Monsieur le rapporteur spécial, je partage votre constat : nous allons faire face à une nouvelle vague de dettes. Vous avez évoqué la période des années 1990 et 2000 et le mécanisme d'aide aux PPTE. Après la crise de 2008, et tout au long des années 2010, certains pays africains ont connu une période d'expansion, qui a reposé en grande partie sur l'endettement. Celui-ci a changé de nature, puisque des bailleurs émergents et des acteurs privés ont pris de plus en plus d'importance. Et certains États se retrouvent aujourd'hui dans un état critique.
Je peux témoigner, pour le voir agir au quotidien, de la détermination du Président de la République à mettre ces nouveaux acteurs autour de la table. C'est ainsi qu'au dernier sommet des chefs d'État et de gouvernement du G20, à l'automne dernier, nous avons réussi à faire naître le cadre commun que vous évoquiez, qui inclut la Chine. C'était un enjeu crucial, car il aurait effectivement été paradoxal que le Club de Paris annule la dette de certains États et que ceux-ci en profitent pour rembourser le bailleur émergent, qui ne prête pas, vous l'avez, dit, dans des conditions totalement transparentes.
La définition de ce cadre commun, qui associe le Club de Paris et le G20, est vraiment une avancée très importante sur le plan méthodologique. Pour chaque pays est créé un comité des créanciers ad hoc. Le Tchad, premier pays étudié, constitue une sorte de cas d'école. Trois réunions ont déjà eu lieu, une nouvelle réunion des créanciers doit se tenir dans quelques jours et nous attendons avec impatience de voir comment la Chine va se comporter. Si les créanciers se mettent d'accord, cela permettra de donner des assurances de financement au FMI. Il est clair que le traitement du cas du Tchad constitue un test. Je sais que Bruno Le Maire est très engagé sur cette question et qu'il s'en est entretenu avec le vice-premier ministre chinois la semaine dernière. J'espère que cette nouvelle méthodologie va faire ses preuves et que nous pourrons vite ouvrir la négociation qui concerne l'Éthiopie. Il faudra en tout cas un vrai engagement politique pour arrimer ces bailleurs émergents.
Vous avez évoqué l'initiative de suspension du service de la dette. Le Président de la République s'est engagé très fermement dans ce sens, dès que la pandémie s'est déclarée : il s'agissait de donner un peu d'oxygène à des États qui, comme nous, ont dû y faire face, investir dans la santé, financer les équipements de protection individuelle, gérer la campagne de vaccination. Je rappelle que la France est très engagée dans la collaboration en vue d'un accès mondial et équitable aux vaccins contre le virus de la covid-19 (COVAX) et dans l'initiative Acces to covid-19 tools accelerator (ACT-A). Nous agissons pour que les vaccins arrivent dans les quatre-vingt-douze pays pauvres ou intermédiaires concernés. D'ici à la fin du mois de juin, la France fournira un demi-million de doses au programme COVAX, à destination de l'Afrique. L'ISSD a permis de reporter 5,2 milliards de dollars d'échéances, soit 700 millions pour la France, afin d'aider les pays en développement à faire face aux conséquences de la crise.
Dans une perspective de plus long terme, le cadre commun doit aussi nous permettre d'obtenir un certain nombre d'engagements de la part des États que nous aidons. Nous attendons d'eux qu'ils travaillent à la formalisation de leur activité économique, à la lutte contre les flux financiers illicites, à la mobilisation de leurs ressources internes. Il y a une vraie prise de conscience des dirigeants de ces pays. Vous évoquiez la Guinée : il y a trois semaines, le président Alpha Condé, avec qui je me suis entretenu, a réitéré son souhait de bénéficier de l'expertise française sur la mobilisation des ressources internes. Nous travaillons donc au détachement d'un expert technique international à ses côtés pour doter la Guinée d'un plan en la matière. Depuis deux ans, on observe une prise de conscience, et de nouveaux outils se mettent en place. Nous demandons ce type de contreparties aux États bénéficiaires de l'APD pour nous assurer qu'ils empruntent un chemin vertueux.
Il est vrai que la France a apporté son soutien, dès 2020, à une nouvelle allocation générale de DTS, sur le modèle de ce qui avait été fait après la crise financière de 2008-2009. Il nous semble que c'est le moyen le plus rapide et le plus efficace de répondre aux besoins de financement sans précédent causés par la crise. Je rappelle que cette opération n'a pas d'impact budgétaire puisqu'il s'agit de la création de droits nouveaux. Le FMI travaille actuellement aux derniers aspects techniques de cette opération d'un montant historique : 650 milliards de dollars. Nous pouvons espérer que les DTS seront versés aux pays membres avant la fin de l'été.
Concrètement, cette opération permettra d'allouer environ 33 milliards de dollars à l'Afrique, dont 24 milliards à l'Afrique subsaharienne et environ 4,5 milliards aux pays prioritaires de notre APD. Vous le savez, le Président de la République a proposé d'utiliser une partie des DTS des pays les plus développés pour aider le continent africain. Il ne s'agit pas d'un don, mais d'un prêt à des guichets du FMI et de la Banque mondiale qui, eux-mêmes, prêtent à l'Afrique. Cette question était au cœur du sommet de financement des économies africaines qui s'est tenu le 18 mai à Paris. Le chef de l'État est très mobilisé et veille à l'application de ces décisions, comme le ministre de l'économie.
Vous avez enfin évoqué le Soudan. La France reste très présente dans la région de l'Afrique de l'Est – il suffit de penser à notre empreinte forte à Djibouti et à nos liens réaffirmés avec l'Éthiopie, où le Président de la République s'est rendu en 2019. Il s'est passé au Soudan une révolution qui est porteuse d'espoir et que nous devons accompagner. Le fait que la France ait pris cette initiative est aussi de nature à faire avancer ce pays dans la bonne voie, celle du renouveau démocratique. On peut se féliciter que ce soit à Paris que cette question a été traitée, le 17 mai, et que toutes les bonnes fées se soient penchées sur l'avenir du Soudan.