux-mêmes, souvent dans les rues, sur nos places, dans des squats, ne devrions-nous pas leur proposer un accueil effectif, un hébergement, l'accès au droit et aux soins, une formation le cas échant, ou un accompagnement au retour dans leur pays d'origine ?
La situation de ces jeunes majeurs étrangers est vectrice de beaucoup de précarité, de risques pour eux et aussi pour la société. Quels adultes vont-ils devenir après le parcours parfois très douloureux qu'ils ont déjà derrière eux ? Quels risques prend-on à ne pas adapter nos dispositifs d'accueil à ce nouveau public qui est désormais présent partout sur le territoire national, y compris dans nos petites villes ? Considérer qu'ils n'ont qu'à repartir ou aller voir ailleurs, comme je peux l'entendre parfois, ou même le lire en cette période électorale, c'est méconnaître leur parcours et leur réalité de vie. Ce problème de manque de dispositifs adaptés, que j'ai déjà identifié dans mes précédents rapports, doit être pris à bras-le-corps. Il faut éviter que ces jeunes ne se trouvent livrés à eux-mêmes, sans accompagnement ni soutien.
Le thème que nous avons choisi d'approfondir concerne le RSA jeune actif. Créé en 2010, ce dispositif étend les conditions d'octroi du RSA aux jeunes de moins de 25 ans ayant accumulé une durée de travail de deux ans au cours des trois années précédant leur demande – autant dire que leur nombre est limité. Financé par l'État pour près de 5 millions d'euros, il concerne 860 jeunes actuellement. Le nombre de bénéficiaires du RSA jeune actif n'a jamais dépassé 9 200 en une année : on est loin de l'objectif visé à sa création, qui était d'environ 160 000 personnes. Bref, le RSA jeune n'a pas trouvé son public parmi les jeunes insérés sur le marché du travail, et n'a pas su non plus être un instrument de lutte contre la précarité.
Les causes de cet échec sont connues. Elles tiennent à l'esprit de compromis qui a prévalu alors qu'il aurait fallu une politique publique aux contours nets. Ce ciblage défaillant tient à des critères d'éligibilité restrictifs et complexes, parfois même incohérents. Et pour cause : je rappelle que ce RSA jeune actif a été intégré par voie d'amendement dans le projet de loi de finances pour 2010, sans évaluation préalable, à la suite d'une annonce du Président de la République. Par ailleurs, nous avons été marqués par la difficulté à récolter des données sur les caractéristiques de ses bénéficiaires et leur parcours. Que ce dispositif soit d'une taille particulièrement réduite ne justifie pas que son suivi soit lacunaire, compte tenu de l'importance qui doit être donnée aux politiques à l'endroit de la jeunesse.
Dans un deuxième temps, le RSA jeune actif a été supplanté par la prime d'activité et la garantie jeunes, plus adaptées pour accompagner les jeunes vers l'emploi. Si les dispositifs d'accompagnement rémunéré à destination des jeunes se multiplient et se renforcent, comme le plan « 1 jeune, 1 solution », ils ne sauraient remplacer une prestation de solidarité globale, ouverte sous seule condition de ressources. La garantie jeunes ou le parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) par exemple sont des dispositifs intéressants et pertinents, mais limités dans le temps. Leur durée a été allongée récemment, mais elle peut rester insuffisante pour certains jeunes, ne permettant pas un accompagnement effectif sur une période de précarité prolongée. Ces dispositifs ne sont pas non plus adaptés aux publics particulièrement fragiles ayant des difficultés d'accès à leurs droits. Durant nos auditons, les cas de jeunes quittant l'aide sociale à l'enfance ou sortant de prison ont plusieurs fois été évoqués. De surcroît, la situation des jeunes s'est dégradée du fait de la crise, alors que le taux de pauvreté des 18-25 ans s'élevait déjà à 24 % en 2018. Les récentes destructions d'emplois ont principalement frappé des secteurs dans lesquels les jeunes sont nombreux.
Entre la situation actuelle de précarité de nombreux jeunes et une extension pure et simple du RSA à tous les jeunes de moins de 25 ans, il y a matière à trouver une solution intermédiaire. C'est le sens de nos propositions. D'ailleurs, l'extension du RSA, sans ouvrir le débat sur sa pertinence, se heurterait à la difficulté objective de mesurer l'ensemble des ressources des jeunes. Ces derniers peuvent en effet bénéficier de nombreux transferts intrafamiliaux ainsi que d'aides fiscales et sociales, versées à eux-mêmes ou à leurs parents, comme les aides au logement et les bourses.
Il convient donc de définir un dispositif ciblé et adapté à la situation des jeunes qui en ont le plus besoin. Les concertations lancées en 2019 pour définir un revenu universel d'activité (RUA) ont été interrompues par la crise sanitaire. Elles ont été relancées récemment, sous l'égide du rapporteur général à la réforme du RUA. Nous souhaitons qu'elles aboutissent rapidement et que le RUA soit ouvert au moins aux jeunes décohabitants sortis d'études, dont 150 000 vivent sous le seuil de pauvreté. Le besoin de financement à cet effet est estimé à près de 1 milliard d'euros.
En plus d'être lisible et plus équitable, ce RUA permettrait de cibler ceux qui en ont particulièrement besoin, dans l'universalité et avec la garantie que nous n'abandonnons aucun jeune en rupture familiale ou en situation de précarité. C'est une politique sociale globale qui ne s'embarrasse pas de compromis et qui fait le choix assumé de la solidarité. Nous espérons que notre analyse et nos propositions éclaireront les décisions à venir en matière de jeunesse.