Intervention de Marie-Christine Verdier-Jouclas

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Christine Verdier-Jouclas, rapporteure spéciale (Travail et emploi) :

En 2020, le montant des crédits de paiement consommés par la mission Travail et emploi a progressé de plus de 545 millions d'euros pour s'établir à 14,737 milliards d'euros. J'y vois le signe de la réactivité et de la mobilisation du Gouvernement face à une crise sanitaire qui fut également un choc sans précédent sur l'emploi.

Comment résumer un exercice budgétaire si atypique ?

Les programmes 102 Accès et retour à l'emploi et 103 A ccompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi ont naturellement été affectés par les mesures prises pour faire à la pandémie, notamment lors du premier confinement. Des sous-consommations que j'annonçais déjà il y a un an se sont confirmées, mais le ministère a su faire preuve de réactivité en prenant par ailleurs des mesures de soutien aux acteurs concernés. C'est particulièrement le cas du secteur de l'insertion par l'activité économique : la sous-exécution des aides au poste à hauteur de 193 millions d'euros en raison du placement en activité partielle des salariés a été plus que compensée par un plan de soutien aux structures de l'insertion par l'activité économique d'un montant de 223 millions d'euros. De même, un plan de soutien aux entreprises adaptées a été mis en place, à hauteur de 106 millions d'euros. Je suis sûre, madame la ministre, que vous saurez réitérer un tel redéploiement si, d'aventure, cette année encore, le besoin s'en faisait sentir.

Au-delà des mesures de soutien évoquées, ces marges de manœuvre ont contribué au financement d'un certain nombre de mesures nouvelles, telles l'aide à l'embauche des jeunes de moins de 26 ans, d'un montant global de 174 millions d'euros, et l'aide exceptionnelle à l'apprentissage, d'un montant de 630 millions d'euros. Je crois, madame la ministre, que nous pourrions réfléchir ensemble à une mesure salariale incitant les jeunes à rester dans l'entreprise après la fin de leur apprentissage, et, symétriquement, les entreprises à garder leur apprenti grâce à une aide à l'embauche.

Le principal impact de la crise sur le programme 155 Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail fut probablement le recrutement de renforts – 336 équivalents temps plein – au sein des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) pour la gestion du dispositif d'activité partielle ; cela a permis de traiter les dossiers avec une réactivité plus que nécessaire dans la période traversée. Je souhaite, afin que les entreprises ne soient pas pénalisées, que ces renforts soient maintenus jusqu'au retour à la normale.

Je me permets, madame la ministre, d'appeler votre attention sur le fait que les services d'administration centrale, telles la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et la direction générale du travail, n'ont, eux, bénéficié d'aucun renfort. Il convient pourtant d'être particulièrement attentifs aux moyens de la DGEFP, qui assume la responsabilité du pilotage des dispositifs de la politique de l'emploi dans un contexte d'une particulière gravité. La crise sanitaire a par ailleurs eu un impact sur les recrutements de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), à qui un plafond d'emploi en baisse de 3,5 % a en outre été notifié. Il conviendrait plutôt de sanctuariser les moyens humains de cette direction, dont les travaux sont indispensables à notre connaissance de l'emploi en France et au suivi des dispositifs déployés – je vous invite d'ailleurs, chers collègues, à visiter son site internet, source de savoir.

J'en viens à mon thème d'évaluation : la politique d'inclusion par les compétences. Le Gouvernement a fait du retour à l'emploi des personnes les plus éloignées de l'emploi sa priorité. Tant la multiplicité des dispositifs mobilisés que l'ampleur sans précédent de l'effort financier consenti – plus de 13 milliards d'euros sur la durée du quinquennat pour le seul plan d'investissement dans les compétences – justifiaient que je m'y arrête. Je me suis plus particulièrement intéressée aux entreprises adaptées, aux parcours emploi compétences, à la garantie jeunes, aux pactes régionaux d'investissement dans les compétences et à la prépa apprentissage.

Le nouveau modèle de l'entreprise adaptée se caractérise par une modernisation du modèle économique, dans une optique plus inclusive et avec un changement d'échelle. La mobilisation du fonds d'accompagnement à la transformation des entreprises adaptées (FATEA) en 2020 marque le début d'une appropriation effective des enjeux de la réforme de 2018 par les entreprises adaptées. Plus concrètement, les équivalents temps plein (ETP) notifiés n'ont cessé d'augmenter depuis 2018 afin de parvenir à réaliser l'objectif d'un doublement du nombre de salariés embauchés dans les entreprises adaptées en 2022, conformément à l'accord « Cap vers l'entreprise inclusive » conclu par le ministère et le secteur. En revanche, le déploiement des expérimentations, comme le CDD tremplin et l'entreprise adaptée de travail temporaire, est peut-être inférieur aux attentes, et l'expérimentation de l'entreprise adaptée pro-inclusive n'a, pour sa part, pas pu être mise en œuvre du fait de la crise. Ces dispositifs doivent cependant être maintenus, car, j'en suis sûre, ils prendront tout leur sens lorsque la crise sera derrière nous.

En ce qui concerne les parcours emploi compétences (PEC), le saut qualitatif par rapport aux contrats aidés antérieurs se confirme. L'accompagnement et la formation des bénéficiaires sont réels, et leur taux d'insertion dans l'emploi est en constante amélioration depuis 2018 : 49 % en 2018, 53 % en 2019, 57 % en 2020. Je crains toutefois le risque d'une éviction des personnes en situation de handicap, catégorie transverse aux autres, qui ne bénéficie pas en tant que telle d'un taux de prise en charge renforcé, contrairement aux bénéficiaires des PEC jeunes ou des PEC liés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville ou des zones de revitalisation rurale. Nous devons, je le comprends, porter une attention particulière à notre jeunesse, mais pouvez-vous nous dire, madame la ministre, si des évolutions sont envisageables à cet égard.

En ce qui concerne la garantie jeunes, je salue la qualité de cet accompagnement intensif des jeunes les plus éloignés de l'emploi. En attendant la mise en place d'une garantie jeunes universelle, dont vous pourrez peut-être, madame la ministre, nous préciser le calendrier, je note avec satisfaction les assouplissements prévus par le décret du 26 mai 2021, à l'heure où le Gouvernement prévoit, dans le cadre du plan « un jeune, une solution », de porter à 200 000 le nombre de bénéficiaires.

Ainsi, un jeune n'aura plus nécessairement besoin de se déclarer fiscalement autonome pour bénéficier de la garantie jeunes. Le conseiller de la mission locale pourra, à titre exceptionnel, attester lui-même de sa situation de précarité et de rupture vis-à-vis de sa famille. Le plafond de ressources pourra également être évalué sur les trois ou les six derniers mois, selon l'appréciation la plus favorable pour chaque jeune. Enfin, la durée de ce parcours sera désormais modulable et pourra aller de neuf à dix-huit mois, afin de s'adapter aux besoins d'accompagnement de chaque jeune, et la garantie jeunes sera désormais ouverte aux jeunes en situation de handicap jusqu'à l'âge de 30 ans. Un dernier critère devrait également pouvoir évoluer, qui tient à la qualité de NEET – ni en emploi, ni en formation, ni en stage. Vous conviendrez, madame la ministre, qu'un jeune n'a pas abouti dans son projet professionnel s'il vit de « petits boulots ». Il doit donc pouvoir intégrer la garantie jeunes. Pouvez-vous, madame la ministre, nous dire si vous prévoyez une évolution sur ce point ?

J'appelle par ailleurs votre attention sur les missions locales. Les laisser disposer d'une enveloppe financière souple d'utilisation serait bienvenu pour leur permettre de répondre aux besoins immédiats et urgents. Le dispositif du fonds d'aide aux jeunes (FAJ) ne correspond pas aujourd'hui à la réalité de terrain. Enfin, l'idée de mettre en place un « sas » avant l'entrée en garantie jeunes, pour diverses raisons valables, me semblerait aussi une bonne approche ; je me tiens, madame la ministre, à votre disposition pour échanger à ce sujet.

En ce qui concerne les pactes régionaux d'investissement, qui ont fait l'objet d'avenants dans le cadre du plan de relance, l'année 2020 a permis de constater que l'essentiel des engagements régionaux ont été tenus. Ce nouvel outil de politique contractuelle porte la double ambition d'accroître les volumes de formation proposés aux jeunes et aux demandeurs d'emploi et de transformer durablement l'offre de formation en proposant des parcours « sans couture » de qualité susceptibles d'améliorer le taux d'insertion ou de retour à l'emploi. Grâce aux pactes régionaux, les parcours de consolidation des compétences clés ont été amplifiés, pour permettre aux publics peu ou pas qualifiés de pouvoir ensuite s'engager dans un parcours qualifiant conduisant à l'emploi.

Il faudra également, madame la ministre, se pencher sur le plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour les entreprises adaptées, qui ne démarre pas bien car il est trop complexe. Il conviendrait de réfléchir à un changement d'opérateur ou de gouvernance. Je pourrai vous faire des propositions à ce sujet.

Autre dispositif du PIC, la prépa apprentissage, objet de deux appels à projet successifs, a bénéficié, au 31 décembre 2020, à 21 241 jeunes répartis entre environ 1 000 sites d'accueil. Ce sont 64 % des bénéficiaires ayant suivi la totalité du parcours qui sont en « sortie positive ». Sans doute ce beau succès pourrait-il utilement gagner en notoriété grâce à une communication plus affirmée. Peut-être ce dispositif pourrait-il être ouvert aux jeunes dès l'âge de 15 ans ; on peut être en troisième et décrocher, et il faut attendre l'âge de 16 ans. Je suis convaincue par ce dispositif qu'il faut pérenniser et déployer plus largement : ce début de semaine je suis allée au CFA de la CMA du Tarn, pour rencontrer les jeunes engagés dans le parcours de la prépa apprentissage spéciale sport, et le résultat est vraiment significatif ; de même pour la prépa inclusive avec les personnes en situation d'handicap. On ne peut que se réjouir de l'existence de dispositifs pareils !

Avant de terminer, je souhaiterais, madame la ministre, dire un mot de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), objet, à la demande de notre commission des finances, d'une enquête de la Cour des comptes. J'appelle particulièrement votre attention sur les relations financières déséquilibrées de l'EPIDE avec la Caisse des dépôts et consignations. Compte tenu des difficultés de l'établissement à se faire entendre par la Caisse, une intervention à haut niveau semble nécessaire. Êtes-vous donc disposée, madame la ministre, à intervenir vous-même auprès du directeur général de la Caisse en vue de la renégociation du protocole relatif à l'immobilier de l'EPIDE ?

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