Le Printemps de l'évaluation est un exercice essentiel pour mesurer l'efficacité des politiques publiques que nous menons et la bonne consommation des crédits budgétaires votés par le Parlement.
Cet exercice est d'autant plus à propos pour le ministère dont j'ai la charge, car il a eu longtemps la réputation de ne pas consommer pleinement les crédits votés par le Parlement, période aujourd'hui révolue.
La période de crise a incontestablement bouleversé la mise en œuvre des politiques publiques, mais elle a également révélé la résilience des territoires et des économies ultramarins. Évidemment, cette crise a aussi montré que l'État sait être présent : 5,7 milliards d'euros ont été mobilisés pour les entreprises et les salariés ultramarins, que ce soit à La Réunion, qui a bénéficié de plus d'1,6 milliard d'euros de mesures économiques d'urgence, ou en Nouvelle-Calédonie, avec un prêt de 240 millions d'euros accordé par l'Agence française de développement garanti par l'État.
Outre la traditionnelle exécution des crédits budgétaires, la commission, par la voix de son rapporteur spécial, a choisi de s'intéresser aux contrats de convergence et de transformation et aux contrats de développement, qui constituent le principal outil contractuel entre l'État et les collectivités ultramarines. Comme vous le savez, ces contrats visent à contribuer au développement économique et à la transition écologique et énergétique de nos territoires ultramarins. Je reviendrai sur la genèse, l'état d'avancement de ces contrats et leur articulation avec le plan de relance.
La mission Outre-mer n'est qu'une petite partie du budget global de l'État pour les outre-mer, qui s'étend sur 31 missions et 94 programmes. Il atteint au global 19,6 milliards d'euros en autorisation d'engagement et 19,2 milliards d'euros en crédits de paiement. Sur ces 31 missions, quatre dépassent le milliard d'euros : les missions Outre-mer, Relations avec les collectivités territoriales, Écologie, développement et mobilité durables et Solidarité, insertion et égalité des chances.
Par ailleurs, deux missions consacrent des dépenses de personnel importantes à l'outre-mer : 4,7 milliards d'euros sont alloués au paiement des traitements des agents de l'éducation nationale et un peu plus d'un milliard d'euros aux dépenses de personnel des forces de sécurité intérieure.
J'en viens à la consommation des crédits en 2020. S'agissant du programme 123, la totalité des crédits disponibles a été engagée, soit 745 millions d'euros en autorisations d'engagement et 603 millions d'euros en crédits de paiement. C'est la première fois en cinq ans que le ministère arrive à ce résultat, après plusieurs exercices marqués par une forte sous-consommation des crédits. Cela ne signifie pas pour autant que le ministère a dépensé l'intégralité des crédits votés en loi de finances initiale, car le Parlement vote également un gel de ces crédits de 4 %, qui ampute le budget de mon ministère dès le début de l'année d'un peu moins de 100 millions d'euros.
À cela s'ajoutent les lois de finances rectificatives. Certaines annulent des crédits, cela a été dit, mais d'autres en rajoutent : c'est par exemple les 82 millions d'euros supplémentaires qu'il vous sera proposé de voter dans les prochains jours pour le budget de mon ministère, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2021, au profit de la Nouvelle Calédonie.
Le gel en début d'année et les annulations en fin d'année sont des aléas que nous connaissons tous les ans. En 2020, la différence tient à ce que le ministère des Outre-mer a su dépenser tous les crédits qu'il avait à sa disposition, un bon résultat obtenu malgré les conséquences adverses de la crise sanitaire, qui ont eu un impact sur certaines politiques publiques, comme la continuité territoriale. LADOM, par exemple, a divisé par deux le nombre de formations financées en 2020.
Je vois deux raisons principales à cette bonne consommation des crédits. La première est la modification de certains paramètres internes qui constituaient de véritables points bloquants, comme la date de mise à disposition des crédits, la fréquence et le niveau du dialogue avec les préfets de chaque territoire. À partir de 2020, les crédits ont été délégués plus tôt sur le terrain et les échanges se sont accélérés entre le ministère et les préfets afin d'identifier le plus en amont possible les blocages.
La seconde raison tient à des éléments structurels, comme l'appui à l'ingénierie pour soutenir les collectivités territoriales dans leur conduite de projet et la mise en œuvre territorialisée du plan logement outre-mer (PLOM), qui a contribué à l'augmentation significative du nombre de logements financés en 2020. La tendance est favorable en 2021 : la consommation des crédits est supérieure à celle de 2020 sur la même période.
Au-delà des actions correctrices en 2020, nous avons renforcé l'appui à l'ingénierie dans le cadre du plan de relance et lancé l'expérimentation des contrats de redressement en outre-mer (COROM) dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) pour aider les communes volontaires à redresser leurs finances locales. Un premier COROM a été signé à Cayenne, moins de six mois après l'adoption du dispositif en loi de finances, et les autres sont en cours de finalisation.
S'agissant du programme 138, sur la base de la loi de finances rectificative de fin d'année, la consommation des crédits disponibles est quasiment intégrale. Cela illustre l'effort de fiabilisation réalisé par le Gouvernement dans le cadre des procédures budgétaires. J'apporterai des précisions de fond sur deux dispositifs en particulier. L'exonération des cotisations patronales (dite exonération Lodéom) est plus faible qu'anticipé. Il ne faut pas y voir le signe d'un moindre effort de l'État vers les économies ultramarines. Cela s'explique par la transformation de beaucoup de salaires versés par les entreprises en chômage partiel versé par l'État. Le niveau de soutien a donc été maintenu, voire renforcé : au 1,4 milliard d'euros versés au titre de l'exonération Lodéom s'ajoutent en 2020 près de 560 millions d'euros de chômage partiel, dont 155 millions d'euros pour la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, 45,4 millions pour la Guyane, près de 210 millions d'euros pour La Réunion, 116 millions d'euros pour la Martinique et 29 millions pour Mayotte. Ce niveau de soutien des salariés et des entreprises des outre-mer était inédit et évidemment nécessaire. S'y sont ajoutés les mécanismes spécifiques du fonds de solidarité et des prêts garantis par l'État.
5,7 milliards d'euros de mesures économiques d'urgence ont été mobilisés par l'État pour les entreprises ultramarines depuis le début de la crise, dont 3,4 milliards d'euros de prêts garantis par l'État, 850 milliards d'euros d'indemnisation par le fonds de solidarité, 767 millions d'euros de report ou d'annulation de charges fiscales et sociales.
Ce programme finance également le service militaire adapté (SMA). En raison de la crise, le SMA n'a pu accueillir que 4 200 jeunes cette année, pour une cible de 6 000 jeunes. Toutefois, l'insertion professionnelle qui est le but de ce dispositif républicain s'est globalement maintenue.
Il faut y voir la capacité du SMA et de ses volontaires à s'adapter à toute situation. Les régiments ont ainsi augmenté la durée de la formation, pour neutraliser les périodes de confinement. Là aussi, la résilience des territoires est à souligner.
Les contrats de convergence et de transformation, dits CCT, et les contrats de développement ont été créés par la loi EROM du 28 février 2017. Ils doivent être la déclinaison opérationnelle des plans de convergence, qui constituent des documents stratégiques. Ils constituent de manière très pragmatique le support des mesures et des financements communs entre l'État et collectivités territoriales, et au sein de l'État, entre différents ministères Les CCT de la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna ont été signés pendant l'été 2019 et celui de Saint-Martin un an plus tard, en raison du cyclone Irma. Les contrats des DROM ont tous été signés entre l'État, la collectivité territoriale unique ou le conseil régional et le conseil départemental, sans oublier les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) Quant aux contrats polynésiens et calédoniens, leurs négociations ont été décalées du fait des échéances électorales en Polynésie française et référendaires en Nouvelle-Calédonie. Le dernier contrat a été signé le 30 mars 2021 avec la Polynésie française.
Chaque contrat est différent, car il reflète les besoins et les atouts de chaque territoire, Tous ces contrats présentent un effort financier de l'État supérieur aux contrats de plan État – régions (CPER) précédents sur une durée plus courte. Ils manifestent donc la meilleure mobilisation de l'État dans les territoires ultramarins, encore renforcée par les récents accords de relance, qui viennent s'ajouter aux CCT. Les opérations inscrites dans ces contrats sont variées et adaptées aux territoires. Ces opérations sont riches et diverses, qu'il s'agisse du pont du Larivot en Guyane, des opérations anti-sismiques dans les Antilles, des infrastructures d'enseignement en Martinique et à Mayotte, ou de la tenue d'un colloque sur les langues océaniennes à Wallis-et-Futuna.
L'avancement des CCT varie selon les cas : il a atteint 10 % environ à la fin de l'année 2020 dans les Antilles, moins de 40 % à La Réunion, 56 % à Saint-Pierre-et-Miquelon.
L'année 2020 constitue la première année de démarrage complet de la plupart de ces nouveaux contrats. Or, la pandémie qui a marqué cette année et le report des élections municipales ont pesé sur les capacités à conduire les chantiers d'investissement. Le niveau d'engagement reste toutefois très bon, soit un taux de consommation de 94 % des autorisations d'engagement prévues pour 2020 : c'est le signe que la volonté politique et la capacité à lancer les projets n'ont pas faibli.
Il s'agit de résultats globaux, qui reflètent évidemment mal les grandes disparités entre territoires. Les dispositifs de relance de l'économie et les mesures correctrices en profondeur pour améliorer la consommation de nos crédits sont de nature à améliorer la performance de ces dispositifs dès 2021.
J'insiste une nouvelle fois, sur la spécificité du budget des outre-mer. Il comprend moins de 15 % des dépenses de l'État en outre-mer. Les CCT, qui agrègent les budgets de plusieurs ministères, prennent donc tout leur sens.
Une part importante des crédits de mon ministère sont utilisés par d'autres acteurs publics : les bailleurs sociaux, pour les crédits en faveur du logement, et les collectivités locales, pour les CCT ou bien le fonds exceptionnel d'investissement.
Améliorer la consommation de nos crédits, c'est donc aussi répondre aux enjeux majeurs de la structuration du champ du logement social, de l'amélioration de la capacité d'ingénierie des collectivités et plus globalement du redressement des finances locales.
Tous ces chantiers sont en cours et ont déjà commencé à porter leurs fruits en 2020, pour un résultat que l'on peut espérer encore meilleur en 2021.
Pour répondre aux questions posées par le rapporteur spécial, s'agissant de l'application des nouvelles mesures de continuité territoriale introduites dans la loi de finances pour 2021, le décret et l'arrêté d'application de ces mesures nouvelles seront publiés d'ici la fin du mois de juin, puisque les consultations obligatoires avec les collectivités territoriales ont enfin été réalisées.
S'agissant de la qualité des prévisions de l'Acoss pour l'exonération Lodeom, vous soulevez un sujet très important qui occupe beaucoup les services de mon ministère, de Bercy et de l'Acoss. Un travail commun est en cours pour améliorer la qualité de la prévision. Je précise toutefois que les dépenses sont automatiques. Dès lors qu'une entreprise est éligible, l'exonération est de droit. La qualité des prévisions de l'Acoss a un impact sur la gestion budgétaire du ministère, mais n'a pas d'impact sur les entreprises ultramarines, qui touchent quoi qu'il arrive ce qu'il leur est dû.
L'ajustement que vous avez demandé pour pallier la rigidité de l'enveloppe CCT a été effectué via le plan de relance : nous avons en effet abondé les CCT de 20 millions d'euros. À la fin du mois de mai, 13 millions d'euros avaient déjà été engagés. Des ajustements et de nouvelles priorisations ont été réalisés à cette occasion afin de tenir compte des projets les plus mûrs. Nous verrons si les nouvelles équipes électorales souhaitent une priorisation différente des projets. Nous serons en tout cas à l'écoute des projets du territoire.
Je me réjouis de votre avis positif sur les plateformes d'ingénierie au profit des collectivités territoriales. Elles apportent une aide centrale aux acteurs qui mènent des projets concrets, comme les collectivités territoriales ou les bailleurs sociaux. Beaucoup de crédits ne sont en effet pas engagés en raison de problématiques d'ingénierie technique, liées au foncier par exemple, ou d'ingénierie financière, liées à la commande publique. Il nous faudra également reconcentrer des moyens dans les préfectures. Je n'oublie pas l'action de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et de l'Agence française de développement (AFD) dans l'accompagnement des collectivités en matière d'ingénierie. Enfin, le droit commun, s'agissant du programme « Action cœur de ville » notamment, s'applique également de plein droit dans un certain nombre de communes des territoires ultramarins
Je retiendrai en conclusion un message essentiel : nous arrivons enfin à mieux consommer nos crédits.