La filière touristique française a été l'un des secteurs d'activité les plus fortement affectés par la crise sanitaire et économique que notre pays subit depuis février 2020. Elle représente 8 % du PIB et plus de 2 millions d'emplois ; elle rassemble des entreprises de secteurs très différents, tels que les cafés, les hébergements touristiques, les restaurants, les établissements thermaux, les domaines skiables ou encore les casinos.
L'année dernière, la France a connu une chute de 51 % du nombre de touristes étrangers, entraînant un effondrement des recettes touristiques internationales de 50 %, soit plus de 24 milliards d'euros de pertes. Malheureusement, cette baisse n'a pas été compensée par les recettes du tourisme domestique, lesquelles ont elles aussi chuté de 31 % en 2020, du fait des confinements successifs et des restrictions, avec à la clé une perte de 29 milliards d'euros. Au total, depuis le début de la crise, notre pays, et avec lui toutes les entreprises de la filière touristique, ont enregistré 61 milliards d'euros de pertes. C'est colossal.
Hélas, la fermeture des remontées mécaniques cet hiver n'a pas permis d'améliorer la situation en début d'année : les stations ont perdu 80 % de leur chiffre d'affaires, soit 8 milliards d'euros. Les écoles de ski ont enregistré une diminution de 83 % de leur chiffre d'affaires, soit une perte de 240 millions. Les remontées mécaniques ont perdu plus de 99 % de leur chiffre d'affaires, soit 1,3 milliard d'euros. Le taux d'occupation moyen dans les stations n'a été que de 32,8 %. En l'absence des activités proposées dans les domaines skiables, c'est-à-dire les activités de glisse – première raison de la venue des Français à la montagne selon une étude de la direction générale des entreprises de 2018 – la chaîne de valeur économique chute, affectant les 120 000 emplois directs des stations. Un forfait de ski entraîne la location de matériel dans les magasins de sport, notamment des chaussures de ski et des skis, mais aussi l'achat de gants et de cours de ski et la fréquentation des restaurants. Un séjour, généralement organisé sur une semaine complète, alimente une économie de ruissellement qui fonctionne à l'année dans les territoires de montagne.
Les aides d'urgence mises en place par l'État et par les partenaires bancaires ont-elles permis de sauver durant la crise les entreprises et les emplois de la filière touristique ? Je commencerai par répondre à cette question de manière globale, avant de me concentrer plus particulièrement sur la montagne.
Pour l'heure, la réponse est oui dans la grande majorité des cas. Au total, près de 31 milliards d'euros au titre du soutien d'urgence ont été déployés pour aider le secteur – lequel, je le rappelle, a perdu 61 milliards. Sur ces 31 milliards, 11,7 milliards correspondent aux prêts garantis par l'État (PGE), 1,2 milliard aux PGE saison, 11,5 milliards au fonds de solidarité, plus de 6 milliards à l'activité partielle. En outre, 163 millions d'euros de reports de charges sont enregistrés à ce jour pour l'hébergement et la restauration. Ces aides ont contribué à une réduction significative des défaillances d'entreprises prévisibles en évitant les défauts de paiement. On note ainsi une diminution de 44,7 % du nombre de défaillances entre février 2020 et février 2021 par rapport à la période précédente. Les entreprises du tourisme sont actuellement sous anesthésie générale.
Le sauvetage durable de ces entreprises et de leurs emplois dépendra des réponses que nous apporterons à la filière dans les prochains mois. En effet, nous nous approchons d'une période critique : les aides devraient commencer à s'arrêter – dès le mois de juin pour le fonds de solidarité – la reprise sera en demi-teinte selon les secteurs touristiques et les entreprises vont devoir commencer à rembourser leurs emprunts, ceux qu'elles avaient contractés avant la crise et le PGE.
Même si les réservations pour l'été sont dynamiques, n'oublions pas que, selon l'Organisation mondiale du tourisme, le tourisme international ne retrouvera son niveau d'avant-crise qu'en 2023 au mieux. Quid de l'avenir des agences de voyages, des opérateurs, des entreprises qui dépendent en grande partie du tourisme international ? Le tourisme domestique ne compensera pas à lui seul ces pertes sur les deux ou trois prochaines années.
Il est donc primordial, pour toutes ces raisons, et alors que les perspectives de reprise sont encore incertaines, que le fonds de solidarité notamment, qui fait jouer des cliquets pertinents, soit prolongé et adapté à la réalité de la reprise, faute de quoi les milliards d'euros déjà injectés dans l'économie touristique pour sauver les entreprises auront été gâchés. Je souhaiterais connaître votre position sur ce point, monsieur le secrétaire d'État.
Quelles sont les perspectives pour les entrepreneurs du tourisme, confrontés au mur de la dette ? Sur les 25 milliards d'euros d'aides d'urgence directes pour leur trésorerie, 13 milliards, soit plus de la moitié, sont des prêts. Comment vont-ils parvenir à rembourser 13 milliards sur cinq ans ? À partir de quelle année pourront-ils se verser un salaire et réinvestir ? La restructuration des dettes, l'allongement de leur durée de remboursement, la transformation en quasi-fonds propres, un accompagnement spécifique par l'État, ou encore un allégement de la fiscalité économique seront des mesures absolument vitales si l'on ne veut pas que ces entreprises, et donc une partie importante de notre offre touristique, s'écroulent au cours des prochaines années. Sur ce point également, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais connaître votre position.
Les aides d'urgence ont-elles été adaptées au sauvetage des entreprises des stations d'hiver, lesquelles ont subi 80 % de pertes sans possibilité de réel rattrapage avant le mois de décembre prochain ? Si une majorité des entreprises de la montagne ont été bien accompagnées, avec 4,6 milliards d'aides d'urgence, on constate des disparités importantes selon les activités. Les activités de prestations avec peu de charges fixes ont été bien couvertes. Les domaines skiables ont bénéficié d'un dispositif adapté, qui ne comble pas leurs pertes mais garantit leur survie. D'autres acteurs en revanche, comme les hébergeurs et résidences de tourisme, restent en grande difficulté, car leur niveau de charges fixes atteint près de 65 % de leur chiffre d'affaires habituel. Il est essentiel de poursuivre et de mieux adapter les dispositifs d'urgence aux résidences de tourisme et aux centres de vacances en les lissant sur l'année, ou au minimum sur six mois, pour tenir compte de la saisonnalité de leur activité.
Par ailleurs, il est primordial pour toutes les entreprises des stations que les aides soient prolongées jusqu'au mois de novembre prochain, pour couvrir leurs charges, qui courent sur toute l'année malgré une absence de chiffre d'affaires – voire jusqu'à avril prochain pour les entreprises d'équipement et d'aménagement de la montagne, dont l'activité est décalée. Pour ces dernières, la crise commence maintenant, puisque leurs carnets de commandes sont vides. Le Gouvernement doit prendre en compte cette cyclicité en prolongeant les dispositifs d'urgence pour ces entreprises qui constituent une filière d'excellence mondiale que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre.
En outre, il n'est pas acceptable que de nombreux cas ne soient toujours pas réglés, alors que nous sommes au mois de juin. Les commerces de station créés en 2020, dans lesquels les entrepreneurs ont investi, vont devoir mettre la clé sous la porte. Pour eux, c'est une année sans activité économique ni solidarité nationale. Un dispositif pour les repreneurs a été instauré, mais il exclut les locations-gérances. Les coiffeurs ou les esthéticiennes de station, les monitrices de ski en maladie ou qui ont été enceintes en 2019, les médecins de station : ces personnes n'ont toujours pas accès au fonds de solidarité. Je vous avoue que j'ai de plus en plus de mal à expliquer aux jeunes mamans monitrices qui ont été enceintes à l'hiver 2019 qu'elles n'ont pas droit à la solidarité nationale, contrairement à leurs collègues des années précédentes.
Tous ces problèmes restent sans solution malgré nos multiples relances, car il est difficile de les faire entrer dans un cadre national, Nous vous proposons, afin d'y remédier une fois pour toutes, de déléguer une enveloppe de 15 millions d'euros aux préfets de département concernés ou aux directions départementales des finances publiques. La détresse de tous ces oubliés est très vive. Quelles sont vos propositions ?
Quelles sont les perspectives pour la relance touristique ? Celle-ci passera par une reprise claire de l'activité et par des solutions adaptées, notamment la restructuration des dettes accumulées, mais aussi par des aides à l'investissement simples et massives, comme le Gouvernement l'a fait avec le plan de relance en faveur de l'industrie. En ce qui concerne la reprise de l'activité, la promotion, en France comme à l'étranger, sera essentielle. Atout France prévoit un budget de 10 millions d'euros cette année, essentiellement fait de reports de crédits non consommés, ciblés sur le marché domestique et paneuropéen.
Je ne trouve pas dans le plan de relance en faveur du tourisme la même ambition et le même effort de la part de l'État que pour l'industrie. Il n'y a pas, ou très peu, d'aides directes à l'investissement, qui ont pourtant un effet de levier important sur les projets. En revanche, il y a beaucoup de prêts : prêt tourisme, prêt atout, prêt rebond, quasi-fonds propres pour 1,3 milliard d'euros. À ce titre, je salue la capacité d'adaptation et de propositions de Bpifrance, filiale de la Caisse des dépôts, mais je doute que les prêts relanceront à eux seuls la dynamique des investissements, étant donné que les entreprises sont fragilisées et déjà surendettées.
La part de l'État dans le plan Avenir montagnes s'élève à 150 millions d'euros, pour toute la montagne française. Il s'agira de crédits dédiés à l'investissement, à la diversification et au développement des chemins de randonnée. À titre de comparaison, la seule région Auvergne-Rhône-Alpes, au cours des quatre dernières années, a investi de manière directe plus de 400 millions en faveur des stations de montagne. Si cet effort du Gouvernement est positif, sera-t-il à la mesure de la reprise de la dynamique d'investissement sans un effort conjoint des régions ? Il est évident que non.
Je lis beaucoup que les stations dépendent trop du ski et de la neige et que la crise aurait révélé cette fragilité. Cette analyse est absurde : le tourisme de montagne et la valeur ajoutée qu'il crée se sont construits dès le départ autour de la neige, de la glisse et de l'hiver, comme le tourisme d'été du littoral s'est construit autour de la mer, de la baignade et de la plage. Ce que la crise a révélé, c'est simplement que la fermeture des remontées mécaniques assèche la majeure partie de la clientèle des stations et 80 % des recettes du secteur. Si la crise du covid-19 avait conduit à fermer les plages pendant l'été et à interdire les baignades, aurait-on dit que le tourisme du littoral, l'été, dépendait trop de la mer et de la plage ? J'en doute.
Qu'il faille diversifier l'offre des stations, c'est évident ; qu'il faille adapter les stations aux évolutions climatiques, cela va de soi, et ce travail a été engagé avec les collectivités il y a de nombreuses années ; qu'il faille relancer le tourisme social et les classes de neige pour rendre la montagne plus accessible, cela fait quatre ans que je le demande. Mais que l'on fasse dire n'importe quoi à une crise en produisant une argumentation fallacieuse ne rend pas service à l'avenir de cette filière, qui, je le rappelle, place la France dans les trois leaders mondiaux du secteur et produit de grands champions, dont nous sommes fiers.