Voici un an jour pour jour que j'ai pris mes fonctions de Premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques. Je renouais alors avec cette institution au moment où la révision de la gouvernance économique et financière était devenue nécessaire, la crise sanitaire et économique que nous traversons depuis plus d'un an appelant un nouvel ajustement du cadre de finances publiques.
Au cours de l'année écoulée, le Haut Conseil a remis sept avis – une activité exceptionnelle qui reflète le caractère inédit de la crise. De ces avis découlent deux principaux constats. Le premier est celui de l'obsolescence absolue de la loi de programmation des finances publiques, qui avait été adoptée en janvier 2018. Le second est celui du caractère fondamental de la soutenabilité de l'endettement public, question qui sera devant nous pendant plusieurs années. Après le bon de 20 points de PIB que l'on connaîtrait entre l'avant et l'après-crise, il conviendra de maîtriser le niveau de dette publique pour le faire refluer à moyen terme.
L'avis du Haut Conseil sur le projet de loi de finances rectificative pour 2021 renforce la portée de ces deux constats, qui se font écho et appellent à la définition d'une nouvelle stratégie d'action et de finances publiques, qui prendra la forme d'une nouvelle loi de programmation. J'aurai l'occasion de revenir devant vous pour vous présenter les recommandations que la Cour des comptes formulera afin de guider l'élaboration de cette stratégie.
Le scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement confirme le rebond de l'activité économique. Après un recul de 7,9 % de l'activité en 2020, le Gouvernement prévoit une croissance de 5 points de PIB en 2021. Il y a deux mois, le Haut Conseil a qualifié ce scénario de cohérent avec le scénario sanitaire d'une levée progressive à partir de mai 2021 des restrictions pesant sur les activités et les déplacements. Nous maintenons aujourd'hui cette appréciation sur ce scénario, que nous jugeons cohérent avec les informations conjoncturelles parues début avril.
Après une légère contraction du PIB au premier trimestre 2021 – nous pourrions parler de stabilité orientée à la baisse –, la levée progressive des restrictions en mai et juin devraient permettre un très net rebond de l'activité. Les enquêtes de conjoncture auprès des entreprises publiées par l'Insee pourraient même laisser présager une résorption des pertes d'activité un peu plus rapide, conduisant à une croissance un peu plus élevée. Dans ses débats, le Haut Conseil balançait entre les termes « réaliste » et « prudent », et a opté pour celui de « réaliste ».
La situation économique demeure bien sûr entourée d'incertitudes importantes : l'évolution de la situation sanitaire, les variants, l'évolution de la vaccination, le comportement de consommation des ménages, ou encore la solvabilité des entreprises en sortie de crise. Au total, nous considérons que la prévision de croissance de 5 % en 2021 que retient le Gouvernement est réaliste. Au regard des dernières informations, nous estimons que les prévisions d'emploi et de masse salariale sont plutôt prudentes. L'inflation pourrait se révéler un peu supérieure à la prévision du PLFR, ce qui pourrait soutenir le regain de recettes publiques.
Depuis le programme de stabilité, le scénario de finances publiques a été révisé pour prendre en compte le prolongement de certains dispositifs de soutien. Le niveau des dépenses publiques est très fortement revu à la hausse pour s'établir selon le PLFR à 60,6 points de PIB en 2021. Les dépenses croissent de 66 milliards d'euros par rapport à 2020 – évolution avant tout portée par les dépenses ordinaires, c'est-à-dire celles qui ne comprennent pas les mesures de soutien et de relance. Les dépenses de soutien et de relance augmentent de 25 milliards d'euros par rapport à 2020. Les crédits ouverts sur la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire en 2021 passent de 6 à 44,7 milliards d'euros à l'issue du PLFR. La majeure partie de ces crédits ont été ouverts par la voie réglementaire de report de crédits fin 2020 et début 2021. Les 9,8 milliards ouverts par le PLFR s'ajoutent ainsi aux 28,8 milliards d'euros de crédits reportés.
En dépit d'un environnement macroéconomique meilleur qu'en 2020, le déficit public se dégraderait sous l'effet de la dépense publique, pour s'établir à 9,4 points de PIB en 2021. Ce déficit pourrait être amoindri par un rebond économique plus vigoureux, ou par une moindre montée en charge du plan de relance ; mais il pourrait être creusé par une nouvelle dégradation de la situation sanitaire, ou l'éventuelle adoption de mesures additionnelles de soutien.
Le scénario de finances publiques prévoit une dégradation du solde structurel de 5 points pour s'établir à – 6,3 points de PIB en 2021. Il s'agit d'un mouvement extrêmement spectaculaire, mais il convient de ne pas accorder un crédit excessif à ces chiffres, car ils sont calculés sur le fondement de l'hypothèse de croissance potentielle de la loi de programmation de janvier 2018, et car la méthode de comptabilisation des mesures de soutien a évolué entre 2020 et 2021. Pour autant, l'ampleur du déficit structurel s'est considérablement accrue, ce qui témoigne de la situation très dégradée des finances publiques de la France en 2021. Le ratio de dettes publiques augmenterait de 20 points de PIB entre 2019 et 2021, pour atteindre plus de 117 points de PIB. Le Haut Conseil souligne que cette évolution appelle à la plus grande vigilance sur le chemin de la résorption du déficit public et sur la soutenabilité de la trajectoire des finances publiques.
Je tiens à souligner la richesse et la qualité des dispositions de la proposition de loi organique (PPLO) relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, dont je partage pleinement les objectifs. Les évolutions induites par la proposition s'inscrivent dans la continuité des travaux de la commission des finances, mais aussi des travaux de la Cour des comptes, et notamment de son rapport sur la gouvernance des finances publiques de novembre 2020. Je souscris à l'ensemble des modifications portées par la PPLO au mandat du Haut Conseil. L'élargissement de sa compétence à l'appréciation du réalisme des prévisions de recettes et de dépenses et à l'examen de la soutenabilité de la dette publique me semble absolument nécessaire à la rénovation de notre cadre de gouvernance des finances publiques.
J'identifie principalement trois ajustements complémentaires. Le premier concerne l'appréciation de la trajectoire de finances publiques. Afin que le Haut Conseil apprécie le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses, il apparaîtrait nécessaire qu'il puisse également examiner les mesures nouvelles les plus significatives portées par les textes financiers. Un seuil financier pourrait être fixé par la loi organique pour que cette contre-expertise soit réservée aux seules mesures ayant une forte incidence sur la trajectoire de finances publiques.
Le deuxième ajustement porte sur le suivi en continu de l'exécution de la trajectoire de finances publiques, qui pourrait être rendu plus opérationnel par une procédure d'identification des risques d'écart. Il s'agirait d'établir une sorte de mécanisme de pré-alerte, complémentaire du mécanisme actuel de correction.
Le troisième ajustement concerne la simplification et la clarification du mandat du Haut Conseil. Plusieurs dispositions pourraient être ponctuellement ajustées, dont celles qui sont relatives aux délais de saisine. Le Haut Conseil n'a par exemple disposé que de cinq jours, réduits finalement à moins de trois, pour examiner le PLFR. Cette situation n'est pas conforme à ce que doit être le fonctionnement d'une institution budgétaire indépendante jouant la plénitude de son rôle. Il est temps d'y remédier.
Ces quelques propositions complémentaires reflètent la profonde importance que j'attache à la modernisation du cadre de gouvernance organique des finances publiques et à un travail harmonieux avec le Parlement. Les modifications proposées par le texte ont mon plein soutien.