En préambule, je rappellerai que la période de crise que nous avons connue a mis à rude épreuve tous les rouages de l'État et démontré combien il est essentiel de maintenir un important effort de recherche dans tous les domaines. Bien entendu, la recherche biomédicale a été particulièrement à l'honneur, grâce à la mise au point de vaccins innovants et efficaces – les performances françaises en la matière devront d'ailleurs être analysées sans complaisance. Mais il faut rappeler que toutes les recherches seront importantes dans la période de résilience qui s'ouvre.
Lors de l'examen des crédits du projet de loi de finances pour 2021 consacrés aux grands organismes de recherche, j'évoquai le paradoxe d'un effort public de recherche certes non négligeable, mais mal réparti. Au-delà du Centre national de la recherche française (CNRS) et de l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui sont plutôt bien lotis, je m'inquiétai du sort du budget d'organismes tels que l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'IFP énergies nouvelles (IFPEN) ou le Centre national d'études spatiales (CNES). Au vu de l'exécution des crédits de 2020, je ne peux que réitérer ce constat, en y apportant quelques nuances. À cet égard, mon analyse rejoint largement celle que vient d'exposer le rapporteur spécial, Francis Chouat.
Sur le plan des masses globales, le montant des crédits de paiement des trois principaux programmes qui financent les grands organismes, à savoir les programmes 172, 190 et 193, s'est élevé à 10,6 milliards d'euros en 2020, soit une progression de 2,2 % par rapport au réalisé de 2019.
S'agissant de la recherche médicale, l'INSERM a pu enfin, après de nombreuses années de modération budgétaire, bénéficier d'un relèvement significatif de ses moyens d'intervention, grâce à une subvention pour charges de service public au titre du programme 172 qui s'est élevée à près de 658 millions d'euros, soit une hausse de près de 18 millions d'euros au regard de la subvention budgétée. Ce rattrapage mérite d'être salué.
En revanche, pour ce qui concerne l'action n° 15 du programme 172, le montant des crédits attribués aux opérateurs privés de la recherche médicale est resté en 2020 au même niveau qu'en 2019, soit 101 millions d'euros. On peut s'étonner que l'Institut Pasteur, l'une des vitrines de la recherche française dans le domaine des maladies infectieuses et des vaccins, un des fleurons de la science française, n'ait reçu, l'an dernier, au titre de la crise sanitaire qu'un léger coup de pouce d'environ 800 000 euros ! Il est tout aussi difficile de comprendre que la subvention allouée à l'INRIA n'ait été réévaluée entre 2019 et 2020 que d'à peine 1 million d'euros en crédits de paiement, soit une progression de 0,6 %, alors que, dans le monde entier, le numérique a connu un coup d'accélérateur et que la question de la recherche et des compétences dans ce domaine va devenir un enjeu crucial pour la souveraineté française et européenne.
S'agissant de la politique spatiale, je dois exprimer quelques inquiétudes. Si l'on exclut la dotation française à l'Agence spatiale européenne et les crédits consacrés au déploiement du commandement militaire de l'espace, les crédits alloués au CNES ont diminué entre 2019 et 2020. L'audition, le 7 avril, par la commission des affaires économiques du nouveau président de cet organisme, M. Philippe Baptiste, fut l'occasion de confirmer que la filière française a été durement affectée par les effets de la crise sanitaire. Le centre spatial guyanais a été fermé pendant deux mois et le chantier du pas de tir d'Ariane 6 interrompu avant de reprendre à un rythme dégradé. Le retard pris dans l'achèvement du projet intervient alors que l'économie de l'espace poursuit sa recomposition spectaculaire autour de nouveaux acteurs privés, de nouveaux programmes, de nouvelles campagnes et de nouvelles applications. Rappelons qu'en avril dernier, c'est un vaisseau affrété par la compagnie américaine SpaceX qui a acheminé Thomas Pesquet vers la station spatiale internationale…
Lors de son audition, qui fut extrêmement convaincante, M. Baptiste nous a indiqué qu'il entendait orienter l'action du CNES autour des cinq axes stratégiques que sont les données du spatial, l'innovation, l'accès à l'espace, la défense et les programmes scientifiques. Dès lors, madame la ministre, se pose la question de savoir quels moyens supplémentaires vous entendez donner au CNES en 2022 pour qu'il puisse tenir ses objectifs, lesquels sont essentiels en matière de souveraineté.
Dernier sujet de préoccupation : la situation financière de l'IFPEN. La dotation budgétaire de cet organisme qui consacre l'essentiel de ses activités de recherche à la transition écologique et à la mobilité durable – et qui a du reste été sollicité de façon cruciale dans le cadre du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur la transition de la mobilité – a été, une fois encore, réduite pour s'établir à 120 millions d'euros, contre 124 millions en 2019. Cette baisse peut paraître modeste, mais l'établissement, je le rappelle, n'a pu cette fois la compenser par le dynamisme de ses ressources propres. En effet, les portefeuilles de brevets et de dividendes de filiales ont été affectés très sensiblement par la crise financière. Le compte de résultat de l'IFPEN pour 2020 laisse ainsi apparaître un déficit de 70 millions d'euros, vingt fois supérieur à celui qui était prévu. Afin de contenir ce déficit, l'organisme précise qu'il a été contraint de geler la quasi-totalité de ses recrutements, dans un contexte où les besoins d'études en matière de transition énergétique nécessitent pourtant un renfort des effectifs.
Le 26 octobre dernier, le Gouvernement a répondu à mes interrogations que la santé financière de l'IFPEN était saine et ne nécessitait pas de réallocation de crédits dans l'immédiat. Madame la ministre, eu égard au réalisé de 2020, avez-vous toujours la même opinion sur cet organisme de recherche ? Ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable d'ajuster enfin ses moyens budgétaires à ses nouvelles missions ?