Intervention de François Bonnin

Réunion du mercredi 30 juin 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Bonnin, directeur général délégué finance et risque d'Aéma Groupe :

J'apporte le témoignage d'un groupe mutualiste de constitution récente, issu du rapprochement de MACIF, groupe d'assurance mutuelle dommage – essentiellement automobile et habitation – et AÉSIO, mutuelle santé et prévoyance. Ce groupe finalise actuellement l'acquisition d'Aviva France, qui constituera le métier assurance-vie et épargne d'un groupe qui n'opère que sur le territoire français et protège une dizaine de millions de personnes.

La directive Solvabilité II est entrée en vigueur en 2016, il y a cinq ans. Ce recul est suffisamment long pour que l'on en tire les leçons, c'est trop court pour procéder à une refondation. Le régime prudentiel nécessite d'ailleurs plutôt des ajustements chirurgicaux.

L'un des éléments positifs de Solvabilité II est effectivement l'approche par le risque. Cela conduit les assureurs à améliorer le pilotage de leur activité. Une limite tient en revanche à la complexité de toute une série de mesures quantitatives des risques, en particulier des risques financiers, sous l'influence d'une réglementation bancaire centrée sur des activités de marché et une approche assez court-termiste. En résulte une complexité inutile, une lourdeur contre-productive. Cela procède sans doute d'une vision trop simpliste du modèle d'affaires des activités d'assurance. La révision de la directive Solvabilité II devrait viser à réduire ces inconvénients.

Par ailleurs, le fait que l'assurance est une activité de long terme n'est pas assez reconnu, ce qui nuit à la capacité des assureurs à contribuer au financement de l'économie à long terme. Ainsi, l'investissement dans les entreprises – pas seulement les actions mais aussi les fonds propres des entreprises – et le financement de l'économie réelle ont été plus faibles qu'ils n'auraient été si le risque financier avait été pondéré et calibré en se fondant non pas sur des approches de court terme de variations des prix de marché mais sur des approches de moyen ou long terme de variation de valeur des actifs. Ainsi, à la fin de l'année 2018 et à la fin de l'année 2019, un certain nombre d'acteurs ont dû revoir à la baisse leur allocation stratégique en matière d'investissement dans l'économie réelle, à cause de la baisse des taux. Un jeu de vases communicants fait que, dans le contexte actuel, les assureurs sont vraiment limités par le régime Solvabilité II.

Nous pensons effectivement que la révision de la directive devrait être plutôt chirurgicale et remédier aux problèmes que je viens de signaler – notamment en arrêtant de pénaliser l'investissement de long terme dans le financement de l'économie.

Lorsque nous parlons de la reconnaissance du modèle d'affaires, la question peut sembler d'ordre plus politique mais les conséquences sont très concrètes pour le secteur de l'assurance en France et pour les mutuelles françaises. Il s'agit de déterminer comment les superviseurs nationaux pourraient mieux prendre en compte les spécificités de modèles d'affaires nationaux dans le cadre d'une réglementation européenne évidemment unique. Le marché de l'assurance, les produits d'assurance et les modèles d'affaires assurantiels n'ont effectivement pas encore convergé au niveau européen. Une supervision prudentielle efficace suppose que le superviseur puisse non pas dire le droit mais l'interpréter de manière adaptée sur son marché.

Aéma Groupe partage les préoccupations exprimées quant au besoin en capital au titre du risque de taux et quant à la mesure des engagements longs. La neutralité en termes de besoins en capital de la réforme devrait être envisagée pays par pays, non pas seulement à l'échelle de l'Europe. Il s'agit d'éviter que cette réforme ne conduise à avantager certains pays au détriment d'autres. C'est une préoccupation légitime. En outre, il convient que le besoin en capital au titre du risque de taux soit bien intégré dans la mesure de neutralité globale. Actuellement, cette exigence ne semble pas une évidence pour l'EIOPA.

Autre point, un peu technique, l'ajustement pour volatilité consiste à compenser partiellement dans les mesures d'actualisation les phases dans lesquelles les marchés et les prix de marché baissent de manière un peu brutale, ce qui, en ce qui concerne les obligations privées, signifie une hausse des spreads de crédit. Aujourd'hui, la mesure prévue par la directive, quoiqu'inévitablement un peu complexe, est assez efficace et évite de conduire aux assureurs de vendre des actifs au moment où les marchés baissent, ce qui alimente encore à la baisse et peut faire peser des risques systémiques sur la stabilité financière.

Or la proposition qui est actuellement faite par l'EIOPA à ce propos tendrait à accroître considérablement la complexité, la lourdeur, donc les coûts, au détriment de l'intérêt des consommateurs, avec une contra-cyclicité moindre. Du point de vue d'Aéma Groupe, elle est donc doublement contre-productive.

Dernier point, la finalité de Solvabilité II doit être la prudence, en ce qui concerne les intérêts des assurés, et la pérennité financière des acteurs. De plus en plus nombreuses sont les études qui suggèrent que les entreprises mieux gouvernées, avec une ambition et une responsabilité sociale plus fortes, y compris en matière de transition énergétique, semblent plus résilientes et plus résistantes aux crises.

Certes, ce n'est pas l'objet du chantier réglementaire en cours, mais, si cela se confirmait, il serait logique que les exigences en termes de capital fixées par Solvabilité II en tiennent compte. Il s'agit là d'une question de vision par les risques plus que de nature juridique des véhicules.

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