Intervention de Clément Beaune

Réunion du mardi 1er juin 2021 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Clément Beaune, secrétaire d'État :

Je me plie volontiers à l'exercice, et m'efforcerai aussi de fournir les précisions demandées quant à l'avenir, en ce jour où nous avons franchi une étape importante s'agissant du budget européen.

Je répondrai d'abord à la question de Mme Osson sur l'emprunt de l'Union destiné à financer le plan de relance. Tout commence aujourd'hui 1er juin, premier jour où cela était juridiquement possible après les vingt-sept ratifications qui ont été acquises la semaine dernière.

Concrètement, le mécanisme est celui qu'utilisent les États lorsqu'ils empruntent. Il s'agit de réunir – pardon, monsieur Le Fur, pour cet anglicisme qui sera le premier et le dernier avant de souscrire à vos propos sur la question linguistique – un pool de banques. La Commission européenne en a identifié trente-neuf. Une première réunion s'est tenue pour placer, sur les marchés financiers, les dettes européennes destinées à financer le plan de relance. Cette étape franchie, une première émission de dette européenne aura lieu dès le mois de juin, et deux autres d'ici la fin du mois de juillet, voire davantage si les conditions financières le permettent, d'après ce que nous a indiqué la Commission européenne.

Ainsi, d'ici la fin de l'année, plus d'une centaine de milliards d'euros de dette européenne auront été émis sur les marchés financiers, dont au moins 80 milliards d'euros de titres à moyen et à long terme, et plusieurs dizaines de milliards à court terme pour financer les besoins de trésorerie, de remboursement et d'adaptation aux conditions financières.

Le montant de la première émission tournera autour de 10 milliards d'euros. Sur l'année 2021, le montant dépassera vraisemblablement 100 milliards d'euros, ce qui est considérable. Je rappelle que la Commission européenne doit réaliser ses émissions de dette en trois ans, de 2021 à 2023. Elle présentera à l'automne un plan sur sa stratégie de financement, ajusté en fonction des premières émissions. Il s'agira, pour au moins un tiers d'entre elles, d'émissions vertes, ce qui fera de l'UE le premier émetteur d'émissions verte au monde.

Le programme de la présidence française de l'Union européenne est en cours d'élaboration. S'agissant des présidences semestrielles, il est de coutume que le programme soit dévoilé le 1er décembre de l'année qui précède. Le nôtre sera donc connu le 1er décembre 2021.

Toutefois, et pour rebondir sur vos propos, il me semble que nous devons défendre des avancées au niveau européen en matière de coopération policière et judiciaire. N'y voyez aucune référence à l'actualité : le fait est que la lutte contre la criminalité transnationale – y compris le terrorisme, sa forme la plus grave – nécessite de la coopération dans les domaines du renseignement, des enquêtes policières et des procédures judiciaires. Cela fait partie des initiatives que nous poursuivrons lors de la présidence française ; j'y travaillerai dans les prochaines semaines avec mes collègues Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti. À cet égard, je tiens à signaler, car c'était aussi une initiative française, que le parquet européen a commencé à fonctionner aujourd'hui même. Certes, le champ des infractions entrant dans ses attributions est assez limité – il s'agit principalement de la lutte contre la fraude et la corruption – mais c'est un pas en avant extrêmement important en matière judiciaire.

Il y a trois domaines dans lesquels on peut d'ores et déjà considérer, au vu de l'agenda européen et de nos propres priorités, que nous enregistrerons des avancées importantes pendant la présidence française – ce qui ne veut pas dire qu'il ne faudra pas se battre pour les obtenir.

Premièrement, dans le domaine social, la Commission formulera dans les prochaines semaines un grand nombre de propositions que nous avons soutenues, voire initiées. Le devoir de vigilance, pour faire écho aux propos de M. Lecoq sur la nécessité d'un commerce plus équitable, fera ainsi l'objet d'un texte. S'agissant du salaire minimum européen, un texte est déjà en discussion ; le processus pourrait aboutir pendant la présidence française. La Commission européenne en présentera également un visant à assurer la protection sociale des travailleurs des plateformes, tels les livreurs d'Uber eats ou de Deliveroo, qui sont en première ligne, durant la crise actuelle, dans toutes les villes d'Europe.

Dans le domaine du numérique aussi, certains textes très importants peuvent aboutir au cours de la présidence française. C'est le cas notamment en ce qui concerne la responsabilité des grandes plateformes s'agissant des contenus qu'elles publient, avec le Digital Services Act et le Digital Markets Act, sans oublier, bien entendu, la question de la taxation de ces plateformes.

Le troisième domaine concerne le climat. Parmi les propositions de la Commission européenne figure le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, que la France a défendu seule pendant longtemps. Cet outil, que l'on désigne parfois sous le nom « taxe carbone aux frontières », même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'un dispositif fiscal, constituera un progrès très important en direction de la justice économique et écologique. Il n'est pas non plus sans lien avec la question des ressources propres du budget européen. Il devrait être présenté cet été et sera adopté, je l'espère, durant la présidence française – à tout le moins, nous devrions avancer sur la question. Je vous propose de revenir vous en parler dans peu de temps.

Monsieur Jerretie, le premier volet de l'accord sur le Brexit, conclu fin 2019, prévoit la remise d'un chèque britannique, conformément aux engagements financiers pris en commun à l'époque où le Royaume-Uni faisait partie de l'Union européenne – ce que ce pays semble avoir déjà un peu oublié, alors que cela a été le cas pendant près de quarante-cinq ans. Le montant total est de près de 35 milliards d'euros. Il sera ajusté en fonction de certaines données financières, notamment l'inflation. Le Royaume-Uni s'en acquittera principalement au cours de la période prévue pour le budget européen, soit 2021-2027. Un versement de 7 milliards d'euros est prévu en 2021, et un autre de plus de 10 milliards en 2022. Il ne s'agit pas d'une quelconque indemnité de divorce : le montant correspond à des obligations relatives au budget de l'Union européenne. Il s'agit des retraites de fonctionnaires européens, de programmes financiers qui étaient en cours et qui donnent lieu à des restes à liquider, de paiements qui demeurent obligatoires, mais aussi de programmes européens, tel le Fonds européen de développement, ou d'autres organes européens auxquels le Royaume-Uni participait jusqu'à la fin de l'année 2020, comme la Banque européenne d'investissement. Ces obligations financières ont été consacrées dans l'accord. Pour l'instant, il n'y a pas d'alerte signalant une mauvaise volonté ou des retards de paiement, contrairement à ce qui a été évoqué dans le domaine de la pêche.

Je vous apporterai des précisions supplémentaires concernant les restes à liquider et l'exécution budgétaire. Nous n'avons pas constaté d'anomalie dans l'exécution budgétaire en 2021. Certes, il s'agit d'un budget particulier, qu'il a fallu rectifier à plusieurs reprises, mais les écarts constatés entre la programmation et l'exécution ne nous semblent pas anormaux en l'état actuel des informations dont nous disposons.

L'analyse des politiques publiques est un vaste sujet. Je ne saurais traiter ensemble la politique agricole commune et la politique de cohésion, ni toutes les autres. Du reste, il est un peu tôt pour avoir une évaluation à jour concernant l'efficacité des politiques publiques menées dans le cadre de la programmation budgétaire 2014-2020. Un certain nombre d'éléments de la PAC par exemple, pourraient faire l'objet de simplifications : c'est une critique fondée, que l'on adresse de manière récurrente aux programmes européens. Nous nous attaquons à ce travail.

S'agissant de l'acceptation du plan de relance par la Commission européenne, exercice auquel chaque pays membre se soumet, nous avons des raisons d'être optimistes. De nombreuses discussions ont eu lieu avec la Commission avant la remise du plan national de relance et de résilience. Nous respectons les critères européens en matière de dépenses climatiques et numériques. Nous avons donc plus que bon espoir d'obtenir rapidement une validation de la part de nos partenaires et de la Commission européenne. L'accord devrait intervenir aux alentours de la mi-juin.

En ce qui concerne les recommandations par pays, il y en a beaucoup. Vous avez évoqué la revue des dépenses : cela fait partie des éléments que nous avons inscrits dans le plan de relance et de résilience.

Vous avez appelé de vos vœux la coordination des budgets ; je la souhaite moi aussi. L'un des moyens d'y parvenir est d'avoir des débats plus réguliers sur le contenu des politiques européennes – exercice auquel je me prête volontiers – afin de ne pas se limiter à la soirée consacrée chaque automne, dans le cadre du projet de loi de finances, au prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, qui donne plus lieu à des invectives sur l'Europe et ses dérives qu'à un débat de fond.

Monsieur David, vous avez évoqué l'augmentation du budget de l'Union européenne en 2021 et celle du prélèvement sur recettes. Cela s'explique en partie par la nouvelle programmation budgétaire, mais c'est surtout lié à la crise, pour cette année en tout cas – ce sera sans doute un peu moins vrai après 2022. Cette crise a fait reculer un certain nombre de ressources propres, notamment douanières, et augmenter des dépenses européennes. Ainsi, l'Europe a financé la chaîne des vaccins par un mécanisme d'urgence. C'était une dépense nécessaire. Au total, 80 % des surcoûts de 2021 par rapport à 2020 sont liés à la crise, ce qui n'a rien d'anormal. Le prélèvement sur recettes envisagé pour 2021 est en augmentation de 15 % par rapport à l'estimation d'exécution pour 2020, là où, pour reprendre une comparaison chère à M. Jerretie, le budget national a augmenté de 12 %. Bref, le budget augmente en ce moment du fait de la période exceptionnelle que nous vivons, mais je ne cache pas – cela se voit dans les nouvelles programmations financières – qu'il continuera à le faire dans les prochaines années, indépendamment du plan de relance et de l'effet du Brexit.

En ce qui concerne le remboursement du plan de relance, notre priorité est bien sûr d'obtenir le plus vite possible la création de nouvelles ressources propres, dans des proportions aussi importantes que possible. L'accord de juillet 2020, adopté à l'unanimité, a entériné un engagement de principe à cet égard. Le Parlement européen a renforcé cette obligation en votant à une large majorité une feuille de route, soutenue par la France, selon laquelle ces ressources devaient être présentées et adoptées rapidement. De fait, la Commission européenne présentera d'ici au début de l'été deux propositions législatives portant sur des ressources propres nouvelles : d'une part, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, d'autre part, un dispositif concernant le numérique – car c'est l'un des principaux manques de notre système en matière de justice fiscale internationale. J'espère que ces textes seront adoptés dans le courant de l'année 2022. Il y aura ensuite une deuxième vague de propositions concernant les ressources propres, qui comprendra notamment la taxe sur les transactions financières, dont l'adoption est prévue d'ici 2026, soit avant le début du remboursement du plan de relance.

Monsieur Ledoux, il est vrai que nos résultats sont insuffisants dans un certain nombre de programmes dépassant le cadre de l'Europe, notamment Erasmus Mundus. Cela s'explique en partie par le fait que, dans notre pays, on ne sait pas assez qu'Erasmus est un programme de mobilité internationale qui n'est pas seulement interne à l'Europe, même si c'est son objet prioritaire. Avec une bourse Erasmus, on peut tout à fait aller étudier au Canada ou aux États-Unis – certes, c'est plus compliqué pendant l'épidémie de covid-19, mais cela reprendra. Je vous donnerai des éléments plus précis sur nos performances relatives et la façon de les améliorer.

Monsieur Lecoq, j'ai déjà eu l'occasion de vous dire mon regret que nous n'ayons pas réussi à réduire les rabais, voire à les supprimer. C'était l'un de nos objectifs dans la négociation, mais celle-ci a pris un tour tout à fait exceptionnel avec la création du plan de relance et la perspective des nouvelles ressources propres. Celles-ci seront d'ailleurs un moyen de mettre un terme aux rabais : nous continuerons à mener ce combat lors des prochaines négociations budgétaires.

On entend dire parfois que la France se serait « fait avoir » dans la négociation budgétaire. Je précise à cet égard, même si ce n'est pas une consolation, que notre pays demeure un contributeur net, par habitant et en pourcentage du PIB, très inférieur aux pays bénéficiaires des rabais. C'est d'ailleurs l'une des justifications à leur existence, même si l'argument me paraît tout à fait excessif. Quoi qu'il en soit, la France est vigilante quant au respect de ses intérêts budgétaires dans la négociation.

Je ne pense pas vous surprendre en vous disant que je partage assez largement vos critiques concernant les accords de libre-échange. Si je ne crois pas qu'il faille en supprimer le principe, je considère qu'il faut changer de modèle : il convient d'être plus exigeant sur le plan des contrôles sanitaires et alimentaires, sur le plan environnemental et sur le plan social. C'est ce que nous ferons à travers le texte européen sur le devoir de vigilance ; c'est ce que nous faisons en refusant certains accords quand nous les estimons déséquilibrés, comme c'est le cas de celui avec le Marché commun du Sud (MERCOSUR). Sur ce point, vous le savez, notre détermination est très claire.

Monsieur Le Fur, s'agissant de la pêche, nous déplorons un certain nombre de manquements des Britanniques à leurs engagements, ou de sur-interprétations de leur part – on l'a vu pour Jersey. Annick Girardin et moi-même avons dénoncé cette situation. Certaines des conditions posées sont inacceptables, les Britanniques se livrent à des contrôles tatillons, refusent les bases avancées en Écosse… Bref, le compte n'y est pas. Nous continuerons à nous battre, notamment pour l'obtention des licences. Nous demandons le respect des conditions posées par l'accord de retrait, pas plus mais pas moins. La ratification complète de cet accord par le Parlement européen nous donne les moyens de prendre des mesures de rétorsion si les manquements persistaient.

Nous pourrons, si vous le souhaitez, faire un point ensemble sur les questions de TVA. Je partage votre avis concernant l'équivalence des règles dans le marché unique, mais je considère que nous devons nous battre pour fixer au niveau européen un certain nombre de normes. C'est ce que nous avons fait avec Julien Denormandie en ce qui concerne les écorégimes de la PAC : il fallait qu'ils soient enfin obligatoires, pour que la France ne soit pas la seule à appliquer des règles environnementales pendant que les autres pays s'en exonèrent. De même, concernant le glyphosate, le débat européen doit se poursuivre, car on ne pourra mettre un terme à l'utilisation de ce produit que lorsque tous les pays européens auront le même calendrier et le même échéancier. Sans cela, vous avez raison, nous nous tirerions une balle dans le pied ; ce ne serait ni efficace sur le plan environnemental ni juste sur le plan économique.

Enfin nous ferons de la présidence française de l'Union une présidence francophone. Nous serons très vigilants, à commencer par les ministres, au respect de la langue française, dans la traduction des documents comme dans la communication au sein des institutions européennes. Avec Jean-Baptiste Lemoyne, nous avons pris l'initiative de propositions concrètes pour former davantage de fonctionnaires européens et de collaborateurs parlementaires européens à la langue française. En effet, il faut aussi être offensif en la matière.

En revanche, nous n'éliminerons pas l'anglais des langues officielles à court terme. En tout cas, ce n'est pas la voie que je privilégierai. Même si l'anglais est devenu, à certains égards, une langue d'aéroport commode et malmenée dont je regrette l'emploi excessif, elle reste juridiquement la langue officielle de deux États membres, l'Irlande et Malte. À ce titre, elle continuera à avoir droit de cité : la question est celle de sa juste place. Mais nous ne baisserons pas pavillon pour ce qui est de défendre la langue française, vous pouvez compter sur notre engagement.

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