La commission entend M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de finances rectificative pour 2021 (n° 4215).
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Pierre Moscovici, qui va nous présenter l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2021, pour lequel nous avons auditionné hier les ministres concernés.
En application de l'article 15 de la loi organique de 2012, relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, il revient au Haut conseil d'émettre un avis sur les prévisions macroéconomiques qui fondent le projet de loi de finances rectificative, ainsi que sur la cohérence entre l'article liminaire du PLFR et les orientations pluriannuelles de solde structurel fixées par la loi de programmation des finances publiques de 2018 à 2022.
Voici un an jour pour jour que j'ai pris mes fonctions de Premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques. Je renouais alors avec cette institution au moment où la révision de la gouvernance économique et financière était devenue nécessaire, la crise sanitaire et économique que nous traversons depuis plus d'un an appelant un nouvel ajustement du cadre de finances publiques.
Au cours de l'année écoulée, le Haut Conseil a remis sept avis – une activité exceptionnelle qui reflète le caractère inédit de la crise. De ces avis découlent deux principaux constats. Le premier est celui de l'obsolescence absolue de la loi de programmation des finances publiques, qui avait été adoptée en janvier 2018. Le second est celui du caractère fondamental de la soutenabilité de l'endettement public, question qui sera devant nous pendant plusieurs années. Après le bon de 20 points de PIB que l'on connaîtrait entre l'avant et l'après-crise, il conviendra de maîtriser le niveau de dette publique pour le faire refluer à moyen terme.
L'avis du Haut Conseil sur le projet de loi de finances rectificative pour 2021 renforce la portée de ces deux constats, qui se font écho et appellent à la définition d'une nouvelle stratégie d'action et de finances publiques, qui prendra la forme d'une nouvelle loi de programmation. J'aurai l'occasion de revenir devant vous pour vous présenter les recommandations que la Cour des comptes formulera afin de guider l'élaboration de cette stratégie.
Le scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement confirme le rebond de l'activité économique. Après un recul de 7,9 % de l'activité en 2020, le Gouvernement prévoit une croissance de 5 points de PIB en 2021. Il y a deux mois, le Haut Conseil a qualifié ce scénario de cohérent avec le scénario sanitaire d'une levée progressive à partir de mai 2021 des restrictions pesant sur les activités et les déplacements. Nous maintenons aujourd'hui cette appréciation sur ce scénario, que nous jugeons cohérent avec les informations conjoncturelles parues début avril.
Après une légère contraction du PIB au premier trimestre 2021 – nous pourrions parler de stabilité orientée à la baisse –, la levée progressive des restrictions en mai et juin devraient permettre un très net rebond de l'activité. Les enquêtes de conjoncture auprès des entreprises publiées par l'Insee pourraient même laisser présager une résorption des pertes d'activité un peu plus rapide, conduisant à une croissance un peu plus élevée. Dans ses débats, le Haut Conseil balançait entre les termes « réaliste » et « prudent », et a opté pour celui de « réaliste ».
La situation économique demeure bien sûr entourée d'incertitudes importantes : l'évolution de la situation sanitaire, les variants, l'évolution de la vaccination, le comportement de consommation des ménages, ou encore la solvabilité des entreprises en sortie de crise. Au total, nous considérons que la prévision de croissance de 5 % en 2021 que retient le Gouvernement est réaliste. Au regard des dernières informations, nous estimons que les prévisions d'emploi et de masse salariale sont plutôt prudentes. L'inflation pourrait se révéler un peu supérieure à la prévision du PLFR, ce qui pourrait soutenir le regain de recettes publiques.
Depuis le programme de stabilité, le scénario de finances publiques a été révisé pour prendre en compte le prolongement de certains dispositifs de soutien. Le niveau des dépenses publiques est très fortement revu à la hausse pour s'établir selon le PLFR à 60,6 points de PIB en 2021. Les dépenses croissent de 66 milliards d'euros par rapport à 2020 – évolution avant tout portée par les dépenses ordinaires, c'est-à-dire celles qui ne comprennent pas les mesures de soutien et de relance. Les dépenses de soutien et de relance augmentent de 25 milliards d'euros par rapport à 2020. Les crédits ouverts sur la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire en 2021 passent de 6 à 44,7 milliards d'euros à l'issue du PLFR. La majeure partie de ces crédits ont été ouverts par la voie réglementaire de report de crédits fin 2020 et début 2021. Les 9,8 milliards ouverts par le PLFR s'ajoutent ainsi aux 28,8 milliards d'euros de crédits reportés.
En dépit d'un environnement macroéconomique meilleur qu'en 2020, le déficit public se dégraderait sous l'effet de la dépense publique, pour s'établir à 9,4 points de PIB en 2021. Ce déficit pourrait être amoindri par un rebond économique plus vigoureux, ou par une moindre montée en charge du plan de relance ; mais il pourrait être creusé par une nouvelle dégradation de la situation sanitaire, ou l'éventuelle adoption de mesures additionnelles de soutien.
Le scénario de finances publiques prévoit une dégradation du solde structurel de 5 points pour s'établir à – 6,3 points de PIB en 2021. Il s'agit d'un mouvement extrêmement spectaculaire, mais il convient de ne pas accorder un crédit excessif à ces chiffres, car ils sont calculés sur le fondement de l'hypothèse de croissance potentielle de la loi de programmation de janvier 2018, et car la méthode de comptabilisation des mesures de soutien a évolué entre 2020 et 2021. Pour autant, l'ampleur du déficit structurel s'est considérablement accrue, ce qui témoigne de la situation très dégradée des finances publiques de la France en 2021. Le ratio de dettes publiques augmenterait de 20 points de PIB entre 2019 et 2021, pour atteindre plus de 117 points de PIB. Le Haut Conseil souligne que cette évolution appelle à la plus grande vigilance sur le chemin de la résorption du déficit public et sur la soutenabilité de la trajectoire des finances publiques.
Je tiens à souligner la richesse et la qualité des dispositions de la proposition de loi organique (PPLO) relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, dont je partage pleinement les objectifs. Les évolutions induites par la proposition s'inscrivent dans la continuité des travaux de la commission des finances, mais aussi des travaux de la Cour des comptes, et notamment de son rapport sur la gouvernance des finances publiques de novembre 2020. Je souscris à l'ensemble des modifications portées par la PPLO au mandat du Haut Conseil. L'élargissement de sa compétence à l'appréciation du réalisme des prévisions de recettes et de dépenses et à l'examen de la soutenabilité de la dette publique me semble absolument nécessaire à la rénovation de notre cadre de gouvernance des finances publiques.
J'identifie principalement trois ajustements complémentaires. Le premier concerne l'appréciation de la trajectoire de finances publiques. Afin que le Haut Conseil apprécie le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses, il apparaîtrait nécessaire qu'il puisse également examiner les mesures nouvelles les plus significatives portées par les textes financiers. Un seuil financier pourrait être fixé par la loi organique pour que cette contre-expertise soit réservée aux seules mesures ayant une forte incidence sur la trajectoire de finances publiques.
Le deuxième ajustement porte sur le suivi en continu de l'exécution de la trajectoire de finances publiques, qui pourrait être rendu plus opérationnel par une procédure d'identification des risques d'écart. Il s'agirait d'établir une sorte de mécanisme de pré-alerte, complémentaire du mécanisme actuel de correction.
Le troisième ajustement concerne la simplification et la clarification du mandat du Haut Conseil. Plusieurs dispositions pourraient être ponctuellement ajustées, dont celles qui sont relatives aux délais de saisine. Le Haut Conseil n'a par exemple disposé que de cinq jours, réduits finalement à moins de trois, pour examiner le PLFR. Cette situation n'est pas conforme à ce que doit être le fonctionnement d'une institution budgétaire indépendante jouant la plénitude de son rôle. Il est temps d'y remédier.
Ces quelques propositions complémentaires reflètent la profonde importance que j'attache à la modernisation du cadre de gouvernance organique des finances publiques et à un travail harmonieux avec le Parlement. Les modifications proposées par le texte ont mon plein soutien.
Je note l'importance de la dégradation du déficit structurel, qui est inquiétante. J'aimerais m'assurer que nous sommes d'accord sur la classification des dépenses entre le soutien à l'urgence et la relance, car je n'ai pas l'impression que les chiffres qui viennent d'être présentés soient les mêmes que ceux du Gouvernement.
La même question se pose pour l'augmentation des dépenses entre 2020 et 2021. Les 41 milliards d'euros d'augmentation des dépenses que vous qualifiez d'ordinaires constituent une dérive deux fois plus importante que le cours naturel de la dépense publique. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Il a été demandé au Gouvernement par quel miracle l'on pouvait aboutir à une baisse du ratio d'endettement sans que soit modifiée la croissance, et alors même que les déficits avaient tendance à s'accroître. Le Gouvernement a répondu que la croissance de 2018 et de 2019 avait été révisée, et que c'était donc une question de dénominateur. Partagez-vous cette analyse ?
Dans d'autres pays, les organismes de nature comparable à celle du Haut Conseil jouissent de pouvoirs d'appréciation et de commentaire plus importants que celui-ci. Votre champ d'expertise est frustrant pour vous comme pour nous, puisque les deux tiers des questions qui vous sont posées n'en font pas partie. Nous devons aller plus loin. La France a besoin d'un cadre, car sans règles nous n'arrivons pas à maîtriser le fond.
S'agissant des mesures nouvelles, le Gouvernement publie des mesures d'impact, le Conseil d'État assure un suivi, et le Parlement tente de le faire, mais n'est pas outillé pour. C'est un sujet dont il faut discuter.
Je partage votre avis concernant les délais de saisine. Le Haut Conseil est saisi très tardivement, tout comme le Parlement dispose de peu de temps, que ce soit pendant les périodes d'urgence ou en régime de croisière. Nous dispsons de neuf jours pour examiner le projet de loi de finances rectificative en première lecture à l'Assemblée nationale, avant que le Sénat dispose d'une vingtaine de jours. Par conséquent, les députés ont seulement deux jours pour déposer des amendements en vue de la commission.
Ce projet de loi de finances rectificative fait le choix de la prudence et de la sincérité, autant que le permet ce contexte de crise exceptionnel. Les prévisions macroéconomiques apparaissent réalistes, même si elles sont entourées d'incertitudes importantes, de même que les prévisions en matière de finances publiques. Les prévisions de recettes sont révisées, ce qui rend toujours la photographie plus sincère dans le cadre de l'examen d'un texte financier.
Vous mentionnez des tendances inflationnistes. Quelles en sont les origines, et quels sont leurs impacts sur les finances publiques si l'inflation venait à perdurer, voire à s'accélérer ?
Vous concluez que la soutenabilité à moyen terme des finances publiques appelle à la plus grande vigilance. Je partage votre propos. Quelle est votre recommandation prioritaire pour parvenir à une meilleure maîtrise de nos comptes publics en sortie de crise ?
Vous indiquez qu'en 2021, le Gouvernement a choisi d'inscrire les mesures d'urgence au sein de la composante structurelle du déficit, alors qu'il avait fait le choix inverse en 2020. Nous perdons en lisibilité. J'aimerais connaître votre avis : les dépenses de crise sont-elles structurelles ou non ? Il est de notre responsabilité parlementaire de présenter aux citoyens ce qui relève de la dépense exceptionnelle, et donc de l'endettement exceptionnel, et ce qui relève de la dépense courante pour les prochaines années.
La proposition de loi organique est une étape vers un meilleur cadrage du retour à l'équilibre de nos dépenses publiques. Nous considérons que ce n'est pas une option mais une obligation pour pouvoir conserver cette capacité de protection et d'endettement exceptionnel. La capacité de notre pays à protéger son économie et ses salariés, et à réinvestir dans un plan de relance, ne reste possible que grâce à la qualité de sa signature. L'avenir ne sera possible dans les mêmes conditions que si nous rétablissons certains équilibres budgétaires, et certains équilibres sociaux.
Enfin, je suis d'avis que le rôle du Haut Conseil doit être renforcé, mais il convient de se demander dans quelle mesure le fait de qualifier la soutenabilité de la dette peut mettre en difficulté le travail de l'Agence France Trésor.
Nous évoluons dans un contexte très incertain. Vous soulignez que la perspective d'une croissance de 5 % est une hypothèse réaliste. Ce terme de « réaliste » marque-t-il un degré intermédiaire entre l'optimisme et le pessimisme ?
Qu'est-ce qui peut entamer cette prévision réaliste : l'augmentation des taux d'intérêt, l'inflation, les pénuries de main-d'œuvre, de matières premières ?
Avec un rebond de 18 % de l'activité économique, le troisième trimestre 2020 a été parmi les meilleurs de l'Union européenne. Quels sont les éléments optimistes qui nous autorisent à imaginer une croissance supérieure à 5 % en 2021 ?
Vous soulignez qu'il existe des risques inflationnistes, des risques de liquidité, de solvabilité. Pourriez-vous préciser vos inquiétudes à cet égard ?
Vous indiquez que les hypothèses de croissance ont été formulées au regard de l'hypothèse de croissance potentielle formulée dans les lois de programmation à 1,25 % ou 1,30 %. J'aimerais avoir votre appréciation sur le taux de croissance potentielle que vous envisagez pour notre économie.
Disposez-vous d'éléments comparatifs relatifs à l'évolution des taux de croissance potentielle ainsi que du déficit structurel pour les autres États de l'Union européenne ?
Il est clair que le mandat du Haut Conseil est sensiblement plus étroit que celui des autres institutions budgétaires indépendantes. J'aimerais connaître votre appréciation sur les propositions de la commission Arthuis, qui recommande une transformation radicale de la gouvernance de nos finances publiques.
Les chiffres que nous examinons ont de quoi donner le tournis. Si la dégradation de la dette publique s'explique par la chute historique, l'an dernier, du PIB, elle s'explique aussi par l'importante action financière de l'État. Les plans d'urgence et de relance n'ont qu'un seul but : préserver le patrimoine humain et entrepreneurial français. Les chiffres de croissance que nous pouvons atteindre cette année laissent penser que ce patrimoine sera préservé. L'hypothèse du Gouvernement d'une croissance de 5 %, que vous avez qualifiée de réaliste, nous semble particulièrement prudente en comparaison des estimations d'autres institutions internationales.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation. Elle sanctionne la coupable attitude qui est la nôtre, en France, depuis quarante ans : notre incapacité à rompre avec la facilité du déficit, selon l'expression consacrée. Avec une dette publique à 117,2 points du PIB, nous sommes exposés plus fortement que nos voisins à un effet « boule de neige ». Une hausse de taux d'intérêt de 1 % aurait un effet financier annuel sur le budget de l'État, en alourdissant la charge de la dette de 15 milliards d'euros au bout de cinq ans, et de 30 milliards au bout de dix ans, ce qui ne manquerait pas de créer des inquiétudes quant à notre capacité de remboursement. Pensez-vous que nous approchions du niveau maximal de soutenabilité de la dette ?
Le PLFR est fondé sur l'hypothèse d'une inflation à 1,1 %. Toutefois, nombreux sont ceux qui s'interrogent ces dernières semaines sur un retour de l'inflation. Quels en seraient les effets sur nos finances publiques ?
En 2020, les mesures d'urgence étaient enregistrées dans les dépenses temporaires et n'ont pas été intégrées à l'évolution du solde structurel. En 2021, les mesures d'urgence ne font plus partie des dépenses temporaires, et le solde structurel se dégrade fortement, de 5 points. Que pensez-vous de ces difficultés d'interprétation pour le solde structurel ?
Le PLFR n'évoque pas de nouvelles recettes, ce qui pourrait pourtant être légitime au regard de ceux qui ont profité de la crise. Une contribution exceptionnelle ne paraîtrait pas indécente. Comment jugez-vous la décision de ne pas faire appel à de nouvelles recettes ? Jugez-vous cette position dogmatique, irresponsable ?
Le prix des matières premières et des matériaux est en hausse. Vous parlez d'une inflation à 1,2 % en avril. Beaucoup s'interrogent sur l'évolution de cette inflation et son impact sur les finances publiques.
L'épargne est un enjeu majeur de la relance globale, et notamment de la relance par la consommation. Un risque important serait que la consommation se fasse sur des produits importés, plutôt que de bénéficier à notre économie. Pensez-vous qu'il soit urgent d'inventer de nouveaux dispositifs incitatifs, visant à débloquer l'épargne et flécher les investissements vers des produits made in France ?
Notre groupe partage votre vigilance sur la soutenabilité de l'endettement public à moyen terme. Une fois la crise derrière nous, il sera indispensable de préserver la soutenabilité de notre dette, notamment grâce à des réformes structurelles qui permettront la réforme de la dépense publique sans pénaliser la croissance.
Vous avez souligné la difficulté à définir le solde structurel. Les dépenses d'urgence n'avaient pas été prises en compte dans cette définition en 2020, tandis qu'elles sont comptabilisées en 2021. Cela complique l'analyse du solde structurel d'une année sur l'autre. Quelles seraient vos préconisations pour adopter une approche cohérente du solde structurel ?
Vous dites que l'inflation pourrait se révéler un peu supérieure aux prévisions du PLFR. La majorité des économistes s'entendent pour dire que l'inflation actuelle, plus élevée que d'ordinaire, relève plus d'une situation de rattrapage que d'une tendance de fond. Certains éléments incitent pourtant à la prudence. Quelle est votre analyse concernant l'inflation ? Pensez-vous qu'il s'agisse d'un phénomène temporaire ? Comment les politiques budgétaires et monétaires doivent-elles composer avec ce facteur ?
Une remontée des taux d'intérêt plus ou moins brutale vous paraît-elle possible ? Au regard de notre niveau d'endettement élevé, quels risques une augmentation des taux d'intérêt ferait-elle peser ? Peut-on définir un seuil à partir duquel le niveau des taux d'intérêt deviendrait problématique ?
D'après la Banque de France, nous ne rattraperons le PIB de fin 2019 qu'au milieu de l'année 2022. Les deux années de baisse de production des richesses resteront dans le solde négatif. À partir de là, nous pouvons avoir une idée un peu différente de la fin de l'aide de l'État. La reprise de l'activité économique sera largement amputée par les chiffres que je viens d'annoncer.
La continuité de transfert de la dette due au Covid vers la dette sociale reste problématique. Les exonérations s'affichent à + 4 milliards d'euros, alors que la dette sociale est beaucoup plus difficile à manier que celle de l'État.
La politique de baisse des recettes fiscales se poursuit. Il s'ensuit un curieux paradoxe : d'un côté, l'activité économique est en baisse ; de l'autre, les dividendes pour le CAC 40 augmentent de 51 milliards d'euros (+ 22 %) au début de l'année. Le niveau du CAC 40 cette semaine n'a jamais été aussi haut depuis vingt ans. Les milliardaires français ont gagné 430 milliards d'euros de patrimoine en 2021, soit une augmentation de 55 %. Manifestement, la crise n'est pas pour eux. L'absence de contrepartie, comme celle qui interdirait les licenciements aux entreprises qui reçoivent des aides publiques et ont des dividendes, crée un cercle qui n'est pas vertueux.
La reprise économique en termes de production de richesses est loin d'être arrivée à son terme. Comment peut-on penser que la question des déficits serait à nouveau la question prioritaire par rapport à nos objectifs ?
Il serait peut-être temps d'arrêter la baisse des recettes, qui explique en partie ce déficit, et notamment des baisses de recettes qui profitent aux plus riches et aux entreprises lorsqu'elles sont sans contreparties.
Le paragraphe 30 de votre avis, qui concerne les recettes, m'interpelle beaucoup. Vous y mettez beaucoup de prudence. Nous évoquons peu les recettes, et il n'y a pas de perspectives d'évolution dans votre avis. Considérez-vous que nous sommes dans une situation sanitaire très difficile et que la recette ne va progresser que de façon très limitée, ou pensez-vous que le potentiel de recettes pourrait être beaucoup plus fort ? Vous évoquez l'IS (impôt sur les sociétés) et les droits de mutation, mais pas la TVA ni la CVAE. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce paragraphe ?
Dans les dépenses ordinaires et les dépenses de relance, où placez-vous l'activité partielle ? Est-elle divisée entre les deux ?
La qualification entre urgence et relance, qui était assez nette à l'automne 2020, est devenue plus floue au fil des mois, parce que certains dispositifs, comme l'activité partielle, sont à la frontière des deux catégories, et parce que la comptabilisation des mesures diffère selon la comptabilité retenue. Le Haut Conseil retient la comptabilité nationale, qui diffère fortement de la comptabilité budgétaire du présent projet de loi de finances rectificative. La réconciliation de ces deux référentiels est assurée par l'administration et fait l'objet de l'analyse du Haut Conseil.
S'agissant de la dette publique, il existe bien un effet dénominateur, du fait de la révision à la hausse du PIB en valeur. La révision des flux de créance contribue également à la baisse du ratio de dettes.
Les taux d'intérêt auxquels la France emprunte ont augmenté en 2021. Les obligations françaises à 10 ans s'affichent désormais à + 0,17 %, contre - 0,38 % en décembre 2020. Cette hausse n'est pas propre à la France. Elle reflète des anticipations positives dans le cadre du redémarrage progressif des économies. Les investisseurs anticipent à la fois plus de croissance et d'inflation du fait notamment de la levée progressive des restrictions d'activité et de mouvement, des plans de relance et des tensions et perturbations qui demeurent sur les matières premières. La hausse des taux est limitée ; les taux d'intérêt restent bas, mais ils sont sortis symboliquement du territoire négatif. Plusieurs s'accordent à dire que le rythme actuel d'augmentation des taux pourrait être passager, mais cela reste à vérifier. La question des taux d'intérêt est un enjeu crucial pour la soutenabilité de nos finances publiques. Il y a là un rappel qui nous invite à ne pas vivre dans l'idée d'un confort perpétuel. Nous pouvons tout à fait nous retrouver dans un contexte qui aurait un impact sur la charge de la dette.
Je ne crois pas que la question de la soutenabilité de la dette puisse être l'objet d'un grand secret. C'est une absurdité démocratique. Il s'agit d'une question politique absolument majeure. Si la charge de la dette s'est réduite avec la baisse des taux, la forte croissance de la dette publique la rend plus sensible à une hausse des taux d'intérêt, du fait des volumes plus importants de dettes à refinancer.
La croissance potentielle est un sujet de débat entre économistes. Le FMI, l'OCDE, la Commission européenne s'accordent sur une perte, au niveau du PIB, comprise entre 1 et 2 points. L'effet sur la croissance et la dynamique, en revanche, restent très incertains.
Le Haut Conseil utilise un ensemble de qualificatifs pour nuancer son appréciation des hypothèses du Gouvernement. Le terme « réaliste » correspond, dans notre lexique, à un scénario qui paraît cohérent avec les informations dont nous disposons. Dans le contexte actuel, plusieurs incertitudes demeurent. Depuis le début de la pandémie, la santé et l'économie sont comme les deux faces d'une même pièce. L'incertitude centrale est la santé. Un variant qui transperce le bouclier vaccinal ou un ralentissement de la vaccination peuvent avoir un impact massif sur l'activité économique, tout comme, à l'inverse, une accélération de la vaccination et une innocuité plus grande que prévue des variants.
Il n'est donc pas certain que 5 % soit le chiffre de croissance constaté en fin d'année, mais c'est la prévision la plus réaliste à l'heure actuelle. Au départ, nous pensions plutôt que le scénario à 5 % était prudent, puis le chiffre du premier trimestre est venu mitiger ce jugement. L'hypothèse d'un retour de la croissance potentielle à son niveau d'avant la crise à partir de 2023 est jugée par nous optimiste.
Nous connaissons les causes de l'inflation. L'effet est favorable sur le solde public, par un effet numérateur. En revanche, si l'écart venait à faire que l'impact des taux d'intérêt soit fort et qu'il y ait un effet sur les salaires, cela jouerait dans l'autre sens.
Le Haut Conseil a noté des difficultés d'analyse du solde structurel entre 2019 et 2021. Il fait, en 2021, le constat d'un déficit structurel très dégradé – diagnostic partagé notamment par la Commission européenne. Par définition, une mesure dite one-off ne se produit qu'une fois. Quand une mesure se produit plusieurs fois et a un impact structurel, il n'est pas illogique qu'elle soit classée parmi les dépenses structurelles. D'un point de vue méthodologique, cela a un sens.
Nous avons suivi avec beaucoup d'intérêt les travaux de la commission Arthuis. Ses propositions sur l'évolution du mandat du Haut Conseil sont très proches de celles de la Cour, et font écho à la PPLO, à laquelle je viens d'exprimer mon total soutien. En revanche, j'ai une divergence avec les propositions de la commission Arthuis concernant le fonctionnement du Haut Conseil. La commission semble suggérer une vigie plus lointaine, mais il me semble que la proximité du Haut Conseil avec la Cour est efficace. En termes de modicité des coûts, cette institution bat toutes les autres. La proximité entre le Haut Conseil et le Parlement est naturelle ; plus le mandat du premier sera étendu, plus l'information du second sera éclairée et plus le débat public sera de qualité. Une évolution, plus qu'une révolution, est nécessaire – c'est d'ailleurs la formule qu'ont retenue le président Éric Woerth et le rapporteur général Laurent Saint-Martin, avec une certaine forme de sagesse.
Je ne vais pas développer ici les comparaisons avec d'autres pays européens, mais il faut le dire : la situation des finances publiques françaises est dégradée, notamment au regard de certains de nos partenaires européens. Cela est incontestable. Nos finances publiques avaient été redressées avant la crise, mais insuffisamment. Nous sommes incontestablement plus vulnérables que d'autres au risque d'inflation, à la hausse des taux d'intérêt, à des changements de politique monétaire.
J'en déduis que la question de la dette publique est devant nous, mais pas de manière dogmatique. L'urgence absolue est bien sûr de sortir de la crise sanitaire, de la crise économique, de la crise sociale. Les règles de finances publiques européennes sont à nouveau suspendues pour l'année 2022, ce qui me paraît tout à fait pertinent. La priorité doit être de retrouver le niveau de PIB d'avant la crise, et de sortir des mesures d'urgence. À partir de l'année 2023, il faudra retrouver un cours responsable des choses. Nous aurons besoin d'une loi de programmation, avec un fort degré de contrainte. Nous aurons besoin d'une trajectoire de dette publique qui s'infléchit à un horizon raisonnable.
Vous m'avez interrogé sur ce que doivent être nos priorités. La première d'entre elles est la croissance. Nous ne pouvons pas nous contenter d'une croissance potentielle durablement dégradée. Une stratégie de redressement des finances publiques est une stratégie de croissance. Mais la croissance n'y suffira pas ; il faut également agir sur la dépense publique, sa qualité – ce qui passe sans doute par des revues de dépenses.
Enfin, je ne veux pas trop m'engager sur le débat des recettes, ou des prélèvements obligatoires. C'est un débat extrêmement politique, dont les facteurs sont connus : d'un côté l'aspiration à la redistribution, la volonté de créer une nouvelle recette ; de l'autre, le constat que le niveau de prélèvements obligatoires français est extraordinairement élevé. J'ai parlé par le passé de « ras-le-bol fiscal ». Cette phrase m'a coûté politiquement, mais je ne la regrette pas. Vient un moment où le consentement à l'impôt devient problématique et produit des effets politiques assez délétères. Si de nouveaux prélèvements devaient être décidés, il faudrait qu'ils soient compensés par une action, notamment sur la dépense publique. Le taux général de prélèvement obligatoire connaît certaines limites.
Notre situation de finances publiques ne doit pas être sous-estimée. Elle est la conséquence de la crise, mais aussi de ce que nous savons depuis des décennies, sur la dette publique et sur la manière de retrouver une trajectoire de finances publiques soutenable dans la durée.
Le rapport que vous allez bientôt remettre au Premier ministre sur cette question est particulièrement important dans le calendrier actuel. Nous vous accueillerons avec plaisir pour l'évoquer. Je vous remercie, monsieur le président.