Intervention de Marc Le Fur

Réunion du mardi 1er juin 2021 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Le Fur, rapporteur spécial (Aide publique au développement) :

Après un bref état de l'exécution budgétaire de 2020, je me pencherai plus précisément sur l'aide publique au développement en direction des pays surendettés.

Les crédits de paiement de la mission Aide publique au développement ont augmenté de 36 % depuis 2017, soit une hausse de 890 millions d'euros. Ce dynamisme se confirme en 2020, puisque les crédits ont encore crû de 13 %, pour atteindre 3,38 milliards. L'aide publique au développement représente désormais 0,53 % du revenu national brut (RNB), et notre objectif de 0,55 % devrait donc être atteint à l'heure.

La crise sanitaire de 2020 a entraîné une sur-exécution de 235 millions d'euros en crédits de paiement pour faire face aux exigences du moment. Ce sont essentiellement des redéploiements de crédits, que les multiples mouvements budgétaires ont contribué à renforcer. L'annulation de la dette de la Somalie a représenté une perte de 67 millions d'euros pour la France.

L'année 2020 a également été marquée par la chute vertigineuse de certaines recettes ; les ressources du Fonds de solidarité pour le développement (FSD) ont notamment souffert de l'effondrement du produit de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA). Nous devons en tirer des leçons pour l'avenir : la débudgétisation du FSD semblait être la garantie d'un financement sûr pour l'aide publique au développement, mais ce ne fut pas le cas l'an dernier et il a fallu que le budget se substitue à la taxe.

J'en viens à mon thème d'évaluation, qui concerne la dette. Nous sortons d'une longue période – les années 1990 et 2000 – au cours de laquelle les États occidentaux ont eu à gérer la dette des pays les plus pauvres. Un mécanisme avait été créé pour les pays pauvres très endettés (PPTE), qui a bénéficié à trente-six pays. Les choses, à l'époque, étaient assez simples : la dette était dans les pays pauvres, les pays occidentaux étaient les créanciers et, en se mettant autour de la table – c'est ce qu'on a appelé le Club de Paris –, ils parvenaient d'une manière relativement informelle à gérer la plupart des situations.

Or une nouvelle vague de dettes est devant nous, qui est énorme. On considère en effet que la dette extérieure des pays à revenu faible et intermédiaire s'élève à 8 100 milliards de dollars. Par ailleurs, les dettes ont changé de nature. Auparavant, elles étaient essentiellement concessionnelles, ce qui signifie qu'elles incluaient une part de subvention. Désormais, une bonne partie de la dette est non-concessionnelle et relève d'institutions privées. Allons-nous traiter ces deux types de dettes de la même façon ? Il serait paradoxal d'annuler une partie de la dette concessionnelle pour permettre à ces pays de payer leur dette non-concessionnelle !

Deuxième difficulté : on voit apparaître un nouveau créancier, très opaque mais très important, qui est la Chine. Celle-ci détient déjà 13 % de la dette subsaharienne. Je ne suis pas certain des chiffres que je vous donne, parce que personne ne les connaît : on est dans l'opacité la plus totale, on ne sait pas ce qui se passe et on ignore tout des conditions de la dette chinoise. Il semblerait que certains contrats soient associés à des priorités de remboursement : les pays s'engageraient à rembourser la Chine avant leurs autres créanciers. À titre d'exemple, le service de la dette guinéenne est détenu à 59 % par la Chine.

Une autre évolution est en train de changer la donne : les notations prennent de plus en plus d'importance et certains pays pauvres hésitent à demander le report ou la réduction de leur dette, de peur de paraître moins crédibles sur les marchés.

Une initiative a été prise récemment, qui concerne les soixante-dix-sept pays considérés comme les plus pauvres : l'initiative de suspension du service de la dette (ISSD). Il ne s'agit pas d'annuler la dette, mais de reporter un peu son remboursement. Cette disposition n'est pas comptabilisée comme relevant de l'APD, alors qu'elle a un coût immédiat dont il conviendrait de tenir compte – même si elle ne devrait pas avoir d'effet à long terme.

Une autre avancée est à saluer : la Chine a accepté les conditions du Club de Paris. Les Chinois et les pays du Golfe, qui sont aussi des prêteurs importants, sont désormais autour de la table, même si cela reste informel. On ne sait pas encore comment les choses vont se passer, puisqu'on est vraiment au début du changement. La situation de trois pays va être examinée dans cette nouvelle configuration : celle du Tchad, de la Zambie et de l'Éthiopie. Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette évolution, monsieur le secrétaire d'État, et notamment sur le coût de l'opération, qui s'est déjà élevé à 150 millions pour la France en 2020 ? Combien cela va-t-il nous coûter dans la durée ?

On peut aussi s'interroger sur la manière de procéder. Chaque million du budget de la France fait l'objet d'un débat au Parlement. Or ce n'est pas le cas de la dette : tout se passe au Trésor, et l'on ne découvre le montant de la dette qu'au moment de payer l'AFD, pour atténuer le choc que cela constitue pour elle. Vous n'êtes certes pas le ministre du Trésor mais vous représentez le Gouvernement et vous êtes à la tête du dossier. Il me paraît inconcevable que le Parlement continue à être exclu d'une affaire de cette importance.

Prenons l'exemple du Soudan, où nous avons à gérer la queue de comète des anciennes dettes. La France va sans doute abandonner au Soudan autour de 5 milliards d'euros, ce qui représente une année et demie d'aide publique au développement. C'est gigantesque. Or le Soudan n'est que notre 123e partenaire commercial. Nous allons donc faire un effort considérable pour un pays qui ne nous achète rien et auquel nous n'achetons rien, ou presque. Il ne serait pas illégitime que le Parlement se penche sur cette question. Nous favorisons, avec certains pays alliés, ou amis, l'approche dite « 3D », qui associe le développement, la défense et la diplomatie – c'est par exemple le cas avec le Tchad. Le Soudan, lui, a passé un accord avec la Russie pour accueillir l'une de ses bases navales. Je n'ai rien contre les Russes, ils sont nos amis aussi, mais je ne vois pas pourquoi nous devrions aider financièrement un pays qui offre une base majeure à la Russie au sud de Suez. Peut-être faudra-t-il finalement payer la dette du Soudan, mais j'aimerais que nous puissions au moins en débattre !

J'évoquerai, pour finir, la question un peu technique des droits de tirage spéciaux (DTS). Ce mécanisme consiste, pour le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, à allouer des ressources aux pays membres en fonction de leur quote-part et de leur participation dans les instances internationales. Les pays pauvres n'en reçoivent donc qu'une part assez limitée. Le Président de la République a proposé que la part relative des DTS attribuée aux pays pauvres soit accrue. Pouvez-vous nous donner des éléments sur le mécanisme envisagé ?

Si je me suis intéressé à la dette, c'est parce que cette question, qui semblait derrière nous, se pose à nouveau, et avec une grande acuité. L'entrée en scène, au sein des clubs de décision, des nouveaux acteurs que sont la Chine et les pays arabes du Golfe, est en train de changer la donne. L'abandon de dette est parfois inévitable, lorsqu'un État connaît une véritable défaillance financière. Il n'empêche que nous devons bien y réfléchir.

Ces abandons de dette vont certes nous permettre d'atteindre très facilement notre objectif de 0,55 % du RNB, voire celui de 0,7 %, mais ils ne vont pas forcément bénéficier aux pays que nous considérons comme prioritaires, qui sont les plus pauvres, ceux qui n'ont même pas eu la capacité de s'endetter. Nous risquons donc de privilégier des pays intermédiaires comme la Zambie qui, après avoir beaucoup emprunté parce qu'elle connaissait une période faste, est désormais défaillante. Sur ces questions importantes, il importe que le Parlement soit associé à la décision – plutôt que de les découvrir dans la presse !

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