Qu'attendent de la réforme en cours, dite révision 2020, les mutuelles ?
Vous avez reçu, mesdames et messieurs les commissaires aux finances, le 19 mai dernier, M. Jean-Paul Faugère, vice-président de l'ACPR, et, le 9 juin, Mme Florence Lustman, secrétaire générale de la FFA. Ils ont, devant vous, établi deux constats. Le premier était celui de la résilience des assureurs face au risque, notamment du fait des montants élevés de capitaux que les assureurs doivent bloquer, en application des exigences quantitatives, dites prudentielles, de la réglementation Solvabilité II. La résilience résulte cependant également, bien sûr, de la qualité de l'industrie de l'assurance, fondée sur l'analyse et la connaissance des risques, sur leur gestion, avec l'aide des techniques statistiques et financières et en s'appuyant sur la force de la mutualisation et de la diversification des risques, qui sont au cœur de l'assurance et qui sont source d'efficience pour les individus et la société. Le deuxième constat était celui du besoin d'une révision « chirurgicale » de la directive Solvabilité II, c'est-à-dire très technique, afin de mieux coller à l'horizon de long terme du modèle d'affaires des assureurs.
Je dois vous dire que les mutuelles d'assurance partagent très largement ces deux constats. La très longue histoire des mutuelles, dont certaines remontent au début du XIXe siècle, a effectivement démontré leur grande résilience, fondée sur un modèle pertinent dont l'économie a permis d'accumuler des réserves pour accompagner leur développement en taille et en offre de garantie, et ce, face à toutes les crises. Les assureurs mutualistes sont en outre extrêmement concernés, en effet, par le besoin exprimé de coller à l'horizon de long terme du modèle d'affaires de l'assurance. La très longue histoire des mutuelles d'assurance témoigne précisément de leur ancrage dans le long terme ; elles visent à accompagner leurs sociétaires le plus longtemps possible en proposant le meilleur service au meilleur coût. Le modèle mutualiste, fondé sur l'indépendance financière et l'absence d'actionnaires, leur permet de s'extraire effectivement de la pression du court terme et leur donne la liberté d'action nécessaire pour élaborer des stratégies de long terme, que ce soit pour l'accroissement du nombre de leurs assurés, pour augmenter le niveau des couvertures, pour élargir leur offre de produits, notamment en innovant, ou, bien sûr, accompagner les stratégies de placement des actifs de leur bilan.
Cette vision du long terme est fondée sur une continuité d'activité qui – il est important de le noter – découle non pas directement de la durée légale des contrats d'assurance mais bien plutôt des caractéristiques globales du modèle d'affaires. En effet, les contrats d'assurance ont une durée légale spécifique qui peut être variable, sans pour autant caractériser à elle seule l'horizon du modèle d'affaires. Pour les garanties en cas de vie, la durée des contrats peut être viagère, alors que, de l'autre côté du spectre, pour les garanties de dommages, les contrats ont des durées annuelles avec une possibilité de tacite reconduction. Ces contrats de dommages peuvent même, depuis la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, être résiliés à tout moment. Cependant, entre les reconductions et les affaires nouvelles nettes des résiliations, les modèles d'affaires sont globalement extrêmement stables ; c'est ce que l'on appelle la continuité d'activité. Ainsi, la démarche de long terme des assureurs mutualistes est ancrée sur ses passifs stables et, de ce fait, structurellement longs car renouvelés.
Par ailleurs, la gouvernance des mutuelles d'assurances leur permet d'être souvent mieux capitalisées et ainsi également davantage orientées vers le long terme et plus résilientes face aux crises financières. En effet, le montant élevé de leurs réserves en fonds propres représente des proportions très importantes de leur passif, en moyenne, pour les sociétés non-vie, équivalentes au montant de leurs engagements envers leurs assurés, ce qui leur confère des sources de financement de durées extrêmement longues. Grâce à cet ancrage dans le long terme, les mutuelles d'assurances sont susceptibles d'avoir une exposition plus orientée vers des actifs risqués, les actions en particulier.
Quelles doivent donc être les caractéristiques de cette révision technique et ciblée de la directive Solvabilité II que nous appelons de nos vœux ? C'est tout d'abord le souci de l'équilibre, c'est-à-dire le souci de ne surtout pas davantage augmenter les exigences prudentielles, déjà très forte et onéreuses. À cet égard, trop de sécurité peut tuer la sécurité. De trop grandes exigences constituent des freins, des limites qui se traduisent par des pertes de rentabilité et des pertes d'opportunités et affectent le modèle d'affaires. Les coûts supplémentaires et la moindre performance sont en fait transférés aux assurés, ce qui se révèle en réalité contre-productif. Ainsi, au nom de la trop grande protection, on peut finir par tuer la protection, en ce sens que le coût de la protection et des garanties devient prohibitif. Il ne s'agit pas de remettre totalement en cause la directive Solvabilité II, loin de là. Nous en reconnaissons les mérites, à commencer par celui d'une approche économique transparente, constamment actualisée avec les données techniques et financières les plus récentes et fondée sur les risques.
Nous approuvons également le souci de protection, au demeurant en pleine cohérence avec notre nature et nos engagements mutualistes – les enjeux de société et de durabilité sont au cœur de nos décisions et de nos modèles d'affaires.
Nous approuvons enfin, bien sûr, le besoin de contrôle mais celui-ci doit être exercé de manière proportionnée et pertinente, avec le souci de l'efficience et d'une certaine économie de moyens, y compris opérationnels.
Il faut aussi que cette révision vise juste, avec des valorisations économiques et des besoins en capital fondés sur des mesures qui reflètent correctement le profil de risque réel des modèles d'affaires de long terme. Il est, à cet égard, primordial de tenir compte de toutes les caractéristiques de ces modèles d'affaires, notamment la continuité d'activité et les actions de gestion qui sont à la main des assureurs et leur procurent cette si grande résilience. Ceci est fondamental pour définir avec justesse le besoin en fonds propres dont il suffit de disposer pour faire face aux crises les plus sévères, jusqu'à la pire d'entre elles, qui pourrait se réaliser une fois tous les deux cents ans, puisque c'est là le niveau de l'exigence globale de Solvabilité II. Pour cela, il faut bien distinguer les pertes possibles et les mouvements bruts, temporaires, des paramètres constitutifs des risques, comme la volatilité des valeurs de marché, par exemple. En effet, ce qui caractérise entre autres la gestion de long terme, c'est la capacité à résister aux variations temporaires, même de très grande ampleur, autrement dit à gérer à travers les cycles et même à investir et à désinvestir de manière contra-cyclique.
J'appelle votre attention sur ce comportement contra-cyclique vertueux des assureurs, qui facilite le fonctionnement des marchés financiers en leur fournissant liquidité et stabilité et en soutenant l'économie à long terme.
Dans le cadre de la révision de la directive, l'AAM retient quatre grands sujets d'attention, s'il s'agit de permettre aux mutuelles d'assurance de continuer à mener une politique d'investissement structurellement tournée vers le long terme.
Le premier est l'actualisation des engagements, qui contribue à construire un élément fondamental dans le bilan des assureurs, c'est-à-dire toute la valorisation au passif de ces provisions que l'on doit détenir pour honorer les engagements. Il convient de calibrer avec pertinence la courbe des taux qui est ensuite utilisée pour actualiser ces engagements. C'est un sujet technique important.
Un autre sujet est le juste calibrage du risque de taux lui-même, c'est-à-dire sa capacité, éventuellement, à baisser dans des situations extrêmes.
Un troisième sujet est le besoin de pouvoir investir à long terme dans les actions et dans les actifs risqués, ce qui implique un calibrage pertinent de ce risque dans la gestion des portefeuilles dans le cadre de stratégies de long terme.
Enfin, il nous semble que la marge de risque peut témoigner d'une prudence excessive. Il y a là un paramètre susceptible de permettre d'équilibrer la révision de la directive.