Intervention de Florence Lustman

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 10h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Florence Lustman, présidente de la fédération française de l'assurance :

Merci de me donner l'occasion de m'exprimer ce matin devant vous sur un sujet fondamental pour les assureurs, mais aussi pour l'économie de notre pays et l'économie européenne.

Ce qui est en jeu au travers de la directive Solvabilité II, sujet éminemment technique, c'est la capacité des assureurs à continuer d'exercer leur triple mission : protéger, investir et employer, à la fois en France et en Europe. Aujourd'hui, nous sommes parvenus à un stade crucial. Les techniciens, à commencer par l' European insurance and occupational pensions authority (EIOPA), se sont exprimés sur le sujet. Désormais, les orientations politiques doivent véritablement guider cette révision du régime Solvabilité II.

En préambule, je rappelle que les assureurs exercent des métiers fondés sur la confiance. Aujourd'hui, nous sommes malheureusement confrontés à une crise de confiance, dont témoignent par exemple les comportements des clients en matière d'épargne. Dans ce contexte, il est très important de préserver la confiance accordée aux assureurs et plus généralement aux professions hautement régulées.

Évidemment, je ne demanderai pas aujourd'hui devant vous la suppression de la directive Solvabilité II. Nous avons besoin d'un cadre prudentiel, qui participe de la confiance que le public nous accorde. Cependant, si ce cadre est assurément nécessaire, il doit être adapté aux enjeux économiques français et européens du moment.

Ces enjeux sont au nombre de trois. Le premier concerne la relance économique, après une chute de 6 % du PIB européen en 2020. Le deuxième se rapporte au défi du changement climatique, défini comme une priorité européenne. À cet égard, nous avons certes besoin de relancer l'économie européenne, mais aussi de promouvoir une économie et une industrie européennes durables. Le troisième enjeu est de nature démographique. Les plus de 65 ans représenteront 25 % de la population française en 2040, contre 20 % aujourd'hui. Ce vieillissement de la population accroît la pression sur les systèmes de retraite, sur les soins de santé et sur les risques longs, tels que la dépendance.

Sur ces trois grands enjeux, à la fois français et européens, les assureurs font partie de la solution. Dans le cadre de la relance, les mesures ciblées mises en œuvre depuis un an montrent notre engagement très fort sur le plan des investissements. Sur le climat, nous couvrons les événements climatiques, nous nous positionnons sur la prévention et nous réalisons des investissements « verts ». Enfin, concernant le vieillissement, nous sommes aussi une partie de la solution, au travers de nos contrats et de nos garanties, de nos contrats d'assurance vie, qu'ils soient d'épargne ou de retraite, ainsi que par nos propositions en matière d'assurance santé – je pense plus particulièrement à la belle proposition que nous formulons conjointement avec la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) sur l'assurance dépendance, qui aurait l'immense avantage de ne pas mobiliser d'argent public.

Face à ces trois défis, la révision de la directive Solvabilité II doit viser selon nous deux objectifs : d'une part, consolider le rôle économique et sociétal de l'assurance, afin de soutenir la croissance des investissements de long terme ; d'autre part, contribuer à la transition vers une économie plus durable.

Les assureurs sont des acteurs absolument majeurs du financement de l'économie, avec 10 000 milliards d'euros d'actifs investis sur le plan européen, dont 2 700 milliards d'euros pour les seuls assureurs français. Sur ces 2 700 milliards d'euros, 60 % sont investis directement dans les entreprises, soit deux fois plus que dans les dettes souveraines.

Les caractéristiques de notre marché de l'assurance vie nous permettent en particulier d'effectuer ces placements longs dans les entreprises. Ce marché connaît depuis plusieurs années une transformation, notamment sous l'impulsion dynamique de nos réseaux commerciaux, qui examinent les besoins des clients et leur expliquent que, dans des environnements de taux négatifs ou quasi nuls, ils ont tout intérêt à rééquilibrer leurs placements en faveur des unités de compte.

Je reviens brièvement sur l'année 2020, très éclairante de ce point de vue. L'année s'est révélée particulièrement anxiogène sur le plan sanitaire, mais aussi sur le plan financier. Au début du premier confinement, nous avons été confrontés à une crise financière inédite, qui s'est traduite par une chute conjointe des marchés et des taux.

Au cours de l'année 2020, malgré une forme d'incertitude, les Français ont continué à réorienter progressivement leur épargne vers les unités de compte. Ce produit de confiance qu'est l'assurance vie leur permet ainsi de prendre un peu plus de risques, en espérant évidemment, en retour, un rendement plus favorable.

Ainsi, en 2020, 34 % des cotisations d'assurance vie se sont portées sur les unités de compte. Ce taux s'élève même à 37 % depuis le début de l'année 2021, ce qui est énorme. À ce jour, 25 % de l'encours global d'assurance vie est désormais placé en unités de compte.

Si nous avons toujours été de grands financeurs de l'économie, nous avons eu une démarche tout à fait particulière dans le cadre de la relance. Selon le diagnostic que nous avions établi ensemble il y a un an, nous étions certes convenus que nous étions au plus profond de la crise sanitaire, mais nous savions aussi qu'il fallait dès alors se préoccuper des investissements nécessaires pour soutenir notre économie au sortir de la crise.

Nous avons lancé en juin dernier notre initiative Relance durable France, qui a représenté 2,3 milliards d'euros pour soutenir les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME), essentiellement dans les domaines de la santé (800 millions d'euros) et du tourisme (200 millions d'euros), et plus généralement nos entreprises de croissance française. Je pourrais citer des exemples de soutien d'entreprises familiales, notamment franciliennes, dans ces différents secteurs.

Les assureurs se sont également mobilisés sur le financement de la tech française et tout particulièrement des biotechs, dans le cadre de l'initiative Tibi, pour laquelle ils ont déjà engagé plus de 3 milliards d'euros. L'initiative vise notamment à faire émerger, au-delà de nos start-ups déjà très dynamiques, un nombre plus important de « licornes ».

Nous avons également apporté un large soutien au label Relance, avec 4,7 milliards d'euros investis par les assurés, par l'intermédiaire des assureurs.

Enfin, nous avons contribué à l'ample projet sur les prêts participatifs, qui s'est clôturé par un engagement des assureurs à hauteur de 11 milliards d'euros.

Au total, la contribution des assureurs à l'effort de relance économique de notre pays, au travers de mesures ciblées, s'élève à plus de 21 milliards d'euros, qui s'ajoutent aux placements habituels dans les entreprises.

Aujourd'hui, un autre sujet – sur lequel j'ai pris connaissance des propositions de certains parlementaires, et je me réjouis qu'ils se préoccupent comme nous de cette problématique – est celui de l'épargne dormante de nos concitoyens. Celle-ci augmente mois après mois sur les comptes courants ou les livrets réglementés. Cette situation est problématique, dans la mesure où cette épargne ne soutient ni la croissance d'aujourd'hui, puisqu'elle ne bénéficie pas à la consommation, ni la croissance de demain, étant donné qu'elle n'est pas investie. Enfin, elle ne favorise pas non plus le pouvoir d'achat des Français, puisqu'elle ne génère pas de rémunération lorsqu'elle est accumulée sur les comptes courants.

Cette situation témoigne d'une profonde crise de confiance parmi nos concitoyens. Pour restaurer la confiance, nous devons nous appuyer sur nos atouts en matière d'épargne, à commencer par l'assurance vie, un des placements préférés des Français. Son succès ne s'est pas démenti en 2020 et se confirme depuis le début de l'année 2021.

Je ne peux donc que me réjouir de l'appel lancé à utiliser un produit d'assurance vie comme le plan d'épargne retraite (PER), qui représente aujourd'hui 19 milliards d'euros d'en-cours, investis à 50 % en unités de compte. Au global, sur les PER, 70 % de ces 19 milliards d'euros sont ainsi investis directement dans notre économie. Nous pensons qu'une mesure ciblée permettrait de drainer environ 10 milliards d'euros supplémentaires sur ce produit, qui permettrait d'injecter 7 milliards d'euros supplémentaires directement dans notre économie productive.

Dans le cadre de la révision de la directive Solvabilité II, notre deuxième objectif consiste à préserver la compétitivité des assureurs européens. L'assurance est une activité phare pour l'Europe et pour la France en particulier. Dans l'Union européenne, 17 groupes d'assurance sont actifs à l'international, dont 8 sont français. Selon nous, la révision de la directive Solvabilité II doit ainsi être l'occasion de soutenir l'activité à l'international des assureurs, ainsi que leur compétitivité.

La révision envisagée de la directive Solvabilité II comporte des règles excessivement conservatrices et des dispositions complexes, qui porteront préjudice à la compétitivité de notre secteur en Europe, notamment vis-à-vis de nos concurrents de l'autre côté de la Manche, qui ne seront pas soumis à cette révision.

L'EIOPA a émis une multitude de propositions. En définitive, cependant, l'ensemble des mesures préconisées conduit à dégrader très significativement le ratio de solvabilité des assureurs français, de plus de 40 points. La proposition de l'EIOPA la plus préjudiciable, en termes de solvabilité, est celle qui concerne le module de risque de taux d'intérêt.

Cette dernière proposition nous pénalise, car nous avons des contrats longs. Ce module de risque de taux s'applique aux actifs. Tous les placements longs sont par conséquent touchés par ce genre de proposition. Mais, si nous avons des placements longs, c'est parce que nous avons des contrats et des engagements longs. Ce point représente un atout pour notre pays : c'est parce que l'assurance vie a une duration de plus de 12 ans qu'on peut investir à long terme et en particulier dans les entreprises. Si nous avons des contrats longs, c'est parce que nous couvrons les engagements de retraite et la dépendance. Du fait de notre activité, bénéfique pour l'économie française et européenne, nous sommes ainsi particulièrement touchés par ce module de risque de taux.

Dans le contexte de la révision de Solvabilité II, nous formulons quatre propositions concrètes, pour maintenir notre capacité à agir comme de véritables acteurs du développement économique en Europe et en France : lever les freins excessifs aux investissements de long terme ; atténuer la volatilité globale de l'instrument Solvabilité II, telle qu'elle s'est par exemple manifestée au début du premier confinement, lorsque les marchés obligataires ont chuté et que le marché a perdu plus de 30 points de solvabilité en trois jours ; simplifier Solvabilité II, système extrêmement complexe et dont la gestion est coûteuse, à l'heure où les propositions de l'EIOPA vont au contraire dans le sens d'une complexification inutile ; examiner à nouveau les dispositions encadrant les activités dispensées en libre prestation de services.

Sur ce dernier point, nous avions eu à subir, il y a plus de dix ans, la concurrence déloyale d'un acteur européen qui agissait sur le risque de responsabilité civile médicale. La défaillance de l'assureur d'un médecin ou d'un chirurgien, en cas d'erreur médicale éventuelle, représente un drame absolu pour le patient victime de cette situation. Plus récemment, nous avons été confrontés, sur notre marché, à une concurrence déloyale dans le secteur de la construction ou sur le risque automobile.

Le principe de la libre prestation de services n'est évidemment pas à remettre en cause. Lorsqu'on est un assureur agréé, responsable, opérant dans un certain nombre de branches dans un pays donné de l'Union européenne, il paraît assez naturel de pouvoir exercer dans ces mêmes branches d'activités au sein d'autres pays de l'Union européenne. En revanche, cette possibilité ne doit pas être détournée : certains acteurs recherchent des agréments de complaisance dans d'autres pays de l'Union européenne dans lesquels ils n'exercent pas, qu'ils utilisent ensuite dans des pays tels que le nôtre. Il faut donc revenir sur les dispositions qui encadrent la libre prestation de services.

En somme, la révision de la directive Solvabilité II constitue une priorité politique pour notre pays et pour l'Europe tout entière. À cet égard, nous nous réjouissions du soutien appuyé de notre ministre de l'économie et des finances, qui a porté une première fois ce sujet devant l'Ecofin, afin d'illustrer les impacts économiques, pour l'Europe, d'une telle norme. Bien évidemment, nous travaillons très étroitement avec toutes les parties prenantes françaises, à commencer par le ministère de l'économie et des finances et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), afin que la France parle d'une voix unie.

Enfin, dans le cadre de nos relations internationales et notamment par le biais de notre fédération européenne, Insurance Europe, qui regroupe les associations nationales d'assurance, nous dialoguons avec nos homologues allemands, italiens ou néerlandais, dans le but de construire des alliances et de faire aboutir nos propositions, ce qui sera difficile si nous sommes isolés.

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