À la fin de l'année 2020, 2 milliards d'euros de CP, soit 98,5 % des crédits ouverts, avaient été consommés sur la mission Investissements d'avenir. Cela n'a pas empêché le transfert de 30 millions d'euros vers la mission Culture afin de financer la rénovation du château de Villers-Cotterêts. Je m'oppose fermement, encore une fois, à la mobilisation de crédits du programme d'investissements d'avenir (PIA) pour financer des projets n'ayant aucun lien avec ces investissements. Madame la secrétaire d'État, le Gouvernement entend-il mettre un terme aux substitutions de crédits entre le PIA et les missions du budget général ?
L'ensemble des conventions et avenants nécessaires au bon déploiement du PIA ont été signés en 2019 et 2020. Par conséquent, 202 millions d'euros d'AE non consommés lors des exercices précédents ont pu être exécutés. Le rythme de consommation des CP a par ailleurs doublé en comparaison avec 2019. Le PIA 3 a donc atteint son rythme de croisière, ce dont nous nous réjouissons.
De nombreux redéploiements, estimés à 315 millions d'euros par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), ont été opérés en cours de gestion pour financer des mesures d'urgence dans le cadre de la crise sanitaire. Des mesures de soutien en trésorerie et en fonds propres ont été mises en place pour les petites entreprises. Madame la secrétaire d'État, combien d'entreprises ont été aidées, et combien ont passé le cap de la crise ? D'autres initiatives visant à lutter contre le virus ont également été lancées, pour un résultat mitigé – nous y reviendrons.
J'en viens aux retours financiers du PIA. Pour la seule année 2019, le jaune budgétaire annexé au PLF pour 2020 prévoyait des retours d'environ 400 millions d'euros. Je constate que ces retours n'ont atteint que 213 millions euros pour 2019, soit deux fois moins que prévu. Je considère à cet égard que la marge de progression du Gouvernement est importante. L'exercice se révélera par ailleurs encore plus complexe pour le PIA 4, dès lors que sa doctrine prévoit que les projets seront également sélectionnés en fonction des retours extra-financiers attendus. Madame la secrétaire d'État, comment entendez-vous affiner la prévision des retours financiers du PIA, et comment rendrez-vous compte au Parlement des retours sur investissement extra-financiers générés ?
J'ai souhaité évaluer les investissements d'avenir dans la recherche en santé. Selon le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, 2,6 milliards d'euros ont été alloués aux structures publiques de l'enseignement supérieur et de la recherche en santé. À ces crédits s'ajoutent des investissements réalisés au profit de la recherche privée, dont le montant précis n'a pas pu m'être communiqué. Les investissements d'avenir s'inscrivent dans un contexte de sous-dimensionnement des financements publics alloués à la recherche. Ils ont permis de financer des projets à long terme, comme les cohortes, ainsi que des équipements coûteux de recherche en santé. En tout état de cause, les réalisations du PIA sont nombreuses en matière de santé : création des instituts hospitalo-universitaires (IHU), des laboratoires d'excellence (Labex), ou encore de l'Institut de recherche technologique (IRT) Bioaster. Il convient également de citer les programmes prioritaires de recherche portant sur l'anti-biorésistance et les maladies rares.
Néanmoins, les structures créées dans le cadre du PIA n'ont pas toujours su ou pu trouver leur place parmi les nombreux organismes de l'écosystème de la recherche. Les relations entre les IHU, les IRT et leurs membres fondateurs – centres hospitalo-universitaires (CHU), universités ou organismes de recherche – sont souvent complexes et sources de tensions. La plupart de ces structures verront leur dotation de PIA s'éteindre ou diminuer fortement d'ici 2024. Cependant, l'accès à l'autonomie financière des IHU et des IRT est loin d'être acquise, compte tenu de leurs difficultés à générer des ressources issues, entre autres, de la valorisation de la recherche ou du mécénat.
Plusieurs freins pourraient être levés en permettant aux IHU d'être nommés plus facilement mandataires uniques pour négocier des titres de propriété intellectuelle et d'être désignés promoteurs de recherche. Les fruits de la valorisation doivent être directement réinvestis dans les IHU lorsque ces derniers en sont la source principale.
La crise a révélé les nombreuses carences de l'innovation en santé en France. En 2020, 320 millions d'euros ont été mobilisés pour financer les essais cliniques et le développement des capacités de production de la France, en lien avec la lutte contre la covid-19. En comptant le plan de relance, le montant des aides allouées atteint 433 millions d'euros. Force est de constater que ces investissements n'ont, pour l'heure, pas produit de résultats satisfaisants ou probants. L'IRT Bioaster, spécialisé en microbiologie et en infectiologie, a aussi participé à l'étude immunologique du projet de vaccin de l'Institut Pasteur, qui a finalement été abandonné.
Ce retard pris par la France découle plus généralement de l'insuffisante proximité entre les organismes publics de recherche et les entreprises, défaut que les investissements d'avenir n'ont pas permis de régler. Nous devons développer de véritables passerelles entre nos chercheurs et la recherche appliquée dans les entreprises.
Le PIA 4 constitue une aubaine pour lever ces difficultés. Je formulerai néanmoins plusieurs réserves.
En premier lieu, je déplore la confusion habituelle entre PIA et plan de relance. S'il a été annoncé que 11 milliards d'euros du PIA devaient être intégrés au plan de relance et mobilisés d'ici à la fin de l'année 2022, il convient de souligner que nous parlons seulement de l'engagement de ces crédits. Leur décaissement interviendra bien plus tard ; il serait malhonnête de faire croire le contraire. La logique qui préside au plan de relance – le rebond rapide de l'économie – et celle qui sous-tend le PIA – l'investissement de long terme – sont tout à fait différentes. Je crains que cette confusion favorise une précipitation qui pourrait altérer l'efficacité des investissements. Cette crainte est renforcée par le fait que la construction du PIA 4 est loin d'être achevée. Dans le cadre de son volet structurel, il apparaît que des crédits seront alloués aux structures publiques de recherche en santé, sur appels à projets. L'ensemble des personnes que j'ai auditionnées m'ont néanmoins affirmé qu'elles ne disposaient que de peu de visibilité sur le cahier des charges susceptible d'être retenu, et qu'elles ne savaient donc pas dans quelle mesure elles pourraient être concernées.
Par ailleurs, le volet dirigé du PIA 4 comportera trois stratégies nationales consacrées à la santé : sur les maladies infectieuses émergentes, sur les biothérapies et bioproductions et sur la e-santé. Ce dernier sujet avait déjà été identifié par le rapport « Investir pour l'avenir » d'Alain Juppé et Michel Rocard, mais il n'a jamais été traité par le PIA. J'ai pu consulter le mandat donné aux task forces de ces stratégies, et j'ai été étonnée de ne pas voir apparaître la moindre mention des structures créées depuis le PIA 1, dont les compétences et les moyens pourraient pourtant être utilement mobilisés. Pour mémoire, l'IRT Bioaster est spécialisé en infectiologie. Comment expliquer que sa place dans la stratégie sur les maladies infectieuses n'ait fait l'objet d'aucune réflexion ? Je recommande donc de capitaliser davantage sur les structures qui ont, par le passé, bénéficié des différents PIA, en les intégrant aux stratégies et en leur donnant de la visibilité quant aux investissements qui seront réalisés dans le cadre du PIA 4. De manière générale, je regrette également que les stratégies nationales ne soient aucunement soumises à l'avis du Parlement. Je souhaite que le Gouvernement et les coordinateurs des stratégies viennent les présenter aux commissions compétentes et aux commissions des finances des assemblées.
Enfin, la réussite du PIA 4 est conditionnée à un effort de simplification du paysage administratif et institutionnel de la recherche en santé. Le nombre important, pour ne pas dire excessif, d'opérateurs, d'organismes de recherche, et la multiplicité des sources de financement sont autant d'obstacles sur la route des chercheurs et des entreprises. Dans le cadre des travaux du Conseil stratégique des industries de santé, il est prévu de créer une agence assurant le rôle d'interlocuteur unique pour les entreprises, l'équivalent français de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) américaine. Or la création d'une nouvelle agence sans fusion de structures existantes ne ferait que renforcer la complexité du paysage actuel. Je recommande donc de créer une agence unique, responsable du pilotage de la stratégie de l'innovation en santé, chargée d'allouer les financements à l'ensemble des projets de recherche, de la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Cette agence assurerait enfin le rôle d'interlocuteur unique pour les acteurs publics et privés intervenant dans le champ de la recherche en santé.