Intervention de Clément Beaune

Réunion du mardi 1er juin 2021 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes :

Pour répondre d'emblée à la première question de M. le rapporteur spécial, nous avons finalisé la semaine dernière les vingt-sept ratifications nécessaires pour le volet financement du plan de relance et du budget européen dans son ensemble. Les commentaires sur la lenteur du processus n'ont pas manqué et, à certains égards, je partage cette impatience. Je rappelle néanmoins que le Parlement français a fait preuve d'une grande diligence. La ratification de la DRP a été adoptée par l'Assemblée nationale, puis par le Sénat, dès le début du mois de février.

Par ailleurs, la ratification par les Parlements des vingt-sept États membres de la DRP, qui permet le financement du budget, s'est faite en dix mois, ce qui est un temps record. D'habitude, cela prend entre dix-huit et vingt-quatre mois, et ce en l'absence de plan de relance. En maintenant une pression forte et en insistant sur le caractère d'urgence de la relance, nous avons réussi à finaliser le processus en cinq mois exactement – les dernières notifications, après vote parlementaire, ont été effectuées hier, le 31 mai. Ce 1er juin est donc un jour important pour l'Europe, pour son financement et pour sa relance : la Commission européenne a lancé le processus d'émission des premières dettes européennes, que vous avez salué, monsieur le rapporteur spécial, qui permettront de financer le plan de relance.

Ce processus technique, qui consiste à réunir plusieurs grandes banques internationales, aboutira à des émissions sur les marchés financiers dès le mois de juin, et à des décaissements dès le mois de juillet, soit un peu plus tôt qu'on ne l'espérait au cours des dernières semaines, même si j'aurais aimé, comme vous, que le processus aille encore plus vite compte tenu de l'impératif de relance. Quoi qu'il en soit, je tenais à rappeler cette avancée en répondant à votre première question, concrète et légitime après ces mois de négociations.

Avant d'aborder les questions relatives à la PAC, j'aimerais dire un mot du budget lui-même, à présent qu'il est pleinement financé. Son montant est exceptionnellement élevé : sur la période 2021-2027, le budget européen représente 1 800 milliards d'euros. Additionné au plan de relance de 750 milliards, il permettra à notre pays de percevoir, au cours des trois prochaines années, des crédits européens deux fois supérieurs à la moyenne annuelle de la période de programmation financière qui devait s'achever en 2020. Il s'agit d'un changement d'échelle important, permis notamment par le plan de relance.

Cet effort permet de financer la relance, à hauteur de 750 milliards d'euros, dont près de 400 milliards pour des subventions directes, donc solidaires, dans le cadre des transferts financiers entre États membres, en fonction des besoins liés à la crise. Il permet aussi de financer des politiques plus traditionnelles – à ne pas comprendre comme « archaïques » – qui sont préservées ou augmentées.

Dans ces grands équilibres budgétaires, la PAC n'a pas été la variable d'ajustement des négociations budgétaires. Ce n'était pas gagné d'avance. Dans le premier projet de budget présenté par la Commission européenne, les crédits de la PAC étaient en baisse de plus de 15 milliards par rapport au niveau atteint sur la période 2014-2020. Nous avons rattrapé ce qui aurait été, me semble-t-il, une erreur, voire un massacre. Le Président de la République ne l'a pas accepté et c'est devenu notre priorité absolue dans la négociation budgétaire. Les moyens de la PAC ont donc été préservés, et même légèrement augmentés, ce qui garantit notamment la stabilité du budget du premier pilier de la PAC, qui constitue le revenu le plus directement versé aux exploitants agricoles. Nous devions préserver cet élément de solidarité et de souveraineté européennes ; nous l'avons fait.

D'autres politiques essentielles bénéficient de moyens financiers accrus, notamment la politique régionale, dont les crédits augmentent d'environ 15 %, soit plus de 50 milliards d'euros supplémentaires par rapport à la programmation pluriannuelle précédente, la politique de recherche et développement, avec 50 % d'augmentation, et le programme emblématique et essentiel qu'est Erasmus. Plus généralement, les crédits consacrés à la mobilité sont quasiment doublés dans la nouvelle programmation budgétaire.

Pour compléter ce panorama succinct, j'indique que certaines des nouveautés figurant dans le CFP 2021-2027 et dans le Plan de relance sont consacrées au développement concret de la souveraineté européenne. Ainsi le budget européen de défense, certes modeste, de 7 milliards d'euros sur sept ans, permet pour la première fois de financer des projets de recherche et des projets capacitaires. Le budget spatial est aussi très fortement augmenté.

Le budget est également assorti d'obligations financières et réglementaires très ambitieuses en matière climatique. Les crédits des plans de relance nationaux éligibles aux financements européens doivent en effet comporter plus d'un tiers de dépenses directement liées à la préservation du climat et à la transition écologique. Associée à la dette commune, cette caractéristique fera de l'UE, sans doute dès 2021 et de toute façon en 2022, le premier émetteur d'obligations vertes au monde. Ces données ne sont pas suffisamment mises en avant. Elles indiquent, par-delà les chiffres et la technique, les véritables choix politiques de l'UE, dans lesquels la France a beaucoup pesé, de façon souvent transpartisane.

S'agissant plus spécifiquement de la PAC, que vous avez abordée à juste titre en détail, monsieur le rapporteur spécial, des discussions difficiles sont en encore cours – Julien Denormandie en a fait état dans l'hémicycle cet après-midi. Nous avons arrêté son volet budgétaire, qui garantit la stabilisation de ses moyens, ce qui est essentiel. Nous devons maintenant la mettre en œuvre pour les sept années à venir, dans le cadre du PSN qui s'appliquera à partir du début de l'année prochaine.

La discussion entre le Parlement européen et le Conseil de l'UE est difficile. Elle a temporairement échoué cette semaine, car nous avons estimé, et les vingt-six autres États membres avec nous, que la proposition du Parlement était excessivement complexe, à rebours de la simplification que vous évoquiez.

La gestion des fonds est traditionnellement peu lisible. Je crois sincèrement que nous avons progressé en matière de transparence et de clarté de la répartition des compétences entre l'État et les régions. S'agissant de la politique de développement rural, les programmes sont désormais largement régionaux. L'autorité de gestion est confiée aux conseils régionaux, dans un cadre national relevant de l'État et fixant des éléments communs essentiels. Il s'agit de dessiner un modèle agricole et une forme d'égalité territoriale, par le biais d'éléments impératifs tels que l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) et certaines exigences environnementales, au premier rang desquelles les MAEC, dont l'existence est définie au niveau national et imposée par la réglementation européenne, et dont les modalités, la définition précise et la gestion relèvent des régions.

L'État doit prendre sa part dans ce processus de simplification, en clarifiant la répartition des compétences entre lui et les régions. Il importe aussi, s'agissant de dispositifs qui relèveront de plus en plus des conseils régionaux, de ne pas multiplier les outils et de ne pas complexifier nous-mêmes le système tout en imputant les difficultés rencontrées par les agriculteurs à l'Europe. Celle-ci doit faire sa part, mais nous devons décliner les mesures de façon pragmatique.

Plus spécifiquement, pour la plupart des aides, ce sont, en gestion, les services déconcentrés de l'État qui instruisent, contrôlent et définissent les outils informatiques, notamment ceux de suivi des dépenses ; mais pour les aides relevant du développement rural, c'est la région qui définit les critères et décide de leur attribution. Plus spécifiquement encore, une décision prise à la fin de l'année 2019 lors d'un comité État-régions consacré au développement rural, insérée dans la loi DDADUE, clarifie la répartition des compétences entre l'État et les régions, même si elle demeure perfectible.

Pour résumer, nous aurons une réglementation européenne nouvelle, qui n'est pas encore complètement définie, imposant un programme national unique et laissant à chaque État membre une certaine liberté pour s'organiser.

S'agissant du développement rural, nous avons notifié aux autorités européennes que les régions décident de l'élaboration, de la programmation et du contrôle des aides « non surfaciques », qui ne sont pas corrélées aux surfaces agricoles. Il s'agit notamment des aides à l'installation des jeunes agriculteurs et des aides à l'investissement pour les projets de développement rural, telles que le programme LEADER (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale), qui est particulièrement important pour les petites collectivités locales. L'État, de son côté, exerce des compétences de gestion et de suivi, et conserve la gestion des aides « surfaciques », notamment l'ICHN, certaines mesures agro-environnementales et l'aide à la conversion bio.

Désormais, les compétences sont donc décroisées, pour employer un mot un peu technocratique. Cela permet d'éviter l'intervention en gestion et en définition des critères à la fois de la région et de l'État sur le même dispositif, comme cela se produisait jusqu'à la dernière période de programmation. Cela ne signifie pas que les services de l'État et ceux des conseils régionaux ne doivent pas travailler ensemble, mais la situation est clarifiée.

Les aides aux jeunes agriculteurs prennent deux formes, qui seront maintenues : le paiement additionnel pour les jeunes agriculteurs, qui est un paiement direct octroyé pour cinq ans, et la dotation jeune agriculteur (DJA), qui est une aide financière ponctuelle, destinée à accompagner un projet spécifique d'installation. Dans la future PAC, le paiement additionnel pour les jeunes agriculteurs ne sera plus octroyé sous forme d'un paiement à la surface, mais sous une forme forfaitaire décorrélée de la surface. Cela améliorera la lisibilité du dispositif en dispensant les jeunes agriculteurs de calculer leur montant particulier. Quant à la DJA, elle relèvera entièrement des régions.

S'agissant de l'élaboration du PSN, qui est la déclinaison nationale de la PAC, nous maintenons les exigences que nous avons défendues, et défendons encore, dans les négociations européennes. Le ministre Julien Denormandie a présenté au secteur agricole ses premiers arbitrages le 21 mai, en insistant sur quelques points, notamment le maintien – il s'agit d'une bataille que nous avons menée au cours des deux dernières années – des dispositifs structurants pour les territoires en difficulté, au premier rang desquels l'ICHN, et l'accompagnement du verdissement de la PAC. Ce dernier est un concept sympathique, mais qui a un coût, que nous assumons par exemple en augmentant en moyenne de 90 millions d'euros par an l'enveloppe dédiée à l'agriculture biologique. Julien Denormandie a aussi présenté les contours du PSN, en insistant sur l'investissement dans l'agriculture de demain et sur l'innovation au profit des nouvelles générations. La part des crédits consacrés à l'installation des jeunes agriculteurs financés à l'échelon européen passera de 645 à 678 millions d'euros, ce qui permettra, dans certains cas, d'augmenter de 50 % le montant de l'aide à l'installation.

Le ministre a également évoqué un chantier important de la présidence française de l'UE : le renforcement de notre indépendance alimentaire dans le domaine des protéines végétales. Nous sommes très dépendants des importations. Les cibles seront bientôt précisées. Il s'agit de renforcer notre indépendance année après année, au cours de la période 2021-2027, et de réduire nos importations.

Quant au calendrier, le PSN sera rédigé d'ici l'été, et soumis à une évaluation environnementale et à un débat public à l'automne, après les nombreux échanges qui ont déjà eu lieu entre le ministre et les organisations professionnelles. Tout cela permettra de transmettre le PSN à la Commission européenne d'ici la fin de l'année, en vue d'une mise en œuvre début 2022.

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