Merci pour toutes ces questions, auxquelles je tâcherai de répondre dans l'ordre.
Tout d'abord, je rappellerai que les propositions de l'EIOPA s'orientent vers davantage de complexité. Elles accentuent le comportement pro-cyclique de la norme et sa volatilité. Par conséquent, elles constituent un frein très net dans les décisions d'investissement des assureurs, notamment pour les investissements générant un besoin de solvabilité important.
Cette logique est particulièrement dommageable dans un environnement de taux négatifs ou quasi nuls. Évidemment, les assureurs sont à la recherche de rendement. Ils ont de l'appétit, par exemple, pour financer des infrastructures de verdissement de l'économie ou encore l'industrie européenne. Nous devons donc conserver à l'esprit les contraintes des assureurs, non seulement liées à Solvabilité II, mais surtout en termes de rendements de leurs actifs, rendements qui serviront en particulier à financer les intérêts versés sur les contrats d'assurance vie. Ces nouvelles propositions de l'EIOPA conduiraient ainsi à réduire la capacité à piloter ces évolutions très importantes du ratio de solvabilité.
Du fait de cette volatilité, l'exigence liée à la directive Solvabilité II s'établit en pratique très au-delà des dispositions envisagées au départ. Lors du passage au régime Solvabilité II, plus exigeant en fonds propres que le dispositif précédent, la cible était d'obtenir un ratio de 100 %. Aujourd'hui, les assureurs affichent un ratio de 200 %, voire un ratio plus élevé, cela dépend des marchés. Pour quelles raisons ? Tout d'abord, compte tenu de cette volatilité, l'ACPR demande un ratio de 130 %, car l'évolution des marchés peut faire perdre 30 points de solvabilité du jour au lendemain. Ensuite, selon un raisonnement similaire, les politiques internes en matière de risques, fixées par les conseils d'administration, s'orientent, par prudence, vers un ratio de 160 %. La prise en compte du ratio de solvabilité pèse ainsi très fortement sur les investissements en infrastructures ou en actions envisagés par les entreprises.
Concernant l'investissement dans l'économie réelle, l'assurance vie dans sa globalité représentait, à fin avril 2021, un encours de 1 818 milliards d'euros, investis à 60 % dans les entreprises. 25 % de cet encours sont placés en unités de compte. Sur le PER, une fraction de l'assurance-vie, à la même date, l'encours s'élevait à 19 milliards d'euros, les cotisations se portant à 50 % sur les unités de compte. Par conséquent, du fait de cette part plus importante des unités de compte dans les PER, 70 % de cet encours de 19 milliards d'euros sont investis dans les entreprises. Ces données montrent qu'une transformation du modèle de l'assurance vie à la française est bien à l'œuvre et ne s'est absolument pas démentie en 2020 et durant les premiers mois de l'année 2021, malgré l'incertitude liée à la crise.
Par ailleurs, nous avons chiffré le coût total de la réforme de la directive Solvabilité II, dans le cadre du modèle que nous appelons « France vie », lequel agrège les données de toutes les sociétés d'assurance vie du marché et permet de tester différentes hypothèses. Dans cette perspective, avec l'ensemble des propositions de l'EIOPA, les assureurs perdraient 41 points de solvabilité. J'ai également cité le risque de taux d'intérêt, dont l'impact est le plus important et représente à lui seul une perte de 37 points de solvabilité.
Nos propositions visent à diminuer l'impact de cette mesure sur le risque de taux d'intérêt et à identifier des compensations. Vous avez mentionné l'ajustement pour volatilité. Le montant de la correction pour volatilité est calculé aujourd'hui sur la base d'un portefeuille de référence, avec un ratio général de 65 %. Nous proposons de porter ce ratio à 100 %. Nous avons transmis nos propositions et nos simulations au ministère de l'économie et des finances et à l'ACPR, et nous les partageons évidemment avec nos homologues européens. En jouant sur certains paramètres, sur lesquels nous formulons des propositions très concrètes, il est possible de diminuer la volatilité de la norme. C'est sur ces paramètres que nous faisons des propositions très concrètes.
C'est la raison pour laquelle nous parlons d'une révision « chirurgicale » de la directive Solvabilité II. L'objectif est d'identifier les points qui occasionnent le plus de dommages pour les assureurs français et de proposer un ajustement le plus simple possible, dans les modules de calcul de la directive Solvabilité II.
En écho à l'une de vos questions, je rappellerai qu'au 31 mars 2021, le taux de couverture s'établissait à 240 % pour les assureurs vie et à plus de 260 % pour les assureurs non-vie. Malgré les 5 milliards d'euros que leur a coûtés la crise en 2020, les assureurs sont restés très solvables. Avons-nous besoin de taux de solvabilité plus élevés, à l'heure où l'EIOPA voudrait alourdir encore la charge liée à la directive Solvabilité II ? Selon nous, cette proposition n'a aucun sens. Nous sommes déjà très voire trop capitalisés. L'enjeu consiste ainsi à libérer des capacités d'investissement dans l'économie productive en diminuant les ratios, même si ces capacités sont déjà importantes.
Sur le sujet de nos soutiens européens, nous sommes notamment proches de nos homologues italiens ou néerlandais. Nous menons également un dialogue constructif avec nos homologues allemands.
Les Allemands appliquent une disposition spécifique de la directive Solvabilité II, qui leur permet d'étaler les impacts jusqu'en 2032. Du fait que les assureurs allemands font grand usage de cette possibilité, ouverte à tous les assureurs européens, ils sont moins touchés que nous sur certains dispositifs, car ils étalent l'impact sur une durée plus longue. Cependant, nous sommes en accord avec eux sur un certain nombre de points.
Enfin, les grands groupes d'assurance européens, comme AXA, Allianz ou Generali, ont construit des visions partagées quant à l'impact des propositions de l'EIOPA sur la révision de la directive Solvabilité II.
L'une des questions portait sur la manière dont les entreprises se sont emparées des facilités en matière de déblocage des contrats d'épargne-retraite. Je ne dispose pas de cette information, étant donné que les éléments qui nous sont remontés correspondent aux données agrégées par catégories dites ministérielles, et non par types de contrats.
Je rappelle aussi que les accords de Bâle III concernent les banques. Je n'ai donc pas d'avis particulier à formuler sur ce point, en tant que présidente de la Fédération française de l'assurance.
Sur le sujet du PER, nous avons pris connaissance des propositions émises par certains parlementaires, dont nous nous réjouissons évidemment. Le PER constitue un produit de confiance et rencontre un grand succès. Selon notre analyse, la crise que nous traversons est aussi une crise de confiance parmi nos concitoyens, dont témoigne le niveau d'épargne actuel sur les comptes courants. Il serait ainsi opportun et possible, d'après nos simulations, d'orienter une partie de cette épargne dormante vers de l'épargne productive, en dégageant, au travers d'une mesure ciblée, 7 milliards d'euros supplémentaires à investir dans les entreprises.
Les réseaux commerciaux, comme les clients, sont très friands de telles mesures. La mise en place d'une mesure spécifique, limitée dans le temps, stimule en effet le discours commercial et la réaction des clients, renforçant l'intérêt de part et d'autre. À cet égard, un dispositif très temporaire permettrait de répondre au sujet de l'épargne improductive. Étant donné que cette épargne, comme le montrent désormais de longs mois d'observation, ne se transforme pas en consommation, autant qu'elle soit productive et orientée vers un placement de confiance, comme l'assurance vie et le PER en particulier.
L'année 2020 a révélé, en négatif, l'importance du travail des réseaux commerciaux. L'assurance vie a subi une décollecte nette d'un niveau historique, du fait de l'arrêt de l'activité des réseaux commerciaux pendant trois mois, lors du premier confinement. Durant cette période, les produits d'assurance vie, dont le PER, vendus dans le cadre du devoir de conseil, n'étaient plus sur étagère. Dans cette perspective, tout ce qui va dans le sens de la mobilisation des réseaux commerciaux, que ce soit dans le secteur de la banque ou celui de l'assurance, peut être bénéfique. Nous avons tout à gagner d'une telle mesure, à l'heure où nous avons besoin de toute l'épargne disponible pour investir dans les entreprises, en mobilisant des contrats qui constituent des véhicules privilégiés pour investir sur le temps long.
S'agissant de la concurrence en Europe, celle-ci est vive, en effet. J'ai cité des exemples de concurrence déloyale par le biais de la libre prestation de services. Au-delà de ces aspects, le marché de l'assurance est extrêmement concurrentiel en France. Cette réalité constitue un élément très positif pour le consommateur, dans la mesure où elle favorise une diversification des contrats et tire les prix vers le bas. Enfin, la concurrence en Europe a permis de faire émerger de grands champions français et un champion international.
Nous sommes donc largement favorables à cette concurrence, pour autant qu'elle soit loyale. Sur des risques très importants, comme la construction ou la responsabilité civile médicale, la libre prestation de services peut causer des dégâts sur le marché, puisqu'elle s'apparente finalement à du dumping. Comme ces acteurs ne provisionnent pas correctement les risques, pour les branches longues, ils peuvent s'avérer défaillants lorsqu'ils sont contraints d'indemniser. Cependant, comme il s'agit de branches longues, cette situation ne se révèle que plusieurs années plus tard, ajoutant ainsi aux difficultés d'assurés qui ont déjà subi un préjudice ou un dommage. Ces risques à déroulement extrêmement lent – environ 7 années pour l'indemnisation en construction – laissent le temps à ces acteurs de nuire sur un marché donné, ainsi qu'aux assurés qui en sont victimes.
Je plaide donc en faveur de la contrainte, pour les acteurs évoqués, d'être compétents et de faire leurs preuves sur leurs marchés domestiques respectifs avant d'obtenir le droit d'assurer les mêmes risques dans d'autres pays européens. Une autre possibilité pourrait consister à obliger le pays qui a délivré l'agrément en question à mettre en place un fonds de garantie, pour couvrir les assurés victimes de la faillite de l'acteur auquel l'agrément a été accordé. Ce sont là deux mesures complémentaires de moralisation de la concurrence en Europe que nous appelons de nos vœux, comme nos homologues européens.
Sur les prêts participatifs relance, le profil théorique des entreprises est celui des PME et des ETI dont le chiffre d'affaires est supérieur à 2 millions d'euros. Le fonds associé au dispositif est constitué. Dans cette démarche, nous avons eu à cœur – la Fédération française de l'assurance a joué, aux côtés de la direction générale du trésor, un rôle moteur dans la construction de ce schéma d'investissement totalement novateur – de favoriser un alignement des intérêts entre les banques, les gestionnaires d'actifs et les assureurs, lesquels assument dans ce dispositif un rôle d'investisseurs. Ceux-ci sélectionnent des prestataires, qui sont les asset managers, qui vont eux sélectionner les prêts distribués par les banques.
Ce schéma théorique, malgré la complexité du dispositif, a été mis en place en un temps record. Notre objectif, en tant qu'investisseurs, était de faire en sorte que les clients qui souscriraient à ces prêts participatifs représentent l'« entreprise France ». Autrement dit, la volonté était d'éviter que certains secteurs d'activité ou certaines zones géographiques soient sur-représentés dans le dispositif, afin de ne pas affecter le risque du portefeuille correspondant.
Le dispositif est désormais en phase de démarrage, et il appartient aux banques de commercialiser le produit. À ce jour, il est sans doute encore trop tôt pour apprécier l'attrait pour le dispositif et le profil des entreprises qui souscriront à un prêt participatif. Au demeurant, la question doit aussi être posée aux banques, distributrices du produit.