L'assurance vie a effectivement connu une décollecte nette en 2020. Pour autant, le niveau de provisionnement, en assurance vie comme en assurance non-vie, est strictement réglementaire et n'offre qu'une faible marge de manœuvre. Les risques sont provisionnés conformément aux règles comptables et de solvabilité en vigueur, dont l'ACPR et les commissaires aux comptes chargés de certifier les comptes vérifient minutieusement l'application.
Les provisions en question correspondent aux dettes contractées par les assureurs auprès de leurs assurés, au titre des contrats d'assurance vie ou d'assurance dommages. Les assureurs encaissent des primes, lesquelles doivent permettre d'indemniser les sinistres. Les provisions ne constituent donc pas des réserves, mais des dettes, selon une estimation probable et actualisée des engagements. Par exemple, dans l'assurance construction, les premières indemnisations se font au bout de sept ans. La charge de sinistres prévisibles va donc être actualisée sur sept ans. Le provisionnement entraîne beaucoup de dettes dans les bilans : c'est la conséquence de l'inversion du cycle de production. Nous commençons par encaisser des primes, et nous indemnisons les assurés ensuite.
Ces mécanismes impliquent d'évaluer correctement la charge de sinistres prévisibles et le niveau des primes correspondant, afin que celles-ci puissent couvrir les sinistres qui surviendront sur les contrats déjà vendus – la réglementation interdit d'indemniser les sinistres associés aux contrats d'une année donnée par les primes futures. On ne saurait donc parler de sur-provisionnements, dans la mesure où les assureurs n'ont pas la possibilité de sous-provisionner. La pierre angulaire, c'est de correctement évaluer ses dettes, donc ses provisions, et d'avoir en face des dettes des actifs prudemment évalués et réalisables.
Si je reviens à l'assurance non-vie, en 2020, la charge nette des sinistres s'est alourdie de 3 milliards d'euros. Nous avons en effet connu une augmentation de 3,3 milliards d'euros des sinistres sur les risques d'entreprise, une hausse de 660 millions d'euros sur la prévoyance, liée notamment à l'augmentation des arrêts de travail et donc au versement des indemnités correspondantes, ainsi que 250 millions d'euros de charges supplémentaires sur les sinistres en santé, compte tenu de la taxe sur l'assurance santé. Cet alourdissement global n'a été atténué que par une réduction de 1,2 milliard d'euros de la charge des sinistres sur l'assurance automobile. À ces éléments, il convient enfin d'ajouter, en termes de charges sur les comptes de résultat pour 2020, tous les gestes de solidarité, à hauteur de 1,1 milliard d'euros.
Dans cette perspective, l'année 2020 a pleinement illustré le fonctionnement de l'assurance, fondé sur la mutualisation. Selon les années, les différentes branches sont plus ou moins déficitaires ou bénéficiaires, et, en vertu du facteur du « bénéfice de diversification » prévu dans la directive Solvabilité II, il est normal de compenser, pour une année donnée, les déficits d'une branche par les excédents d'une autre. C'est grâce à ce mécanisme, du reste, que nous serons en capacité d'indemniser le dernier épisode de gel dans le cadre de l'assurance multirisque climatique. C'est ainsi que fonctionne l'assurance partout en Europe, ce qui permet d'éviter des variations importantes, d'une année sur l'autre, dans le niveau des primes, et ce qui va cette année bénéficier aux agriculteurs.
Certains acteurs ont effectivement versé des dividendes en 2021. Cependant, tous les acteurs sont dans un jeu de concurrence internationale forcenée, et nombre d'entre eux ont omis de verser en 2020 des dividendes au titre de l'exercice 2019, décision qui en réalité ne se justifiait pas, dans la mesure où l'année 2019 avait été bénéficiaire.
L'activité d'assurance repose sur des investisseurs, qui font confiance et mettent des fonds à disposition. Les milliards de fonds propres dont nous avons réglementairement besoin pour exercer l'activité d'assurance doivent bien être financés. Et les investisseurs, effectivement, attendent une certaine rentabilité, au travers des dividendes. Par conséquent, les dividendes versés en 2021 au titre de l'année 2020 représentent aussi, pour les porteurs des parts, une compensation d'un rendement très faible en 2020, à la suite d'un exercice 2019 pourtant bénéficiaire. Il y a là une logique de marché, dont les acteurs ne peuvent s'extraire totalement.
Je rappelle également qu'un grand pays voisin comme l'Allemagne a pris très rapidement des décisions bien plus favorables aux assureurs et aux banques que notre superviseur national. Notre activité est européenne et mondiale, et nous ne pouvons fixer pour notre territoire national des règles différentes de celles des pays voisins, sans quoi les groupes correspondants éprouveront davantage de difficultés pour lever les fonds propres dont ils ont besoin.