Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • EIOPA
  • assureur
  • ratio
  • solvabilité
  • volatilité
  • épargne

La réunion

Source

La commission auditionne Mme Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance, et M. Franck Le Vallois, directeur général, sur la révision de la directive Solvabilité II.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous accueillons avec plaisir et intérêt madame Florence Lustman, présidente de la fédération française de l'assurance, accompagnée de monsieur Franck Le Vallois, directeur général. Je vous cède la parole.

Permalien
Florence Lustman, présidente de la fédération française de l'assurance

Merci de me donner l'occasion de m'exprimer ce matin devant vous sur un sujet fondamental pour les assureurs, mais aussi pour l'économie de notre pays et l'économie européenne.

Ce qui est en jeu au travers de la directive Solvabilité II, sujet éminemment technique, c'est la capacité des assureurs à continuer d'exercer leur triple mission : protéger, investir et employer, à la fois en France et en Europe. Aujourd'hui, nous sommes parvenus à un stade crucial. Les techniciens, à commencer par l' European insurance and occupational pensions authority (EIOPA), se sont exprimés sur le sujet. Désormais, les orientations politiques doivent véritablement guider cette révision du régime Solvabilité II.

En préambule, je rappelle que les assureurs exercent des métiers fondés sur la confiance. Aujourd'hui, nous sommes malheureusement confrontés à une crise de confiance, dont témoignent par exemple les comportements des clients en matière d'épargne. Dans ce contexte, il est très important de préserver la confiance accordée aux assureurs et plus généralement aux professions hautement régulées.

Évidemment, je ne demanderai pas aujourd'hui devant vous la suppression de la directive Solvabilité II. Nous avons besoin d'un cadre prudentiel, qui participe de la confiance que le public nous accorde. Cependant, si ce cadre est assurément nécessaire, il doit être adapté aux enjeux économiques français et européens du moment.

Ces enjeux sont au nombre de trois. Le premier concerne la relance économique, après une chute de 6 % du PIB européen en 2020. Le deuxième se rapporte au défi du changement climatique, défini comme une priorité européenne. À cet égard, nous avons certes besoin de relancer l'économie européenne, mais aussi de promouvoir une économie et une industrie européennes durables. Le troisième enjeu est de nature démographique. Les plus de 65 ans représenteront 25 % de la population française en 2040, contre 20 % aujourd'hui. Ce vieillissement de la population accroît la pression sur les systèmes de retraite, sur les soins de santé et sur les risques longs, tels que la dépendance.

Sur ces trois grands enjeux, à la fois français et européens, les assureurs font partie de la solution. Dans le cadre de la relance, les mesures ciblées mises en œuvre depuis un an montrent notre engagement très fort sur le plan des investissements. Sur le climat, nous couvrons les événements climatiques, nous nous positionnons sur la prévention et nous réalisons des investissements « verts ». Enfin, concernant le vieillissement, nous sommes aussi une partie de la solution, au travers de nos contrats et de nos garanties, de nos contrats d'assurance vie, qu'ils soient d'épargne ou de retraite, ainsi que par nos propositions en matière d'assurance santé – je pense plus particulièrement à la belle proposition que nous formulons conjointement avec la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) sur l'assurance dépendance, qui aurait l'immense avantage de ne pas mobiliser d'argent public.

Face à ces trois défis, la révision de la directive Solvabilité II doit viser selon nous deux objectifs : d'une part, consolider le rôle économique et sociétal de l'assurance, afin de soutenir la croissance des investissements de long terme ; d'autre part, contribuer à la transition vers une économie plus durable.

Les assureurs sont des acteurs absolument majeurs du financement de l'économie, avec 10 000 milliards d'euros d'actifs investis sur le plan européen, dont 2 700 milliards d'euros pour les seuls assureurs français. Sur ces 2 700 milliards d'euros, 60 % sont investis directement dans les entreprises, soit deux fois plus que dans les dettes souveraines.

Les caractéristiques de notre marché de l'assurance vie nous permettent en particulier d'effectuer ces placements longs dans les entreprises. Ce marché connaît depuis plusieurs années une transformation, notamment sous l'impulsion dynamique de nos réseaux commerciaux, qui examinent les besoins des clients et leur expliquent que, dans des environnements de taux négatifs ou quasi nuls, ils ont tout intérêt à rééquilibrer leurs placements en faveur des unités de compte.

Je reviens brièvement sur l'année 2020, très éclairante de ce point de vue. L'année s'est révélée particulièrement anxiogène sur le plan sanitaire, mais aussi sur le plan financier. Au début du premier confinement, nous avons été confrontés à une crise financière inédite, qui s'est traduite par une chute conjointe des marchés et des taux.

Au cours de l'année 2020, malgré une forme d'incertitude, les Français ont continué à réorienter progressivement leur épargne vers les unités de compte. Ce produit de confiance qu'est l'assurance vie leur permet ainsi de prendre un peu plus de risques, en espérant évidemment, en retour, un rendement plus favorable.

Ainsi, en 2020, 34 % des cotisations d'assurance vie se sont portées sur les unités de compte. Ce taux s'élève même à 37 % depuis le début de l'année 2021, ce qui est énorme. À ce jour, 25 % de l'encours global d'assurance vie est désormais placé en unités de compte.

Si nous avons toujours été de grands financeurs de l'économie, nous avons eu une démarche tout à fait particulière dans le cadre de la relance. Selon le diagnostic que nous avions établi ensemble il y a un an, nous étions certes convenus que nous étions au plus profond de la crise sanitaire, mais nous savions aussi qu'il fallait dès alors se préoccuper des investissements nécessaires pour soutenir notre économie au sortir de la crise.

Nous avons lancé en juin dernier notre initiative Relance durable France, qui a représenté 2,3 milliards d'euros pour soutenir les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME), essentiellement dans les domaines de la santé (800 millions d'euros) et du tourisme (200 millions d'euros), et plus généralement nos entreprises de croissance française. Je pourrais citer des exemples de soutien d'entreprises familiales, notamment franciliennes, dans ces différents secteurs.

Les assureurs se sont également mobilisés sur le financement de la tech française et tout particulièrement des biotechs, dans le cadre de l'initiative Tibi, pour laquelle ils ont déjà engagé plus de 3 milliards d'euros. L'initiative vise notamment à faire émerger, au-delà de nos start-ups déjà très dynamiques, un nombre plus important de « licornes ».

Nous avons également apporté un large soutien au label Relance, avec 4,7 milliards d'euros investis par les assurés, par l'intermédiaire des assureurs.

Enfin, nous avons contribué à l'ample projet sur les prêts participatifs, qui s'est clôturé par un engagement des assureurs à hauteur de 11 milliards d'euros.

Au total, la contribution des assureurs à l'effort de relance économique de notre pays, au travers de mesures ciblées, s'élève à plus de 21 milliards d'euros, qui s'ajoutent aux placements habituels dans les entreprises.

Aujourd'hui, un autre sujet – sur lequel j'ai pris connaissance des propositions de certains parlementaires, et je me réjouis qu'ils se préoccupent comme nous de cette problématique – est celui de l'épargne dormante de nos concitoyens. Celle-ci augmente mois après mois sur les comptes courants ou les livrets réglementés. Cette situation est problématique, dans la mesure où cette épargne ne soutient ni la croissance d'aujourd'hui, puisqu'elle ne bénéficie pas à la consommation, ni la croissance de demain, étant donné qu'elle n'est pas investie. Enfin, elle ne favorise pas non plus le pouvoir d'achat des Français, puisqu'elle ne génère pas de rémunération lorsqu'elle est accumulée sur les comptes courants.

Cette situation témoigne d'une profonde crise de confiance parmi nos concitoyens. Pour restaurer la confiance, nous devons nous appuyer sur nos atouts en matière d'épargne, à commencer par l'assurance vie, un des placements préférés des Français. Son succès ne s'est pas démenti en 2020 et se confirme depuis le début de l'année 2021.

Je ne peux donc que me réjouir de l'appel lancé à utiliser un produit d'assurance vie comme le plan d'épargne retraite (PER), qui représente aujourd'hui 19 milliards d'euros d'en-cours, investis à 50 % en unités de compte. Au global, sur les PER, 70 % de ces 19 milliards d'euros sont ainsi investis directement dans notre économie. Nous pensons qu'une mesure ciblée permettrait de drainer environ 10 milliards d'euros supplémentaires sur ce produit, qui permettrait d'injecter 7 milliards d'euros supplémentaires directement dans notre économie productive.

Dans le cadre de la révision de la directive Solvabilité II, notre deuxième objectif consiste à préserver la compétitivité des assureurs européens. L'assurance est une activité phare pour l'Europe et pour la France en particulier. Dans l'Union européenne, 17 groupes d'assurance sont actifs à l'international, dont 8 sont français. Selon nous, la révision de la directive Solvabilité II doit ainsi être l'occasion de soutenir l'activité à l'international des assureurs, ainsi que leur compétitivité.

La révision envisagée de la directive Solvabilité II comporte des règles excessivement conservatrices et des dispositions complexes, qui porteront préjudice à la compétitivité de notre secteur en Europe, notamment vis-à-vis de nos concurrents de l'autre côté de la Manche, qui ne seront pas soumis à cette révision.

L'EIOPA a émis une multitude de propositions. En définitive, cependant, l'ensemble des mesures préconisées conduit à dégrader très significativement le ratio de solvabilité des assureurs français, de plus de 40 points. La proposition de l'EIOPA la plus préjudiciable, en termes de solvabilité, est celle qui concerne le module de risque de taux d'intérêt.

Cette dernière proposition nous pénalise, car nous avons des contrats longs. Ce module de risque de taux s'applique aux actifs. Tous les placements longs sont par conséquent touchés par ce genre de proposition. Mais, si nous avons des placements longs, c'est parce que nous avons des contrats et des engagements longs. Ce point représente un atout pour notre pays : c'est parce que l'assurance vie a une duration de plus de 12 ans qu'on peut investir à long terme et en particulier dans les entreprises. Si nous avons des contrats longs, c'est parce que nous couvrons les engagements de retraite et la dépendance. Du fait de notre activité, bénéfique pour l'économie française et européenne, nous sommes ainsi particulièrement touchés par ce module de risque de taux.

Dans le contexte de la révision de Solvabilité II, nous formulons quatre propositions concrètes, pour maintenir notre capacité à agir comme de véritables acteurs du développement économique en Europe et en France : lever les freins excessifs aux investissements de long terme ; atténuer la volatilité globale de l'instrument Solvabilité II, telle qu'elle s'est par exemple manifestée au début du premier confinement, lorsque les marchés obligataires ont chuté et que le marché a perdu plus de 30 points de solvabilité en trois jours ; simplifier Solvabilité II, système extrêmement complexe et dont la gestion est coûteuse, à l'heure où les propositions de l'EIOPA vont au contraire dans le sens d'une complexification inutile ; examiner à nouveau les dispositions encadrant les activités dispensées en libre prestation de services.

Sur ce dernier point, nous avions eu à subir, il y a plus de dix ans, la concurrence déloyale d'un acteur européen qui agissait sur le risque de responsabilité civile médicale. La défaillance de l'assureur d'un médecin ou d'un chirurgien, en cas d'erreur médicale éventuelle, représente un drame absolu pour le patient victime de cette situation. Plus récemment, nous avons été confrontés, sur notre marché, à une concurrence déloyale dans le secteur de la construction ou sur le risque automobile.

Le principe de la libre prestation de services n'est évidemment pas à remettre en cause. Lorsqu'on est un assureur agréé, responsable, opérant dans un certain nombre de branches dans un pays donné de l'Union européenne, il paraît assez naturel de pouvoir exercer dans ces mêmes branches d'activités au sein d'autres pays de l'Union européenne. En revanche, cette possibilité ne doit pas être détournée : certains acteurs recherchent des agréments de complaisance dans d'autres pays de l'Union européenne dans lesquels ils n'exercent pas, qu'ils utilisent ensuite dans des pays tels que le nôtre. Il faut donc revenir sur les dispositions qui encadrent la libre prestation de services.

En somme, la révision de la directive Solvabilité II constitue une priorité politique pour notre pays et pour l'Europe tout entière. À cet égard, nous nous réjouissions du soutien appuyé de notre ministre de l'économie et des finances, qui a porté une première fois ce sujet devant l'Ecofin, afin d'illustrer les impacts économiques, pour l'Europe, d'une telle norme. Bien évidemment, nous travaillons très étroitement avec toutes les parties prenantes françaises, à commencer par le ministère de l'économie et des finances et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), afin que la France parle d'une voix unie.

Enfin, dans le cadre de nos relations internationales et notamment par le biais de notre fédération européenne, Insurance Europe, qui regroupe les associations nationales d'assurance, nous dialoguons avec nos homologues allemands, italiens ou néerlandais, dans le but de construire des alliances et de faire aboutir nos propositions, ce qui sera difficile si nous sommes isolés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie Daniel Labaronne d'avoir assuré la présidence du début de cette réunion.

Je souhaite revenir sur quelques points de votre exposé, avant de céder la parole à mes collègues.

Certains considèrent que le cadre de la directive empêche les assureurs d'investir dans l'économie réelle, en particulier dans le long terme et sur les infrastructures. Toutefois, le bilan de la Fédération française de l'assurance montre au contraire que le volume d'investissements dans les infrastructures a été multiplié par quatre depuis 2015. À votre avis, de nouvelles règles pourraient-elles contrarier cette tendance ?

Par ailleurs, la collecte en unités de compte a été relativement bonne en avril, avec près de 3 milliards d'euros. Est-ce de bon augure pour l'investissement dans l'économie réelle ?

En outre, avez-vous réalisé une estimation du coût total de la réforme envisagée de la directive Solvabilité II, en termes de fonds propres supplémentaires, selon les différentes options ?

Enfin, nous avons entendu en mai monsieur Jean-Paul Faugère, vice-président de l'ACPR. Il considère que l'ajustement pour volatilité prévu par la directive aurait permis de limiter les mouvements sur les marchés financiers lors de la crise. Quelle est la position de votre fédération sur le sujet ? Considérez-vous que nous devons aller plus loin dans l'ajustement pour volatilité, jusqu'à neutraliser l'effet des taux négatifs ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La directive Solvabilité II a été conçue pour faire face au risque d'insolvabilité des assureurs. Nous avons connu une crise majeure, dont nous ne sommes pas encore sortis. Le risque d'insolvabilité a été réel, puisque cette crise n'était pas prévisible. Pour autant, lorsque nous vous avions auditionnée au début de la crise sanitaire, vous aviez indiqué que les ratios de solvabilité des assureurs français étaient supérieurs à ceux qu'exige la directive.

Je sollicite donc votre retour sur la crise que nous avons vécue, s'agissant de ces ratios, de leur volatilité et de leur efficacité, et sur la manière dont les assureurs ont fait face à cette épreuve. En outre, si nous devions envisager des mécanismes techniques autres dans le but d'éviter cette volatilité, lesquels proposeriez-vous ?

Selon vous, la directive Solvabilité II vous empêche de renforcer votre rôle d'investisseur institutionnel. L'EIOPA n'est pas en accord avec vous sur ce point, malgré le soutien de notre ministre de l'économie et des finances. Quels sont les mécanismes que vous souhaitez mettre en place ? Certaines propositions de l'EIOPA ont-elles pu faire émerger un consensus au niveau européen ? Sur quels soutiens pouvez-vous compter, autre que celui de la France, dans le cadre de la négociation avec l'EIOPA ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez évoqué la hausse de l'épargne des Français, qui devrait atteindre 200 milliards d'euros à la fin de l'année 2021. Cependant, les Français semblent moins tentés par des supports moins liquides.

En parallèle, nous avons facilité, par voie législative, la liquidation de l'épargne, y compris fléchée par les PER unifiés par la loi PACTE, pour les entrepreneurs affectés par la crise, lesquels pourront ainsi libérer sans frais cette épargne. Combien d'entrepreneurs ont recouru à cette facilité de récupération de leur épargne-retraite ? Quels sont les secteurs d'activité les plus représentés parmi les épargnants, ainsi que leur structure démographique ? Au regard des sommes débloquées individuellement, quels sont les risques pesant actuellement sur le système d'assurance ?

Ensuite, quel regard la Fédération française de l'assurance porte-t-elle sur la réforme des accords dits de Bâle III, notamment au regard de la détermination des critères d'évaluation de l'exposition au risque après un événement aussi inattendu que la crise sanitaire et économique ?

Enfin, pourriez-vous être plus précise sur les actions à mener, aussi bien sur le plan européen que pour nous, législateurs, dans le cadre de l'évolution de la transposition de la directive Solvabilité II ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je reviens sur ce que vous avez appelé l'épargne « dormante », pour laquelle vous avez mentionné la solution des PER et de mesures ciblées, susceptibles de faire croître ces placements à hauteur de 10 milliards d'euros supplémentaires. Pourriez-vous apporter de plus amples précisions sur les mesures en question et sur les risques pour l'assurance si ces investissements se dirigeaient vers l'appareil productif ?

Vous avez également évoqué les enjeux de la concurrence et de la compétitivité en Europe. Pouvez-vous préciser vos propositions concernant le module de risque de taux ?

Enfin, quel est le profil des entreprises qui sollicitent les prêts participatifs ?

Permalien
Florence Lustman, présidente de la fédération française de l'assurance

Merci pour toutes ces questions, auxquelles je tâcherai de répondre dans l'ordre.

Tout d'abord, je rappellerai que les propositions de l'EIOPA s'orientent vers davantage de complexité. Elles accentuent le comportement pro-cyclique de la norme et sa volatilité. Par conséquent, elles constituent un frein très net dans les décisions d'investissement des assureurs, notamment pour les investissements générant un besoin de solvabilité important.

Cette logique est particulièrement dommageable dans un environnement de taux négatifs ou quasi nuls. Évidemment, les assureurs sont à la recherche de rendement. Ils ont de l'appétit, par exemple, pour financer des infrastructures de verdissement de l'économie ou encore l'industrie européenne. Nous devons donc conserver à l'esprit les contraintes des assureurs, non seulement liées à Solvabilité II, mais surtout en termes de rendements de leurs actifs, rendements qui serviront en particulier à financer les intérêts versés sur les contrats d'assurance vie. Ces nouvelles propositions de l'EIOPA conduiraient ainsi à réduire la capacité à piloter ces évolutions très importantes du ratio de solvabilité.

Du fait de cette volatilité, l'exigence liée à la directive Solvabilité II s'établit en pratique très au-delà des dispositions envisagées au départ. Lors du passage au régime Solvabilité II, plus exigeant en fonds propres que le dispositif précédent, la cible était d'obtenir un ratio de 100 %. Aujourd'hui, les assureurs affichent un ratio de 200 %, voire un ratio plus élevé, cela dépend des marchés. Pour quelles raisons ? Tout d'abord, compte tenu de cette volatilité, l'ACPR demande un ratio de 130 %, car l'évolution des marchés peut faire perdre 30 points de solvabilité du jour au lendemain. Ensuite, selon un raisonnement similaire, les politiques internes en matière de risques, fixées par les conseils d'administration, s'orientent, par prudence, vers un ratio de 160 %. La prise en compte du ratio de solvabilité pèse ainsi très fortement sur les investissements en infrastructures ou en actions envisagés par les entreprises.

Concernant l'investissement dans l'économie réelle, l'assurance vie dans sa globalité représentait, à fin avril 2021, un encours de 1 818 milliards d'euros, investis à 60 % dans les entreprises. 25 % de cet encours sont placés en unités de compte. Sur le PER, une fraction de l'assurance-vie, à la même date, l'encours s'élevait à 19 milliards d'euros, les cotisations se portant à 50 % sur les unités de compte. Par conséquent, du fait de cette part plus importante des unités de compte dans les PER, 70 % de cet encours de 19 milliards d'euros sont investis dans les entreprises. Ces données montrent qu'une transformation du modèle de l'assurance vie à la française est bien à l'œuvre et ne s'est absolument pas démentie en 2020 et durant les premiers mois de l'année 2021, malgré l'incertitude liée à la crise.

Par ailleurs, nous avons chiffré le coût total de la réforme de la directive Solvabilité II, dans le cadre du modèle que nous appelons « France vie », lequel agrège les données de toutes les sociétés d'assurance vie du marché et permet de tester différentes hypothèses. Dans cette perspective, avec l'ensemble des propositions de l'EIOPA, les assureurs perdraient 41 points de solvabilité. J'ai également cité le risque de taux d'intérêt, dont l'impact est le plus important et représente à lui seul une perte de 37 points de solvabilité.

Nos propositions visent à diminuer l'impact de cette mesure sur le risque de taux d'intérêt et à identifier des compensations. Vous avez mentionné l'ajustement pour volatilité. Le montant de la correction pour volatilité est calculé aujourd'hui sur la base d'un portefeuille de référence, avec un ratio général de 65 %. Nous proposons de porter ce ratio à 100 %. Nous avons transmis nos propositions et nos simulations au ministère de l'économie et des finances et à l'ACPR, et nous les partageons évidemment avec nos homologues européens. En jouant sur certains paramètres, sur lesquels nous formulons des propositions très concrètes, il est possible de diminuer la volatilité de la norme. C'est sur ces paramètres que nous faisons des propositions très concrètes.

C'est la raison pour laquelle nous parlons d'une révision « chirurgicale » de la directive Solvabilité II. L'objectif est d'identifier les points qui occasionnent le plus de dommages pour les assureurs français et de proposer un ajustement le plus simple possible, dans les modules de calcul de la directive Solvabilité II.

En écho à l'une de vos questions, je rappellerai qu'au 31 mars 2021, le taux de couverture s'établissait à 240 % pour les assureurs vie et à plus de 260 % pour les assureurs non-vie. Malgré les 5 milliards d'euros que leur a coûtés la crise en 2020, les assureurs sont restés très solvables. Avons-nous besoin de taux de solvabilité plus élevés, à l'heure où l'EIOPA voudrait alourdir encore la charge liée à la directive Solvabilité II ? Selon nous, cette proposition n'a aucun sens. Nous sommes déjà très voire trop capitalisés. L'enjeu consiste ainsi à libérer des capacités d'investissement dans l'économie productive en diminuant les ratios, même si ces capacités sont déjà importantes.

Sur le sujet de nos soutiens européens, nous sommes notamment proches de nos homologues italiens ou néerlandais. Nous menons également un dialogue constructif avec nos homologues allemands.

Les Allemands appliquent une disposition spécifique de la directive Solvabilité II, qui leur permet d'étaler les impacts jusqu'en 2032. Du fait que les assureurs allemands font grand usage de cette possibilité, ouverte à tous les assureurs européens, ils sont moins touchés que nous sur certains dispositifs, car ils étalent l'impact sur une durée plus longue. Cependant, nous sommes en accord avec eux sur un certain nombre de points.

Enfin, les grands groupes d'assurance européens, comme AXA, Allianz ou Generali, ont construit des visions partagées quant à l'impact des propositions de l'EIOPA sur la révision de la directive Solvabilité II.

L'une des questions portait sur la manière dont les entreprises se sont emparées des facilités en matière de déblocage des contrats d'épargne-retraite. Je ne dispose pas de cette information, étant donné que les éléments qui nous sont remontés correspondent aux données agrégées par catégories dites ministérielles, et non par types de contrats.

Je rappelle aussi que les accords de Bâle III concernent les banques. Je n'ai donc pas d'avis particulier à formuler sur ce point, en tant que présidente de la Fédération française de l'assurance.

Sur le sujet du PER, nous avons pris connaissance des propositions émises par certains parlementaires, dont nous nous réjouissons évidemment. Le PER constitue un produit de confiance et rencontre un grand succès. Selon notre analyse, la crise que nous traversons est aussi une crise de confiance parmi nos concitoyens, dont témoigne le niveau d'épargne actuel sur les comptes courants. Il serait ainsi opportun et possible, d'après nos simulations, d'orienter une partie de cette épargne dormante vers de l'épargne productive, en dégageant, au travers d'une mesure ciblée, 7 milliards d'euros supplémentaires à investir dans les entreprises.

Les réseaux commerciaux, comme les clients, sont très friands de telles mesures. La mise en place d'une mesure spécifique, limitée dans le temps, stimule en effet le discours commercial et la réaction des clients, renforçant l'intérêt de part et d'autre. À cet égard, un dispositif très temporaire permettrait de répondre au sujet de l'épargne improductive. Étant donné que cette épargne, comme le montrent désormais de longs mois d'observation, ne se transforme pas en consommation, autant qu'elle soit productive et orientée vers un placement de confiance, comme l'assurance vie et le PER en particulier.

L'année 2020 a révélé, en négatif, l'importance du travail des réseaux commerciaux. L'assurance vie a subi une décollecte nette d'un niveau historique, du fait de l'arrêt de l'activité des réseaux commerciaux pendant trois mois, lors du premier confinement. Durant cette période, les produits d'assurance vie, dont le PER, vendus dans le cadre du devoir de conseil, n'étaient plus sur étagère. Dans cette perspective, tout ce qui va dans le sens de la mobilisation des réseaux commerciaux, que ce soit dans le secteur de la banque ou celui de l'assurance, peut être bénéfique. Nous avons tout à gagner d'une telle mesure, à l'heure où nous avons besoin de toute l'épargne disponible pour investir dans les entreprises, en mobilisant des contrats qui constituent des véhicules privilégiés pour investir sur le temps long.

S'agissant de la concurrence en Europe, celle-ci est vive, en effet. J'ai cité des exemples de concurrence déloyale par le biais de la libre prestation de services. Au-delà de ces aspects, le marché de l'assurance est extrêmement concurrentiel en France. Cette réalité constitue un élément très positif pour le consommateur, dans la mesure où elle favorise une diversification des contrats et tire les prix vers le bas. Enfin, la concurrence en Europe a permis de faire émerger de grands champions français et un champion international.

Nous sommes donc largement favorables à cette concurrence, pour autant qu'elle soit loyale. Sur des risques très importants, comme la construction ou la responsabilité civile médicale, la libre prestation de services peut causer des dégâts sur le marché, puisqu'elle s'apparente finalement à du dumping. Comme ces acteurs ne provisionnent pas correctement les risques, pour les branches longues, ils peuvent s'avérer défaillants lorsqu'ils sont contraints d'indemniser. Cependant, comme il s'agit de branches longues, cette situation ne se révèle que plusieurs années plus tard, ajoutant ainsi aux difficultés d'assurés qui ont déjà subi un préjudice ou un dommage. Ces risques à déroulement extrêmement lent – environ 7 années pour l'indemnisation en construction – laissent le temps à ces acteurs de nuire sur un marché donné, ainsi qu'aux assurés qui en sont victimes.

Je plaide donc en faveur de la contrainte, pour les acteurs évoqués, d'être compétents et de faire leurs preuves sur leurs marchés domestiques respectifs avant d'obtenir le droit d'assurer les mêmes risques dans d'autres pays européens. Une autre possibilité pourrait consister à obliger le pays qui a délivré l'agrément en question à mettre en place un fonds de garantie, pour couvrir les assurés victimes de la faillite de l'acteur auquel l'agrément a été accordé. Ce sont là deux mesures complémentaires de moralisation de la concurrence en Europe que nous appelons de nos vœux, comme nos homologues européens.

Sur les prêts participatifs relance, le profil théorique des entreprises est celui des PME et des ETI dont le chiffre d'affaires est supérieur à 2 millions d'euros. Le fonds associé au dispositif est constitué. Dans cette démarche, nous avons eu à cœur – la Fédération française de l'assurance a joué, aux côtés de la direction générale du trésor, un rôle moteur dans la construction de ce schéma d'investissement totalement novateur – de favoriser un alignement des intérêts entre les banques, les gestionnaires d'actifs et les assureurs, lesquels assument dans ce dispositif un rôle d'investisseurs. Ceux-ci sélectionnent des prestataires, qui sont les asset managers, qui vont eux sélectionner les prêts distribués par les banques.

Ce schéma théorique, malgré la complexité du dispositif, a été mis en place en un temps record. Notre objectif, en tant qu'investisseurs, était de faire en sorte que les clients qui souscriraient à ces prêts participatifs représentent l'« entreprise France ». Autrement dit, la volonté était d'éviter que certains secteurs d'activité ou certaines zones géographiques soient sur-représentés dans le dispositif, afin de ne pas affecter le risque du portefeuille correspondant.

Le dispositif est désormais en phase de démarrage, et il appartient aux banques de commercialiser le produit. À ce jour, il est sans doute encore trop tôt pour apprécier l'attrait pour le dispositif et le profil des entreprises qui souscriront à un prêt participatif. Au demeurant, la question doit aussi être posée aux banques, distributrices du produit.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez indiqué que, malgré la volatilité des taux et la décollecte, vous aviez enregistré des rentabilités pour l'exercice 2020. AXA a par exemple distribué, en 2021, un dividende de 1,43 euro par action. J'en déduis que la faible collecte n'a en fin de compte pas affecté la couverture des risques en 2020, compte tenu des sur-provisionnements existant par le passé. Pouvez-vous le confirmer ?

Par ailleurs, vous serait-il possible de partager avec nous un état des sur-provisionnements pour 2020, voire pour 2021, par branches d'activité ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ajouterai une demande de précision complémentaire correspondant à la nature des provisions dans le domaine de l'assurance.

Permalien
Florence Lustman, présidente de la fédération française de l'assurance

L'assurance vie a effectivement connu une décollecte nette en 2020. Pour autant, le niveau de provisionnement, en assurance vie comme en assurance non-vie, est strictement réglementaire et n'offre qu'une faible marge de manœuvre. Les risques sont provisionnés conformément aux règles comptables et de solvabilité en vigueur, dont l'ACPR et les commissaires aux comptes chargés de certifier les comptes vérifient minutieusement l'application.

Les provisions en question correspondent aux dettes contractées par les assureurs auprès de leurs assurés, au titre des contrats d'assurance vie ou d'assurance dommages. Les assureurs encaissent des primes, lesquelles doivent permettre d'indemniser les sinistres. Les provisions ne constituent donc pas des réserves, mais des dettes, selon une estimation probable et actualisée des engagements. Par exemple, dans l'assurance construction, les premières indemnisations se font au bout de sept ans. La charge de sinistres prévisibles va donc être actualisée sur sept ans. Le provisionnement entraîne beaucoup de dettes dans les bilans : c'est la conséquence de l'inversion du cycle de production. Nous commençons par encaisser des primes, et nous indemnisons les assurés ensuite.

Ces mécanismes impliquent d'évaluer correctement la charge de sinistres prévisibles et le niveau des primes correspondant, afin que celles-ci puissent couvrir les sinistres qui surviendront sur les contrats déjà vendus – la réglementation interdit d'indemniser les sinistres associés aux contrats d'une année donnée par les primes futures. On ne saurait donc parler de sur-provisionnements, dans la mesure où les assureurs n'ont pas la possibilité de sous-provisionner. La pierre angulaire, c'est de correctement évaluer ses dettes, donc ses provisions, et d'avoir en face des dettes des actifs prudemment évalués et réalisables.

Si je reviens à l'assurance non-vie, en 2020, la charge nette des sinistres s'est alourdie de 3 milliards d'euros. Nous avons en effet connu une augmentation de 3,3 milliards d'euros des sinistres sur les risques d'entreprise, une hausse de 660 millions d'euros sur la prévoyance, liée notamment à l'augmentation des arrêts de travail et donc au versement des indemnités correspondantes, ainsi que 250 millions d'euros de charges supplémentaires sur les sinistres en santé, compte tenu de la taxe sur l'assurance santé. Cet alourdissement global n'a été atténué que par une réduction de 1,2 milliard d'euros de la charge des sinistres sur l'assurance automobile. À ces éléments, il convient enfin d'ajouter, en termes de charges sur les comptes de résultat pour 2020, tous les gestes de solidarité, à hauteur de 1,1 milliard d'euros.

Dans cette perspective, l'année 2020 a pleinement illustré le fonctionnement de l'assurance, fondé sur la mutualisation. Selon les années, les différentes branches sont plus ou moins déficitaires ou bénéficiaires, et, en vertu du facteur du « bénéfice de diversification » prévu dans la directive Solvabilité II, il est normal de compenser, pour une année donnée, les déficits d'une branche par les excédents d'une autre. C'est grâce à ce mécanisme, du reste, que nous serons en capacité d'indemniser le dernier épisode de gel dans le cadre de l'assurance multirisque climatique. C'est ainsi que fonctionne l'assurance partout en Europe, ce qui permet d'éviter des variations importantes, d'une année sur l'autre, dans le niveau des primes, et ce qui va cette année bénéficier aux agriculteurs.

Certains acteurs ont effectivement versé des dividendes en 2021. Cependant, tous les acteurs sont dans un jeu de concurrence internationale forcenée, et nombre d'entre eux ont omis de verser en 2020 des dividendes au titre de l'exercice 2019, décision qui en réalité ne se justifiait pas, dans la mesure où l'année 2019 avait été bénéficiaire.

L'activité d'assurance repose sur des investisseurs, qui font confiance et mettent des fonds à disposition. Les milliards de fonds propres dont nous avons réglementairement besoin pour exercer l'activité d'assurance doivent bien être financés. Et les investisseurs, effectivement, attendent une certaine rentabilité, au travers des dividendes. Par conséquent, les dividendes versés en 2021 au titre de l'année 2020 représentent aussi, pour les porteurs des parts, une compensation d'un rendement très faible en 2020, à la suite d'un exercice 2019 pourtant bénéficiaire. Il y a là une logique de marché, dont les acteurs ne peuvent s'extraire totalement.

Je rappelle également qu'un grand pays voisin comme l'Allemagne a pris très rapidement des décisions bien plus favorables aux assureurs et aux banques que notre superviseur national. Notre activité est européenne et mondiale, et nous ne pouvons fixer pour notre territoire national des règles différentes de celles des pays voisins, sans quoi les groupes correspondants éprouveront davantage de difficultés pour lever les fonds propres dont ils ont besoin.