En 2020, la mission Justice a bénéficié de moyens en augmentation. Les engagements ont atteint 10 milliards d'euros, soit 10 % de plus qu'en 2019 et 20 % de plus qu'en 2018. Les paiements s'élèvent à 9,2 milliards d'euros. Les emplois du ministère de la justice sont également en progression, avec un plafond d'emploi réalisé à 99 %, soit 86 736 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2020, et un schéma d'emploi de 2 419 équivalents temps plein (ETP), supérieur de 49 emplois à la prévision.
L'augmentation globale des moyens vaut pour chacun des programmes de la mission. Pourtant, les indicateurs laissent entrevoir une dégradation des performances du ministère de la justice. L'exercice 2020 a été marqué par la grève des avocats et par la crise sanitaire, mais les événements exceptionnels n'expliquent pas tout. Année après année, il s'observe un décalage croissant entre le discours de la chancellerie et les résultats obtenus sur le terrain. Le ministère essaie de camoufler certaines mauvaises gestions derrière un manque de moyens budgétaires et humains. Ce n'est pas acceptable.
S'agissant du programme 166 Justice judiciaire, les dépenses de personnel ont été intégralement consommées (2,4 milliards d'euros pour 1 000 créations de postes). En ce qui concerne les dépenses hors titre 2, l'on peut se réjouir de la maîtrise des frais de fonctionnement des juridictions. Néanmoins, le manque de pilotage des frais de justice reste patent : malgré le ralentissement de l'activité judiciaire, ils font l'objet d'une sur-exécution de 11 % sur le budget 2020. La situation a conduit le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) à donner un avis assorti de très fortes réserves quant à la soutenabilité du programme 166. Le ministère a-t-il la volonté de changer quoi que ce soit ?
Les moyens augmentent, mais les délais de jugement explosent. Le délai moyen de traitement des procédures civiles atteint 14 mois dans les tribunaux judiciaires et 17 mois dans les cours d'appel. Le délai de convocation par un officier de police judiciaire devant le tribunal correctionnel dépasse les 10 mois, alors qu'il devrait être inférieur à 6 mois. Ces chiffres sont très préoccupants et ne résultent pas uniquement de la crise sanitaire. L'allongement des délais de jugement est une tendance de long terme, qu'il faut arriver à enrayer. Ce n'est pas avec les moyens temporaires que vous avez annoncés, monsieur le ministre, que le problème sera résolu. Un travail de fond doit être réalisé au sein de la chancellerie.
Un certain nombre d'indicateurs prévus dans le rapport annuel de performance ne sont toujours pas renseignés, ce qui est révélateur d'un manque de pilotage de la chancellerie et d'un manque de considération à l'égard du Parlement. Il est urgent que le ministère renseigne ces indicateurs.
L'augmentation des moyens du programme 107 Administration pénitentiaire est en décalage avec la dégradation des conditions de détention et les retards du plan de construction de 15 000 places de prison d'ici 2027. Le niveau d'engagements est très élevé en raison de nombreux reports d'AE en 2019. Je regrette que cette accélération des investissements soit aussi tardive. Il y a fort à parier que les retards pris en début de mandat ne seront jamais rattrapés. Les paiements atteignent 3,8 milliards d'euros, soit une sous-exécution de 2,5 %. Il est plus que probable que le plan prison connaîtra des retards. Pour les 7 000 premières places annoncées pour 2022, aucune livraison n'est intervenue en 2020 et le lancement des travaux n'est effectif que pour 46 % d'entre elles.
Malgré la baisse de la population carcérale, les conditions de détention continuent de se dégrader. La densité carcérale demeure très préoccupante dans les maisons d'arrêt et le nombre d'actes de violence contre les personnels pénitentiaires augmente.
La crise a joué un rôle de catalyseur dans la transformation numérique du ministère de la justice, en accélérant le déploiement des ordinateurs portables, la mise à niveau du réseau privé virtuel et les outils de visioconférence, mais elle a aussi mis en évidence les retards pris par la chancellerie. Les moyens mis à la disposition du ministère ne sont pourtant pas négligeables (560 millions d'euros et 260 emplois supplémentaires sur cinq ans). Cela révèle un manque de pilotage du plan de transformation numérique ainsi qu'une tendance à la dispersion des moyens. Je fais mienne la recommandation de la Cour des comptes, qui consiste à réorienter la stratégie numérique du ministère. Il convient de redéfinir les priorités pour aller à l'essentiel et accélérer les projets dont la valeur ajoutée est la plus grande.
J'ai choisi de travailler sur les moyens affectés au ministère public. Le manque de moyens n'est pas une question nouvelle. Les travaux que j'ai conduits confirment le décalage entre les moyens alloués au ministère public et les missions qui lui sont confiées. On observe une forte augmentation de la charge de travail des parquets depuis vingt ans, sous l'effet d'une complexification croissante de la procédure pénale. Outre une perte d'attractivité, cette situation entraîne une tendance au délaissement de certaines missions et un travail « constamment en mode dégradé », comme plusieurs procureurs l'ont affirmé en audition.
La loi de programmation et de réforme pour la justice tend à augmenter les moyens des parquets, même s'il n'est pas possible d'isoler au sein de la mission Justice les crédits et emplois affectés aux parquets. Le taux de vacance chez les magistrats du ministère public est en baisse, mais demeure important chez les greffiers, tandis que l'équipe autour du magistrat est toujours moins étoffée au parquet qu'au siège.
Des marges de progrès subsistent quant à la charge de travail des parquets, la bonne allocation des moyens budgétaires et humains entre juridictions ainsi que le développement des outils numériques. Je ne saurais que vous encourager, monsieur le ministre, à accélérer les efforts engagés et à tirer profit des moyens importants que le Parlement vous a confiés.