Intervention de Olivier Véran

Réunion du mercredi 26 mai 2021 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

Merci pour votre invitation pour le Printemps de l'évaluation, que j'ai connu en tant que parlementaire sur les bancs de la commission des affaires sociales : c'est un bel exercice démocratique.

L'exercice budgétaire de l'année 2020, on peut le comprendre, a été exceptionnel. Pour les quatre programmes budgétaires placés sous ma responsabilité, 17,6 milliards d'euros ont été exécutés contre 14,8 ouverts en loi de finances initiale, soit un taux d'exécution loin d'être habituel de 120 %. Je ne rappellerai pas les circonstances exceptionnelles qui l'expliquent.

En 2020, quatre lois de finances rectificatives ont ouvert au total 2,2 milliards d'euros sur les programmes budgétaires dont j'ai la charge. En matière de santé, la mobilisation du fonds de concours alimenté par Santé publique France (SPF) s'est faite à hauteur de 700 millions d'euros. Elle a permis d'injecter très rapidement des fonds sur le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins, de manière à répondre aux besoins les plus urgents. Nous avons ainsi pu centraliser les achats de masques et de tests par exemple, et affronter, dans les conditions extrêmement tendues que vous connaissez, la brutalité et la soudaineté de l'épidémie. Je vous donne le détail : 312 millions d'euros pour du matériel médical, masques et respirateurs par exemple, 132 millions versés à l'Union européenne pour financer des acomptes pour les achats de vaccins, 146 millions pour acheminer et distribuer du matériel, notamment les masques, et 16 millions pour tout ce qui est application numérique, type SI-DEP.

C'est vraiment important : cette réactivité forte nous a permis de ne jamais être en difficulté pour financer cela.

Outre les mesures sanitaires, il fallait aussi des moyens de protection pour nos concitoyens les plus précaires, qui ont été davantage fragilisés par les circonstances. Nous avons dû contenir autant que possible le risque d'une précarisation galopante. Trois allocations exceptionnelles ont servi cet objectif. La première a été versée en mai 2020 à 4,1 millions de foyers en difficulté, pour 880 millions d'euros ; la deuxième en juin à 800 000 jeunes en difficulté, pour 160 millions d'euros ; et la troisième en octobre à 4,7 millions de foyers, pour 970 millions d'euros. Ont été aussi engagés 94 millions pour soutenir l'aide alimentaire, soit plus du double des crédits prévus, qui nous ont permis de soutenir 5 millions de personnes, avec l'aide de centaines de milliers de bénévoles.

On peut constater que les outils dont nous disposons fonctionnent. Nous avons su dégager les moyens nécessaires, quand il le fallait, avec toute la réactivité nécessaire. Les Français sont fiers de leur protection sociale, fiers d'un État soucieux de ne pas les laisser au bord du chemin. Ils ont raison, car on a vu dans certains pays, même riches, certaines images qui pouvaient faire froid dans le dos. À l'issue de la crise bancaire et économique de 2008, la France, qui avait des filets de protection sociale très importants, avait compté trois fois moins de nouveaux pauvres que ses voisins allemands par exemple. C'est là que le rôle d'amortisseur de la protection sociale prend tout son sens. C'est l'esprit même de la création de la Sécu que de pouvoir protéger, dans des situations exceptionnelles, avec des mesures exceptionnelles.

Cela a un coût. C'est grâce au « quoi qu'il en coûte » que la France a payé le salaire de millions de salariés. C'est grâce au « quoi qu'il en coûte » que les restaurants et les commerces ont rouvert il y a quelques jours – autrement, ils auraient déjà fait faillite. Ces aides, monétaires et en nature, sont allées à des millions de gens qui ne pouvaient plus faire les courses dans la supérette low-cost, qui ne pouvait plus joindre les deux bouts grâce à un petit boulot d'appoint, qui ne pouvait plus manger au restaurant universitaire. Nous verrons sans doute dans l'évolution comparée de la précarité en France et dans les autres pays européens que c'était un choix non seulement plus humain, et revendiqué comme tel, mais aussi un choix gagnant.

Depuis un an et demi, nous avons d'une certaine manière retrouvé les valeurs les plus fondamentales de notre pacte social : la santé pour chacun, les solidarités pour tous. Nous n'avons pas suivi une autre boussole.

Vous avez souhaité approfondir deux sujets qui soulèvent des questions légitimes : le RSA jeune actif et les soins accordés aux étrangers en situation irrégulière. Je commence par le RSA jeune actif, qui concerne 910 foyers à la fin septembre 2020 pour un budget annuel inférieur à 5 millions d'euros. Ce nombre est en baisse continue depuis 2012, où il atteignait 9 000 foyers.

Cette tendance est due à la fois à des facteurs propres au dispositif et à l'évolution du paysage des prestations. L'une des conditions d'éligibilité, le fait d'avoir exercé une activité à temps plein pendant deux ans, est très stricte : peu de jeunes de moins de 25 ans peuvent en justifier, hormis ceux pleinement insérés dans la vie professionnelle, qui ne sont généralement pas concernés.

Mais c'est plus globalement la pertinence du dispositif qui peut être remise en question. Le paysage des prestations à destination des jeunes s'est en effet considérablement étoffé, avec la création de la garantie jeunes et de la prime d'activité. L'ouverture de la prime d'activité aux travailleurs dès l'âge de 18 ans dans les conditions de droit commun a marqué un changement important par rapport au RSA activité, dont l'accès en tant qu'allocataire ou conjoint était essentiellement réservé aux jeunes parents. La proportion des 18-25 ans dans les bénéficiaires de la prime d'activité a par ailleurs légèrement augmenté avec la revalorisation exceptionnelle de la prime en 2019. Fin septembre 2020, la prime d'activité était versée à 780 000 foyers de jeunes de moins de 25 ans, pour un montant moyen de 141 euros.

Les jeunes ont aussi la possibilité de solliciter d'autres aides financières, dans le cadre d'un parcours d'insertion ou d'une recherche d'emploi. C'est d'ailleurs la priorité absolue du Gouvernement de ne laisser aucun jeune sans solution. La garantie jeunes apporte une aide financière aux jeunes dont les ressources mensuelles ne dépassent pas 1 243 euros. De son côté, le plan « 1 jeune, 1 solution » mobilise 7 milliards d'euros. Sept milliards pour un plan d'insertion et d'accompagnement des jeunes, c'est du jamais vu, sous aucun gouvernement ! D'aucuns trouvent encore que nous ne faisons pas assez de social, et les autres que nous en faisons trop.

Ce plan regroupe des aides à l'embauche et des programmes de formation ou d'accompagnement pour répondre aux difficultés des jeunes précaires en matière de recherche d'emploi. S'y ajoutent d'autres mesures exceptionnelles, comme les repas à 1 euro dans les restaurants universitaires, l'aide forfaitaire de 200 euros versée depuis juin 2020 par les CROUS aux étudiants qui ont perdu leur emploi ou leur stage, l'aide de 200 euros à destination des étudiants ultramarins ou l'aide aux jeunes diplômés boursiers, qui peut atteindre 500 euros par mois.

Par ailleurs, pour favoriser l'accès au droit, le Gouvernement a développé un simulateur d'aides dédiées aux jeunes depuis le mois d'avril.

Il serait donc utile de remettre en question le dispositif du RSA jeune actif, de s'interroger sur l'assouplissement des conditions d'activité préalable, de revoir la durée ou la nature des heures prises en compte par exemple. Mais il me semble que le principal enjeu est de repenser les prestations dans leur ensemble, car en modifiant le seul RSA jeune actif, on provoquerait nécessairement des effets de bord sur la prime d'activité, les aides au logement et autres dispositifs.

Cette refonte globale, c'est tout le projet du revenu universel d'activité, qui a fait l'objet d'un travail administratif et de concertations citoyennes avant d'être malheureusement interrompu par la crise sanitaire. Nous le reprenons pour pouvoir nourrir le débat. Je suis certain que nous aurons l'occasion d'en reparler dans les prochains mois.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées pour une entrée de plain-pied dans ce RUA. La question des flux et des stocks, pardon pour cet horrible langage techno, se pose. Celle des jeunes décohabitants aussi, qu'ils soient dans l'emploi ou en études. Comme vous l'avez dit, il est difficile de savoir de quels soutiens familiaux bénéficie un jeune ; néanmoins, un jeune décohabitant n'est par nature pas logé par ses parents, ce qui crée des conditions de précarisation plus importantes.

Je suis très favorable au RUA pour les jeunes, même si je sais qu'il va soulever d'innombrables questions. Si vous avez compris le paysage des prestations sociales dans notre pays, c'est qu'on vous l'a mal expliqué. Elles sont nombreuses, elles sont complexes, elles ne sont pas toutes versées de façon contemporaine des besoins. Et il faut se montrer très prudent dans ce domaine où chaque mot peut faire naître une crise dans le débat politique, surtout à l'approche de l'année qui commence, et peut vite attirer de mauvais procès.

Ce qui doit à mon avis sous-tendre notre réflexion est un principe de simplification, de modernisation, de contemporanéisation par rapport aux besoins. Il faut un seul revenu, qui aille de pair avec une intégration dans l'emploi, dans la formation professionnelle, dans la reprise des études – mais simple. Il est toujours beaucoup plus compliqué et coûteux de retaper une maison que d'en construire une nouvelle : aujourd'hui, il faut se rendre compte que le toit fuit depuis trop longtemps et que les rustines ne tiennent plus.

Je suis donc très favorable au RUA. Reste à savoir quand, et comment.

S'agissant des soins accordés aux étrangers en situation irrégulière, le principal dispositif est l'AME, avec un certain nombre de prestations complémentaires que Mme Louwagie a citées. Les dépenses et le nombre de bénéficiaires exact de l'AME ainsi que de nombreuses informations sur les bénéficiaires et les soins consommés sont détaillés dans les projets et rapports annuels de performance et les réponses aux questionnaires parlementaires. En 2020, les dépenses réelles engagées au titre de l'AME s'élèvent à 829 millions d'euros. Près de 383 000 bénéficiaires étaient dénombrés fin décembre.

Oui, les étrangers en situation irrégulière non éligibles à l'AME peuvent recevoir des soins hospitaliers lorsque leur pronostic vital est en jeu, au titre du fameux dispositif des soins urgents. En 2020, les dépenses prises en charge par l'État s'établissent à 70 millions d'euros. Outre les effets de la crise sanitaire, elles recouvrent les soins urgents dont ont bénéficié les demandeurs d'asile non couverts par la protection universelle maladie (PUMA) en raison de l'instauration du délai de carence de trois mois.

Il est également possible d'évoquer la mobilisation des permanences d'accès aux soins, les PASS, qui étaient 438 en 2019, et des équipes mobiles psychiatrie précarité, les EMPP, au nombre de 140. Honnêtement, ce sont des relais absolument indispensables. Si vous allez dans une PASS, vous verrez que ce n'est pas luxueux. On fait avec les moyens du bord. Les gens qui y travaillent ont beaucoup de courage, et surtout beaucoup de convictions. Je souhaite les soutenir, développer les PASS là où il n'y en a pas, et en développer aussi dans d'autres domaines comme celui des soins dentaires. On voit encore des gamins à qui on arrache des dents véritablement pourries sans être en mesure de leur poser une prothèse dentaire : en termes de chance dans la vie, c'est déjà mal parti… Le Ségur de la santé a d'ailleurs porté une attention particulière par exemple aux équipes mobiles psychiatriques. Tout se tient : si vous n'apportez pas un soutien à des étrangers en grande difficulté, vous majorez les risques de situations de détresse psychologique, qui seront in fine plus coûteuses.

Dans le cadre du programme 183 de la mission Santé, d'autres prises en charge au titre de l'AME peuvent intervenir pour certains soins de personnes gardées à vue ou placées en centre de rétention administrative, qu'elles soient ou non en situation irrégulière. Cela peut se comprendre : si vous êtes malade dans un centre de rétention, on ne va pas vous demander si vous avez vos papiers avant de vous sauver la vie !

Les dépenses associées à ces dispositifs sont extrêmement faibles au regard des dépenses relatives à l'AME et de soins urgents puisqu'elles s'élèvent à 333 000 euros, soit moins de 0,04 % du montant de l'AME.

S'agissant des personnes dont le titre de séjour a expiré, des droits à l'assurance maladie sont maintenus pour une période de six mois afin de permettre l'accomplissement des démarches de renouvellement des titres sans rupture dans l'accès aux soins. Le système a été pensé justement pour éviter ces ruptures. Pour vous dire le fond de ma pensée, plus vous rognez sur l'AME, plus vous augmentez la dette hospitalière. De toute façon, les gens seront soignés ! C'est le médecin, le citoyen, le ministre qui vous le dit : si quelqu'un a besoin de soins, que ce soit en médecine de ville ou à l'hôpital, il sera soigné, même s'il n'a pas les bons papiers. Donc à chaque fois qu'on rogne sur l'AME, comme dans certains territoires ultramarins qui connaissent des difficultés d'ouverture de droits, cela alourdit considérablement la dette des hôpitaux – ils soignent à l'œil ! L'AME n'est que la reconnaissance par l'État français du fait que des soins sont de toute façon accordés à des gens qui en ont besoin. C'est le principe de réalité qui s'impose.

On peut toujours considérer qu'il y aurait ou non trop de situations d'irrégularité : cela ne change rien au fait que dès lors qu'ils sont en France, les gens sont soignés quand ils en ont besoin. On peut aussi discuter le panier de soins. C'est souvent le cas, et le panier est d'ailleurs parfois révisé. Les exemples que vous avez cités sont véridiques, mais ne sont pas légion, madame la députée : je peux vous fournir le décompte précis des dépenses de l'AME, vous verrez que ce n'est pas le recollement des oreilles qui coûte. Avant, on nous parlait de cures thermales et de procréation médicalement assistée. Maintenant que nous avons dit et répété que cela ne fait pas partie du panier de soins de l'AME, on trouve autre chose. Mais la réalité de la situation est bien différente.

En réalité, l'AME va à des gens qui sont dans une détresse totale. Il y a sans doute des abus, et c'est pour cela que 400 000 contrôles sont en cours, à la demande du Parlement : il est normal et naturel de vérifier les choses. Mais le gros de l'AME, c'est des situations de détresse. Je les vois, dans les lits, parfois dans la rue : il s'agit de gens qui ont vraiment besoin de soins, et des soins qui sont effectivement un peu plus coûteux que pour la population générale, car ces gens ont beaucoup de comorbidités. Y en a-t-il vraiment qui viennent en France pour l'AME ? Honnêtement, on ne traverse pas la Méditerranée sur une barque de fortune parce que les soins pour le diabète ne coûteront pas cher ! Certes il peut y avoir des problèmes avec certains pays, notamment d'Europe de l'Est : il faut les regarder avec lucidité, je l'ai dit quand j'étais parlementaire et rapporteur général du budget de la sécurité sociale, mais ce n'est pas la règle. La très large majorité de ces dépenses sont nécessaires, et incompressibles en l'état actuel de notre pays.

Vous avez cité l'exemple de Mayotte. Le budget du centre hospitalier de Mayotte est de 225 millions d'euros. Il détient le quasi-monopole de l'offre de soins sur l'île. Son activité est à dominante gynécologique et obstétrique – je crois que c'est la première maternité de France ! – mais aussi tournée vers la prise en charge de l'urgence. Il accueille une part importante de population immigrée, notamment comorienne, dans un contexte de pénurie globale d'offre de soins de la région que nous connaissons tous. Si vous vous rendez dans un hôpital à Mayotte, vous verrez là aussi des gens solides et militants.

En conclusion, les soins délivrés aux étrangers en situation irrégulière s'inscrivent essentiellement dans le cadre de l'AME, et seraient de toute façon réalisés dans la pratique. C'est un dispositif essentiel en termes de santé publique et de solidarité nationale, que nous contrôlons mais qui a toute sa légitimité. Je ne veux pas le remettre en question chaque année, considérant que ce serait le stigmate d'une immigration mal maîtrisée. C'est peut-être une conséquence, certainement pas une cause. Pour autant, il importe d'être transparent sur les coûts de cette solidarité, et nous le sommes. Vous avez dit que nous étions le seul pays d'Europe à faire preuve de cette générosité, mais en fait la France est surtout le seul pays d'Europe en mesure de fournir tant de données sur la prise en charge des étrangers en situation irrégulière – elles n'existent nulle part ailleurs. Nous dépensons, mais nous sommes transparents. Les autres dépensent, mais le sont peut-être un peu moins.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.