Intervention de Jean-Philippe Diguet

Réunion du mercredi 30 juin 2021 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Philippe Diguet, directeur de l'assurance de la Fédération nationale de la mutualité française :

Nos mutuelles représentent 65 milliards d'euros de placements, qui sont pour l'essentiel représentatifs des engagements envers nos assurés – dans notre jargon, des provisions. Ces sommes sont investies principalement en obligations, aussi bien étatiques que d'entreprises, mais aussi, pour moins de 10 %, en placements monétaires, pour 10 %, en immobilier et, pour environ 12 %, en actions. Nos placements sont essentiellement faits auprès d'acteurs européens, et, effectivement, il peut s'agir d'actions ou d'obligations d'AXA.

Nos mutuelles se sont engagées depuis plusieurs années dans une politique ESG visant à exclure certains secteurs, notamment ceux du tabac, de l'armement et du charbon thermique. La plupart des mutuelles ont entrepris une sélection des entreprises les plus performantes sur les critères ESG, notamment en matière d'impact climatique mais aussi de gouvernance. De nombreuses mutuelles ont également une approche thématique, visant à sélectionner les entreprises ayant un fort impact en termes sociaux, d'emplois ou climatique dans un secteur donné. Beaucoup intègrent dans leur politique de placement l'engagement actionnarial, c'est-à-dire le dialogue avec les entreprises concernant le suivi, le respect et la prise en compte de ces critères ESG. Un certain nombre de nos organismes ont adopté les principes pour l'investissement responsable des Nations unies. Ils multiplient également les investissements à impact, mais n'oublions pas que c'était déjà le cas, avec les organismes non assurantiels de la mutualité, qui gèrent plus de 2 800 établissements de soin répartis sur toute la France et sont étroitement liés à nos organismes assurantiels.

Se désengager en actions peut en effet réduire le coût en capital. La directive Solvabilité II prend en compte toutes les typologies de risques, ce qui est un avantage car le régime prudentiel qui précédait ne retenait que le risque assurantiel. Le régime fixé par la directive Solvabilité II ajoute le besoin en capital lié au risque de marché, qui se subdivise en un besoin en capital lié au risque obligataire, un autre lié au risque actions et un autre encore lié au risque immobilier. Les actions étaient jusqu'à présent « choquées » à 40 %, ce qui veut dire que, pour détenir une action valant 100, il fallait mobiliser 40 de capital. Les acteurs considéraient que les actions étaient pénalisées car l'exigence de capital était trop importante. Même avec une faible exposition en actions, de l'ordre de 10 à 15 %, cela nous coûte la moitié du besoin en capital lié à notre risque de marché. Voilà pourquoi, si l'on désinvestit en actions au profit d'investissements moins coûteux en capital, par exemple du monétaire, l'exigence de capital se réduit.

J'en viens aux questions plus techniques relatives à la révision de la directive. Nous accueillons évidemment très favorablement le relèvement du seuil d'application, car un grand nombre de nos membres sont des organismes qui sont de taille moyenne ou de taille intermédiaire. Nous avons une petite quarantaine de mutuelles dont le niveau de primes est compris entre 5 et 25 millions d'euros et qui sont donc assujetties à la directive Solvabilité II. Nous demandions pour notre part le plus fort relèvement. Si l'EIOPA a décidé de retenir ce seuil de 25 millions d'euros, cela s'explique, tout d'abord, par le fait que le seuil de 5 millions d'euros fixé il y a six ans, n'exonère aujourd'hui plus personne – les mutuelles sont des organismes vivants, dont le niveau de primes peut augmenter d'année en année de 1 à 2 %. Une mutuelle dont le niveau de primes était fixé à 4,9 millions d'euros se retrouve assujettie l'année suivante à Solvabilité II. Ensuite, l'EIOPA tenait à contenir la part des acteurs du marché auxquels le régime ne s'applique pas. Or un seuil supérieur à 25 millions d'euros aurait conduit, dans certains pays, à affranchir une proportion plus significative des acteurs. Telle est en tout cas notre analyse, et nous accueillons favorablement ce volet des propositions de l'EIOPA.

Nous attendions en revanche bien plus de simplifications des obligations de reporting, très lourdes pour les petits organismes. Nous demandions par exemple l'annulation des reportings redondants, tel le reporting du quatrième trimestre, qui ne précède que d'un mois le reporting annuel.

Au cœur de la révision de Solvabilité II, il y a la volonté de l'EIOPA de modifier tous les paramètres relatifs à l'univers des taux. L'EIOPA veut adapter cet univers prudentiel à un nouveau contexte, en prenant en compte les taux négatifs et les taux bas. La dernière proposition de l'EIOPA prévoit ainsi un aplatissement de, la courbe des taux. Or tout aplatissement se transforme pour les assureurs par une augmentation des engagements vis-à-vis des assurés, ce qui passe forcément par une diminution des fonds propres qui peuvent être éligibles aux exigences de capital.

L'EIOPA souhaite augmenter les chocs de taux, c'est-à-dire les exigences de capital par rapport aux taux, mais notre position historique est que le régime Solvabilité II n'est pas adapté aux branches longues et qu'il est suffisamment prudent. Nous avons ainsi indiqué à l'EIOPA et à la direction générale du trésor que cette révision ne pouvait entraîner une augmentation globale de coût en capital. Or, pour nos organismes, à ce stade, les mesures envisagées se traduiront par une diminution de la couverture de capital de l'ordre de 30 à 40 points, soit une augmentation de l'ordre de 25 % du capital exigé. Pour nos membres concernés, cela correspond à peu près à 5 milliards d'euros de fonds propres, soit un milliard d'euros de capital supplémentaire ; c'est assez pénalisant. Nous avons donc demandé que toutes les mesures compensatrices puissent être prises, notamment une baisse des exigences de capitaux liées à l'exposition en actions, et de pouvoir bénéficier d'un traitement préférentiel, non plus à 40 % mais à 22 %.

Ce dispositif existait déjà, mais c'est une telle usine à gaz que nos organismes ne peuvent pour le moment pas en bénéficier. Nous demandons donc une simplification de ce dispositif, pour que tous les acteurs de branche longue puissent en bénéficier dans la mesure où ils ne sont pas contraints par des impératifs de court terme. Ce que nous demandons également, c'est que ne soient pas simplement retenues pour ce choc à 22 % les actions représentatives des engagements des assurés mais également les actions représentatives des fonds propres des organismes assurantiels. Cette absence de distinction entre les différentes catégories d'actions devrait nous permettre d'augmenter la part de nos placements en actions et de garantir un meilleur retour à nos assurés dans un contexte de taux bas, les actions procurant des plus-values et, surtout, des dividendes.

Deuxième point, la marge pour risque est un paramètre fixé à 6 % qui augmente les provisions comptables dans l'univers Solvabilité II. Si nous comprenons que l'EIOPA souhaite adapter ce régime prudentiel à ce nouveau contexte de taux, alors il faut absolument baisser cette marge pour risque qui ne reflète plus la réalité des taux. Selon les études réalisées et communiquées au régulateur, ce chiffre devrait être de 3 %. C'est un levier fort pour réduire l'augmentation de capital sur les taux. L'impact serait une diminution de 15 à 20 % de la couverture de marge, ce qui permettrait de limiter l'augmentation de capitaux.

Plus accessoirement, mais dans une optique de plus long terme, du financement de l'économie, du grand âge, nous avons demandé une baisse du choc immobilier. Il est aujourd'hui fixé à 25 %, largement sur le fondement de données issues du marché britannique. C'est trop élevé par rapport à la réalité actuelle du marché immobilier européen. Nous avons donc demandé une baisse autour de 13 % ; même si c'est plus anecdotique pour le moment, à terme, cette baisse est nécessaire.

Dernier point, nous sommes farouchement opposés à un audit obligatoire. Pour nos organismes, comme pour tous les organismes assurantiels, un audit est déjà obligatoire sur la partie comptable. Pour les besoins prudentiels de Solvabilité II, nous devons déjà élaborer un bilan en valeur de marché aux normes du régime Solvabilité II. Ce bilan est réalisé à partir des éléments comptables, qui font déjà l'objet d'un audit par les commissaires aux comptes. Ils sont revus par un dispositif de contrôle interne, notamment par un dispositif de fonctions clés imposé par la directive, sans compter la supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Les éléments de contrôle sont suffisants pour permettre au superviseur d'avoir un avis sur la pertinence de nos états financiers au regard du régime prudentiel, d'autant que nos organismes utilisent pour la plupart la formule standard, qu'il est facile de soumettre à un audit. Aucun de nos organismes n'utilise de modèle interne.

Effectivement, un audit Solvabilité II représenterait un coût pour nous : peut-être une charge de 15 000 à 150 000 euros par membre, voire beaucoup plus pour les plus grandes entités. Cet impact de plusieurs millions d'euros ne se justifie pas.

Une réforme des retraites aura-t-elle des conséquences pour nos opérateurs ? Tout report de l'âge du départ en retraite entraînera des conséquences en matière d'engagements envers nos assurés, mais cela ne remet pas en cause la nécessité pour nos organismes de répondre à un besoin de retraite complémentaire des Français. Ce besoin demeurera, d'autant que nos acteurs spécialisés dans l'assurance retraite complémentaire peuvent verser de l'ordre de 100 à 200 euros de retraite complémentaire par mois – nous ne nous adressons pas à des grandes fortunes. Une réforme aura des conséquences techniques mais cela ne devrait pas remettre en cause l'intérêt de nos membres à proposer les solutions qu'ils proposent actuellement.

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