Intervention de Vincent Ledoux

Réunion du mardi 1er juin 2021 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Ledoux, rapporteur spécial (Action extérieure de l'État) :

Compte tenu du temps qui m'est imparti, j'en viens directement à mon sujet d'évaluation, à savoir la contribution du Quai d'Orsay à la politique visant à attirer les étudiants étrangers en France.

La mobilité des étudiants internationaux est un terrain de concurrence entre les États, qui l'ont bien identifiée comme un atout pour leurs universités et leurs économies, mais aussi comme un moyen de véhiculer des valeurs et de nouer des liens durables entre les sociétés.

À court terme, c'est aussi un retour direct de 2 milliards d'euros pour la France, lié aux dépenses des étudiants. Celles-ci sont réparties sur l'ensemble du territoire – ce dont les régions n'ont peut-être pas encore suffisamment pris conscience.

Pour l'année 2019-2020, sur les 370 000 étudiants étrangers en France, 290 000 étaient en « mobilité internationale ». En dix ans, ces mobilités ont augmenté de 68 % au niveau mondial mais de seulement 32 % en France. Longtemps troisième pays d'accueil derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, la France est passée au sixième rang, derrière l'Australie, l'Allemagne et la Russie, et elle est talonnée par le Canada.

Avec 25 000 doctorants en mobilité, la France est encore troisième dans le dernier classement de l'OCDE (Organisation de développement et de coopération économiques) mais elle est le seul des dix premiers pays à voir ses effectifs de doctorants étrangers baisser entre 2013 et 2018, et cela de 9 %, alors que ceux de l'Allemagne ont augmenté de 57 %.

Notre attractivité internationale dépend en premier lieu des universités et grandes écoles, mais trois composantes de cette politique relèvent du Quai d'Orsay et sont financées par le programme 185 Diplomatie culturelle et d'influence de la mission Action extérieure de l'État.

Il y a d'abord les services de coopération des ambassades, qui comptent 90 effectifs de coopérants universitaires et surtout 259 espaces Campus France, dans 127 pays, qui sont les composantes des ambassades chargées d'orienter les candidats étrangers et de donner le feu vert pédagogique avant la demande de visa étudiant. Ces structures emploient près de 500 personnes recrutées localement.

Je recommande de stabiliser les effectifs de coopérants et, dans les postes à fortes charges, qui peuvent connaître des situations délicates, de veiller à l'adéquation entre les profils et les enjeux opérationnels. Des profils juniors de volontaires internationaux en administration ne sauraient remplacer partout des expatriés, certes plus coûteux mais aguerris.

Il faut également parachever le déploiement de la plateforme « Études en France », qui facilite les inscriptions. Je suggère de mutualiser une partie des recettes liées à son utilisation, qui sont passées en trois ans de 11 à 20 millions d'euros et qui vont continuer de croître.

L'établissement public industriel et commercial Campus France, qui résulte de la fusion réussie de trois structures, est le deuxième acteur de cette politique d'attractivité. Campus France est compétent à la fois pour promouvoir l'enseignement supérieur français à l'étranger et pour gérer des programmes de mobilité et de bourses. Il s'agit de programmes du Quai d'Orsay mais également de partenaires étrangers qui financent des mobilités en France, avec environ 120 millions d'euros annuels entre 2017 et 2019, ramenés à 100 millions en 2020, la crise sanitaire ayant réduit les échanges. La subvention du Quai d'Orsay à Campus France, de 3,7 millions, est très inférieure aux produits de gestion de ces programmes : 15 millions en 2019 et 12 millions en 2020.

Le troisième levier de notre politique d'attractivité est directement lié à l'activité de Campus France : c'est le financement de bourses d'études. Il est réparti de la manière suivante : 30 millions d'euros de bourses attribuées par les postes diplomatiques et 25 millions d'euros de bourses sur programmes centraux thématiques comme les programmes Eiffel et Make Our Planet Great Again. La dépense s'établit autour de 55 millions d'euros depuis 2017 ; elle est inférieure de 10 millions aux crédits inscrits en lois de finances et également de 10 millions à la dépense constatée jusqu'au milieu de la décennie 2010.

Le Quai d'Orsay finance ainsi environ 11 000 bourses par an, contre 14 500 en 2013. Hors bourses de stage, cela représente 9 000 bourses d'études, dont seulement 6 500 comprennent une allocation de vie, puisqu'on compte aussi 2 500 bourses de couverture sociale, qui complètent des allocations versées par des États étrangers ou des entreprises privées. J'ajoute que, sur ces bourses avec allocation de vie, on compte seulement 4 600 bourses sur cycles d'études longs. Par contraste, l'Allemagne, désormais concurrent principal de la France, a accordé près de 17 000 bourses de longue durée en 2019.

La stagnation des crédits pour bourses ces dernières années a des effets ambigus, car il y a indéniablement eu un effort qualitatif pour éviter le saupoudrage et cibler les formations d'excellence. Cependant, on ne peut nier qu'il y a aussi un enjeu quantitatif, car les bourses sont un produit d'appel et fidélisent les meilleurs candidats, lesquels sont fortement sollicités par nos concurrents. Il convient donc de réexaminer les modalités d'attribution de bourses par les postes diplomatiques, qui ont souvent tendance à préférer des bourses de courte durée pour éviter de grever leurs enveloppes sur plusieurs années – on parle de « récurrence ». Il faut aussi interdire formellement que les postes redéploient des crédits affectés aux bourses vers d'autres dépenses.

L'écart entre les crédits inscrits en loi de finances et ceux qui sont consommés pose aussi des difficultés à l'opérateur Campus France. Celui-ci a besoin de visibilité sur les montants de bourses à gérer afin de calibrer au mieux son activité et ses coûts de fonctionnement. Je recommande donc de définir une trajectoire budgétaire lisible des crédits de bourses du gouvernement français et de la faire figurer dans le prochain contrat d'objectifs et de moyens de Campus France, en clarifiant la part des ressources de l'opérateur provenant de sa subvention de fonctionnement et des tarifs de gestion des programmes de mobilité. Je suggère d'utiliser systématiquement les crédits non consommés pour abonder un grand programme central de bourses d'excellence, plus lisible, et dont Campus France pourrait faire la promotion.

Afin d'apprécier l'efficacité des bourses, je propose de faire figurer dans le dispositif de performances du programme 185 un indicateur de suivi du taux de réussite des étudiants étrangers boursiers par rapport aux autres étudiants en mobilité. Cela nécessite de rénover la stratégie de Campus France envers les anciens étudiants étrangers, avec un suivi des parcours professionnels et un vrai rôle d'animation des postes diplomatiques dans la plateforme des anciens élèves, France Alumni.

Il faut aussi un rapprochement opérationnel entre Campus France et le groupement d'intérêt public Erasmus+. Une fusion des deux structures serait difficile, paraît-il – bien qu'elle soit déjà effective en Allemagne. Quoi qu'il en soit, il faut mieux se positionner pour attirer des étudiants européens, notamment d'Europe de l'Est, et faire en sorte de ne pas être sous-représentés dans les masters conjoints Erasmus Mundus, qui offrent des bourses aux meilleurs étudiants du monde et commencent à s'ouvrir à l'Afrique.

Je conclurai en invitant à être au clair sur nos objectifs stratégiques.

L'objectif du plan Bienvenue en France, présenté à l'automne 2018, est d'attirer 500 000 étudiants étrangers en 2027. Si cet objectif est sans doute hors de portée, le plan a permis de commencer à améliorer la qualité matérielle de l'accueil dans les universités, avec une labellisation par Campus France, et de simplifier les procédures de visa et de titre de séjour, même si nous pouvons faire encore mieux. Ce plan autorise aussi les universités à fixer des droits d'inscription différenciés pour les étudiants extra-européens afin de dégager de nouvelles ressources, ce qui est une bonne orientation, que trop peu d'universités ont adoptée à ce stade.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue la priorité africaine de la France en matière de mobilités étudiantes, bien identifiée par le Président de la République. Cet enjeu revêt deux aspects.

Des moyens importants de l'aide publique au développement sont mobilisés pour des projets de campus franco-africains, avec des initiatives prometteuses à Dakar et Tunis par exemple. Cela doit accroître les capacités des systèmes africains et permettre aux universités françaises partenaires de développer une offre éducative dans des secteurs stratégiques pour les économies émergentes. Cette offre nouvelle permettra de fonder des coopérations durables, mais n'atténuera que de façon marginale la demande des étudiants africains d'effectuer une partie de leurs études à l'étranger.

Il faut être bien conscient du fait que les flux supplémentaires d'étudiants étrangers en France proviendront majoritairement d'Afrique, à rebours de certaines représentations qui opposent encore les échanges « traditionnels » avec l'Afrique aux mobilités « modernes », qui proviendraient d'autres pays émergents, comme l'Inde ou ceux de la zone Asie-Pacifique, et qu'il faudrait favoriser. En effet, les classes moyennes et moyennes supérieures africaines, dans les pays francophones comme anglophones, s'inscrivent pleinement dans les mobilités internationales. Compte tenu de leur démographie, elles constitueront tendanciellement les plus forts contingents. Les nouvelles générations d'étudiants africains sont clairement identifiées comme les leviers de croissance par nos partenaires et concurrents, qui, en Afrique, sont non seulement britanniques, allemands et canadiens, mais aussi turcs, russes, saoudiens ou chinois, comme j'ai eu l'occasion de le constater au Bénin.

Il faut donc assumer le fait que l'Afrique fournira dans les prochaines années la grande majorité des étudiants étrangers en mobilité en France. Ces mobilités devront être gérées en coopération avec les pays d'origine, afin qu'il y ait une cohérence entre leurs besoins et les parcours d'études en France. Il faut éviter qu'un étudiant ayant fait de nombreuses années d'études après le bac se retrouve chauffeur de taxi à Cotonou, faute de débouchés professionnels ! La France doit s'intégrer pleinement dans cette stratégie d'articulation.

L'attractivité universitaire de la France est un enjeu d'échelle mondiale, mais le lien à l'Afrique, qui est elle-même pleinement inscrite dans la globalisation, en est un révélateur et peut en être le catalyseur.

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