Intervention de Gérard Bekerman

Réunion du mercredi 7 juillet 2021 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérard Bekerman, président de l'Association française d'épargne et de retraite :

Je tiens tout d'abord, monsieur le président, mesdames et messieurs les commissaires aux finances, à vous remercier vivement. C'est une bonne idée que d'inviter les assureurs, c'est une bonne idée que d'inviter le régulateur et, surtout, le superviseur en la personne du préfet Faugère, mais je pense que c'est encore une meilleure idée que d'inviter l'AFER. Je pense effectivement, entouré de mes deux collaborateurs polytechniciens très techniciens, pouvoir exprimer très simplement la voix des assurés, au nombre de 30 millions, pour ne parler que de la France.

Quel est le problème ? L'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (European insurance and occupational pensions authority ou EIOPA), que personne n'avait pourtant mandaté, s'est arrogé les pleins pouvoirs en matière de régulation, alors même qu'il était non pas régulateur mais seulement superviseur. Je m'attriste d'ailleurs de constater que le Trésor français a ainsi passé le crayon à un régulateur européen qui régule un peu trop à notre goût – un peu trop parce qu'il n'y a eu aucune faillite de compagnie d'assurances depuis la guerre et que les conséquences pour les épargnants intéressés par cette forme d'épargne populaire qu'est l'assurance vie, véritable trésor national, sont désastreuses, avec des taux qui suffisent de moins en moins à offrir un pouvoir d'achat digne de l'assurance vie.

Pour simplifier, je commence par la conclusion : j'aimerais avoir les moyens de vous prouver, mesdames et messieurs les commissaires aux finances, qu'il faudrait dire non à une révision fondée sur l'hypothèse d'un choc de taux d'intérêt négatif et oui à une révision généralisant, pour le risque lié à la détention d'actions, l'exigence de capital de 22 %. Ce serait dans l'intérêt de l'exécutif, du bilan des assureurs, de l'Assemblée nationale et des 30 millions de Français qui vous le demandent.

La France ne peut, selon nous, être favorable à une révision à laquelle les assurés français s'opposent, car ils constatent que le coût en capital de la moindre prise de risque est déjà exorbitant pour les assureurs. En outre, la question des taux négatifs n'a d'existence que dans l'esprit du régulateur ; elle n'existe pas dans la réalité des faits. Voyez aux États-Unis : les taux à long terme ont commencé à remonter. Une régulation ne saurait être fondée sur des risques de très court terme, comme les taux négatifs. Une régulation saurait d'autant moins être fondée sur des considérations de prix à court terme que les engagements des compagnies d'assurance sont gonflés de passif à long terme.

La régulation part du constat que les taux sont bas, voire négatifs, mais cela ne va pas durer indéfiniment. Les taux peuvent parfaitement remonter. Cette évolution du contexte conjoncturel de court terme justifiera-t-elle une nouvelle révision de la directive ? Ce qui doit fonder la régulation, c'est au contraire la permanence ; elle ne saurait être guidée par un pilotage à vue. Les compagnies d'assurances gèrent ce que nous appelons des provisions mathématiques dont la duration moyenne est supérieure à huit ans. En ce qui concerne l'AFER, cette duration est même supérieure à douze années. Nous avons donc le temps de voir ; de grâce, ne fondons pas tout un système de régulation sur la base d'hypothèses aléatoires à très court terme.

Ce serait d'ailleurs une hérésie que de considérer que les taux pussent s'enfoncer encore plus bas que - 0,5 % en territoire négatif. Jamais la Banque centrale européenne n'accepterait qu'ils descendissent au taux de - 1,5 % envisagé par le régulateur des assurances : à un tel taux, le système bancaire ne peut plus fonctionner.

Il faut bien entendu de considérer les aléas. Le système d'assurance en France est beaucoup plus respectueux d'un modèle standard que d'un modèle interne, à la différence des grandes compagnies d'assurances étrangères, surtout outre-Rhin, qui savent gérer les contraintes de solvabilité. Lorsque j'avais rencontré au siège de l'AFER, le président de la première compagnie d'assurances au monde, AIG, il m'avait expliqué qu'en raison de la spécificité de leur modèle, les assureurs, en Allemagne, échappent – j'insiste sur le verbe – à la supervision. Nous pourrions peut-être proposer la même chose aux assureurs français, s'il le fallait pour échapper à cette régulation excessive de l'EIOPA, qui m'évoque Juvénal : il faut contrôler le contrôleur.

Assurer, c'est transformer quelque chose d'incertain en quelque chose de certain. Les assureurs savent gérer les risques, ils n'ont pas besoin d'un coût exorbitant du capital. C'est pourquoi nous serions d'avis qu'il ne faut pas prendre en compte le risque de taux négatifs et que le risque lié aux actions pourrait être parfaitement résorbé par la généralisation d'une quotité de 22 %, comme pour les actions stratégiques. Nos entreprises ont besoin de notre argent, elles ont besoin de capital, d'une épargne stable, non d'une épargne contrôlée et régulée. Nous ne sommes pas à Moscou et il n'est nul besoin d'une épargne forcée dans les bilans des compagnies d'assurances ! Les assureurs sont des gens avisés. Pénaliser le modèle de l'assurance en France, ce serait culpabiliser un innocent.

Pour ma part, je préférerais que l'on innocente un coupable, mais, s'il en faut un, c'est l'EIOPA. Nous n'avons pas besoin de subir la massue d'un contrôle excessif, qui pénalise les actions et entrave les efforts fournis par la France pour réduire l'endettement et développer le capital, dans l'intérêt de l'industrie, des jeunes et de l'emploi. Les assureurs sont parfaitement capables de détenir des actions à long terme.

Consultant récemment le responsable des statistiques à la Banque de France, j'ai découvert ceci, dont j'ai eu la confirmation par le Trésor : les compagnies d'assurances sont très liquides, et elles savent comment gérer le risque de liquidité. Aussi sauront-elles, à supposer qu'il perdure, gérer le problème des taux négatifs.

Nous considérons donc que l'EIOPA est en quelque sorte un médecin… contagieux. Or il s'agirait plutôt de soigner, et non de contaminer. Nous avons besoin de simplicité dans les règles, et nous devons dire non à cette première révision, qui concerne d'ailleurs essentiellement les structures établies outre-Rhin, et, si possible, nous acheminer vers la généralisation d'un coût en capital des actions limité à une quotité de 22 %, laquelle se justifie d'autant plus que nos engagements sont des engagements à long terme. C'est ainsi que nous pourrons aller de l'avant et mieux financer le tissu industriel de nos régions.

Nous sommes à votre disposition, après ces considérations générales, pour répondre à des questions plus techniques.

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