En 2020, les remboursements et dégrèvements ont atteint un niveau inégalé. Avec 151 milliards d'euros, ils représentent l'équivalent de 37 % du montant des recettes fiscales brutes de l'État. Ce niveau n'a malheureusement rien d'inattendu : il est l'aboutissement d'une progression forte et continue des crédits de cette mission depuis plus de dix ans. Ils ont doublé depuis 2006, alors que le PIB et les recettes fiscales brutes n'ont augmenté que d'un peu plus de 20 % dans le même temps. Ce sont 11 milliards de plus qu'en 2019 et 10 de plus qu'en loi de finances initiale.
Cette hausse a plusieurs causes : la conclusion de plusieurs contentieux fiscaux aux dépens de l'État, la suppression progressive de la taxe d'habitation et la mise en place du prélèvement à la source. La crise sanitaire a aussi joué un rôle important sur le niveau des dépenses. Pensons aux facilités offertes aux entreprises pour obtenir plus rapidement le remboursement de leur crédit de TVA, mais aussi à la mobilisation rapide des créances de report en arrière des déficits pour l'impôt sur les sociétés (IS) ou encore à l'accélération des remboursements partiels de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). On pourrait aussi y ajouter le report du paiement du premier acompte de l'impôt sur les sociétés voire son remboursement pour les entreprises qui l'avaient déjà payé.
Si ces mesures sont difficiles à chiffrer, comme l'a souligné la Cour des comptes, on constate que cette mission aura permis de soutenir la trésorerie des entreprises en pleine crise sanitaire, ce qui est très bien. Il est néanmoins difficile d'accuser la pandémie d'un tel niveau. Comme je l'ai dit, ces mesures en faveur des entreprises ont surtout consisté à accélérer des restitutions auxquelles elles avaient droit et à concentrer sur un seul exercice budgétaire des dépenses qui auraient normalement dû s'étendre au-delà.
C'est pourquoi je voudrais revenir sur la question des contentieux fiscaux. L'année 2020 a connu plusieurs décaissements particulièrement importants, à la suite de décisions de justice qui ont donné raison à des contribuables contre l'État. Certains de ces conflits ne sont pas nouveaux : les contentieux de série comme l'affaire des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou l'affaire Précompte. Le contentieux OPCVM a coûté 1,6 milliard d'euros ; le Précompte 800 millions d'euros. Plusieurs contentieux exceptionnels ont coûté près de 1,2 milliard d'euros d'intérêts moratoires. Malheureusement, ces chiffres ne sont pas exceptionnels. En 2019, les contentieux individuels sur l'IS représentaient déjà 2 milliards d'euros ; les contentieux de série 731 millions. Souvenons-nous également de l'affaire des 3 % de dividende, qui a coûté 5 milliards d'euros en 2017, 4 en 2018, pour toucher à sa fin en 2019 avec un coût de 300 millions d'euros.
Bien sûr, je ne remets pas en cause ces décisions de justice, mais je veux appeler votre attention sur les risques que font peser les contentieux sur les finances publiques et, partant, sur l'argent du contribuable. Songeons un instant aux politiques publiques qui pourraient être financées avec de telles sommes, et cela dans un contexte dégradé par le déficit et la dette. La prévention devrait être renforcée afin que ces insécurités juridiques ne se reproduisent pas, d'autant qu'elles trouvent souvent leur source dans une incompatibilité de nos mesures fiscales avec le droit de l'Union européenne. Aussi, monsieur le ministre, quelles mesures pourraient être prises pour limiter les contentieux voire pour mieux estimer leur coût et faire en sorte que les intérêts moratoires soient les moins élevés possible dans les années à venir ?
J'en viens à mon point sur le crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile. Cette niche fiscale a coûté 5 milliards d'euros à l'État et a profité à un peu plus de 4 millions de bénéficiaires. Une partie de cette somme seulement s'impute sur les crédits dont je suis la rapporteure, notamment lorsque le crédit est supérieur à l'impôt dû et qu'il donne droit à restitution. Ainsi, en 2020, ce sont 900 millions d'euros qui ont été inscrits sur la mission Remboursements et dégrèvements, soit près de 18 % de cette dépense fiscale.
L'idée de mes travaux était d'obtenir une analyse plus précise de la nature des activités qui ouvrent droit à ce crédit d'impôt, leur liste étant assez longue. Les services à la personne, qui ouvrent droit à un crédit d'impôt de 50 % du salaire de l'employé à domicile ou du prix du prestataire qui réalise l'activité, sont listés par le code du travail. Ils recouvrent la garde d'enfant, l'assistance aux personnes âgées et aux personnes handicapées, ainsi que les tâches ménagères et familiales. Outre les activités que je viens d'évoquer, les services à la personne comprennent aussi l'assistance informatique, la surveillance de sa résidence principale ou de sa résidence secondaire ou encore les petits travaux de jardinage ou de bricolage.
Le but affiché du crédit d'impôt est de permettre le développement du secteur de l'emploi à domicile et des services à la personne. Outre la création d'emplois, il vise aussi à lutter contre le travail non déclaré. Dans ce but, il a été étendu en 2017, sous la précédente législature, à l'ensemble des foyers, alors qu'il ne concernait pas, initialement, les inactifs et les retraités. Le travail dissimulé est un phénomène d'ampleur dans le secteur de l'emploi à domicile. Toutefois, il n'en existe aucune mesure assez fiable. Les professionnels du secteur que nous avons auditionnés avancent le taux de 50 % de l'emploi à domicile réalisé illégalement, tandis que les enquêtes officielles reposant sur des sondages tournent autour de 20 %.
À ce titre, je note plusieurs points : l'extension du crédit d'impôt et les facilités offertes aux particuliers employeurs ou aux clients des entreprises prestataires semblent avoir stabilisé la dépense fiscale autour de 5 milliards d'euros et de 4 millions de bénéficiaires depuis 2018. Si l'on en croit les études de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et de l'INSEE, le recours à l'emploi à domicile a tendance à stagner autour de 850 millions d'heures rémunérées chaque année, et le nombre d'intervenants autour de 1,3 million. Sur un temps plus long, on observe que les heures rémunérées diminuent légèrement chaque année, passant de 931 millions à 846 millions en dix ans. De même, le nombre d'intervenants s'érode doucement, passant de 1,4 à 1,3 million. Il est donc difficile de savoir si le crédit d'impôt crée réellement des emplois dans ce secteur, s'il empêche le basculement dans le travail dissimulé ou bien s'il n'est pas tout simplement un effet d'aubaine.
Si les statistiques permettent de connaître la part de chaque activité dans le volume horaire global ou le nombre d'intervenants, il ne m'a pas été possible, monsieur le ministre, d'obtenir de l'administration fiscale une évaluation du crédit d'impôt par activité. Il est d'ailleurs impossible de réaliser le calcul à partir de ces données, puisqu'il impliquerait de connaître le coût de chacune d'entre elles et leur mode de tarification, dans un domaine où interviennent aussi bien des entreprises que des professionnels du secteur médico-social et où le reste à payer varie d'un foyer à l'autre – je pense notamment aux personnes qui bénéficient de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou de la prestation de compensation du handicap (PCH). En revanche, j'ai pu constater que ce crédit d'impôt bénéficie aux foyers les plus aisés. Le tiers des bénéficiaires font partie du dernier décile du revenu fiscal de référence et bénéficient de la moitié du crédit d'impôt.
Dans ce contexte, je ne peux que regretter que l'administration ne soit pas en mesure de réaliser une étude exhaustive des effets de cette dépense fiscale sur l'économie, le travail non déclaré et les finances publiques. Cela permettrait de réexaminer l'ensemble du dispositif et d'entamer une réflexion sur son assiette, son taux et ses plafonnements. Il ne peut avoir pour seule finalité le soutien à un secteur économique, mais doit être recentré sur les besoins des publics les plus fragiles. Cette réflexion doit être menée dans le cadre plus large du débat sur la prise en charge de la perte d'autonomie. En conséquence, monsieur le ministre, pourriez-vous mener cette étude approfondie sur le crédit d'impôt pour l'emploi à domicile et en communiquer les conclusions au Parlement ?