Je vous remercie de m'avoir invité pour que je vous présente les principales conclusions de l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2022. Cette année sera celle, nous l'espérons tous, de la sortie de crise ; elle sera sans doute également la dernière année au cours de laquelle la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance sera en vigueur en raison des circonstances exceptionnelles.
Après le rebond de l'activité en 2021, l'année 2022 devrait marquer, en particulier sur le plan sanitaire, un retour à la normale, tant dans la marche du pays que dans la vie quotidienne de chacun ; nous pouvons tous nous en réjouir. En matière de finances publiques, il n'en ira pas de même. Rien, en effet, ne sera plus comme avant. Les finances publiques ont absorbé le choc de la crise ; le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 dessinent une situation relativement stabilisée à la sortie du « quoi qu'il en coûte ». Selon le scénario du Gouvernement, la dette atteindra un niveau record, en s'établissant à environ 114 points de PIB en 2022. Le poids de la dépense publique sera plus élevé qu'il ne l'a jamais été, à l'exception des deux années que nous venons de traverser. La particularité du contexte invite l'ensemble des institutions et organismes qui traitent de prévision économique à faire preuve d'humilité. Cette remarque vaut, bien entendu, pour le Haut Conseil, que je préside. La prévision est un exercice difficile ; elle le restera dans les prochains mois, voire les prochaines années.
Surtout, le contexte nous invite à l'action. Le cadre des finances publiques – ce n'est pas une autre histoire, cher président – doit évoluer à la sortie de cette crise majeure, comme ce fut le cas lors de la crise de la zone euro. Ainsi, le Sénat examinera prochainement en séance publique la proposition de loi organique relative à la gouvernance et la modernisation des finances publiques que vous avez défendue avec le rapporteur général. Par ailleurs, des réflexions sont engagées au niveau européen pour aménager le pacte de stabilité. Nos finances publiques ont traversé une crise inédite ; il nous faut en tirer, avec sérieux et sens des responsabilités, toutes les conséquences.
C'est dans ce contexte que le Haut Conseil a été saisi du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Rappelons brièvement la situation économique internationale. Dans la continuité du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2021, le projet de loi de finances pour 2022 repose sur l'hypothèse de la poursuite d'une reprise économique mondiale vigoureuse, bien que moins forte qu'en 2021 – mais elle partait alors d'une base exceptionnellement dégradée. Cette reprise, d'ailleurs, reste conditionnée à l'évolution de la situation sanitaire. Mais, selon les prévisions disponibles, le PIB mondial devrait rebondir d'environ 6 % en 2021 puis de 4 % en 2022. En effet, la croissance économique mondiale fut très forte au premier semestre 2021. Selon la plupart des prévisionnistes, elle devrait l'être un peu moins au second semestre avant de continuer à décélérer, à un rythme convenable, en 2022.
La reprise est différenciée selon les pays, à l'instar de la chute de l'activité qui a varié selon l'intensité de l'épidémie, la composition sectorielle des économies et les mesures de santé publique. Ainsi, le PIB s'est contracté, sous l'effet de la crise sanitaire, d'environ 3 % aux États-Unis, de 7 % en zone euro et de 10 % au Royaume-Uni. Le rebond est également hétérogène : la croissance revient plus rapidement à son niveau d'avant la crise aux États-Unis qu'en zone euro.
La reprise est donc plus forte que prévu en 2021, mais un tassement est déjà perceptible au second semestre : l'activité ralentit en Chine et au Japon, notamment du fait des mesures de restriction prises pour lutter contre le variant delta et des difficultés d'approvisionnement. Cependant, elle n'est pas exempte de tensions concernant certains biens intermédiaires, en particulier les composants électroniques, ce qui pénalise la production automobile. Elle est également marquée par des difficultés de recrutement susceptibles de la freiner : la situation, différente selon les pays, peut être très tendue par endroits.
En définitive, l'activité dans la zone euro dépasserait son niveau de 2019 en 2022, mais le PIB demeurerait inférieur à ce qui était prévu avant la crise sanitaire. Nous retrouvons le niveau mais pas encore la trajectoire. Dans ce contexte, le retour de l'inflation est jugé temporaire par la majorité des institutions de prévision. En août, elle était supérieure à 5 % aux États-Unis et à 3 % dans la zone euro. Ce retour de l'inflation résulte de la reprise de l'activité, de la répercussion par les entreprises du coût des mesures sanitaires sur leurs prix mais aussi d'un effet de diffusion de la hausse des prix des matières premières et des biens intermédiaires.
Le principal facteur d'incertitude sur la croissance de l'activité reste l'aléa sanitaire, du fait du risque d'une résurgence de la pandémie ou d'une perte d'efficacité des vaccins face à de nouveaux variants ou au fil du temps. Des aléas positifs existent également, liés notamment au déblocage partiel de la surépargne accumulée pendant la crise ou aux plans de relance supplémentaires envisagés aux États-Unis et au Japon.
L'avis du Haut Conseil sur les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 comporte trois grands messages.
Tout d'abord, concernant le scénario macroéconomique du Gouvernement, le Haut Conseil considère que le taux de croissance du PIB envisagé pour 2021 est prudent, c'est-à-dire peut-être un peu conservateur. Quant à celui qui a été retenu pour 2022, il paraît plausible. En revanche, pour ces deux années, les prévisions en matière d'emploi et de masse salariale sont trop basses, ce qui emporte des conséquences pour les finances publiques.
S'agissant, ensuite, des prévisions de finances publiques, le Haut Conseil estime que le déficit prévu pour 2021 pourrait être moins dégradé qu'annoncé. Pour 2022, il a été saisi sur une base incomplète s'agissant des dépenses, puisque celles-ci ne comprennent pas certaines mesures importantes que le Gouvernement souhaite voir adoptées par amendement. Faute d'information sur leur chiffrage, le Haut Conseil ne peut, à ce stade, se prononcer sur le caractère plausible du solde public prévu pour 2022.
Enfin, la sortie de crise, meilleure que prévu, et le caractère particulier de l'année 2022 ne doivent pas masquer le fait que nos finances publiques sortent de la crise marquées par un niveau d'endettement inédit depuis la fin de la seconde guerre mondiale ainsi que par des dynamiques différentes en recettes et en dépenses qui invitent à la plus grande vigilance. La soutenabilité des finances publiques doit donc être activement défendue, y compris par une rénovation, une modernisation de leur système de gouvernance.
Permettez-moi d'entrer dans le détail de ces trois messages.
Le scénario macroéconomique sous-jacent du Gouvernement est soumis à l'appréciation du Haut Conseil en vertu de l'article 14 de la loi organique de 2012. Selon ce scénario, la croissance du PIB s'établirait à 6 % en 2021 et à 4 % en 2022. Cette prévision repose sur l'hypothèse d'une poursuite de l'amélioration de la situation sanitaire en France et dans la zone euro, qui reste néanmoins marquée par un certain degré d'incertitude. L'ensemble des instituts de prévision retient la même hypothèse, et le Haut Conseil y souscrit.
Pour 2021, cette hypothèse traduit une révision à la hausse des prévisions du Gouvernement par rapport au projet de loi de finances rectificative de juin dernier : le Gouvernement attendait alors 5 % de croissance, au lieu de 6 % aujourd'hui. Cette révision est fondée : elle s'inscrit dans le contexte d'indicateurs conjoncturels meilleurs qu'attendu enregistrés au cours de l'été. Bien que proche des autres prévisions, celle d'une croissance de l'activité de 6 % peut être considérée comme prudente – c'est le qualificatif retenu par le Haut Conseil pour 2021, au sens de légèrement conservatrice –, comme l'indiquent les analyses rendues publiques en septembre. L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) prévoit en effet une croissance de 6,25 % tandis que la Banque de France, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ou Rexecode tablent sur 6,3 %. Le consensus s'établit donc plutôt autour de 6,3 % que de 6 %. Dans l'ensemble de ces scénarios, le PIB français retrouverait son niveau de 2019 à la fin de l'année 2021 ou au début de l'année 2022, soit plus rapidement que ce qui était initialement prévu. Tant mieux !
Pour 2022, la prévision de croissance retenue par le Gouvernement s'élève à 4 %, ce qui est proche de celle des instituts de prévision. Le Haut Conseil la considère comme plausible. Des aléas à la hausse et à la baisse existent. Si les économies avancées sont devenues moins sensibles à l'évolution de l'épidémie, notamment du fait de la généralisation de la vaccination, la situation sanitaire demeure le principal aléa. Le Haut Conseil a identifié d'autres aléas à la baisse. L'effet du plan de relance, supposé d'un point de PIB en 2022, pourrait ne pas stimuler l'activité autant que prévu. De même, l'investissement des entreprises est prévu par le Gouvernement à un niveau historiquement élevé en 2022, ce qui pourrait ne pas se réaliser compte tenu des investissements importants consentis par ces dernières en 2020 et 2021 afin de mettre à niveau leurs outils numériques. Je le répète : nous parlons d'aléas, non de prévisions.
Des aléas à la hausse existent également. Le Gouvernement a retenu l'hypothèse que les ménages ramèneraient leur taux d'épargne à son niveau de 2019 ; or ceux-ci pourraient débloquer davantage l'épargne accumulée durant la crise, réduisant d'autant leur taux d'épargne. De même, l'activité pourrait être stimulée si des plans de relance complémentaires étaient mis en œuvre, notamment aux États-Unis ou au Japon.
Quant aux prévisions d'inflation du Gouvernement, elles s'établissent à 1,5 % pour 2021 et 2022, ce qui traduit un relèvement de sa prévision d'inflation sous-jacente. Ces prévisions sont affectées de nombreux aléas, à la hausse comme à la baisse, qui finissent par s'équilibrer. Par conséquent, le Haut Conseil juge les prévisions du Gouvernement réalistes – j'insiste sur les adjectifs, car ils ont leur sens dans notre taxonomie.
En revanche, il estime que celles concernant la masse salariale et l'emploi, pour 2021 et 2022, sont trop basses. En effet, elles ne tiennent pas compte des révisions importantes réalisées par l'INSEE le 8 septembre dernier, quelques jours avant la saisine du Haut Conseil. Ainsi, le Gouvernement anticipe une hausse de 327 000 emplois en fin d'année 2021 par rapport à la fin 2020 alors que les données de l'INSEE attestent d'une augmentation de 380 000 emplois dès le milieu de l'année 2021. De plus, les enquêtes de conjoncture montrent que la tendance favorable en matière de création d'emplois devrait se maintenir au troisième trimestre 2021. Pour 2022, du fait d'une base trop faible, la prévision d'emploi est également trop basse.
Récapitulons : s'agissant de la croissance, les prévisions du Gouvernement nous semblent un peu conservatrices pour 2021, plausibles pour 2022 ; en matière d'inflation, elles sont réalistes ; en matière d'emploi et de masse salariale, elles sont trop faibles pour 2021 et, par ricochet, pour 2022.
Sur le fondement de ces hypothèses macroéconomiques, le Gouvernement a prévu un déficit de 8,4 % en 2021, soit une amélioration d'un point depuis sa dernière prévision, réalisée à l'occasion du PLFR de juin dernier. Cette amélioration s'explique largement par des rentrées fiscales meilleures que prévu en lien avec l'amélioration de l'activité au cours de l'année.
Pour 2021, les prévisions de dépense apparaissent réalistes. Elles s'élèveraient à près de 60 % du PIB, en repli de près d'un point par rapport à 2020, mais encore six points au-dessus de leur niveau de 2019. Les dépenses de soutien et de relance représenteraient 91 milliards d'euros en 2021 – elles s'élevaient à 69 milliards d'euros en 2020. En revanche, la prévision de recettes publiques paraît trop basse. Le Haut Conseil considère en effet que, la prévision de masse salariale étant sous-estimée, celles des recettes publiques qui sont assises sur cette dernière – en particulier les cotisations sociales, la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), l'impôt sur le revenu – devraient être supérieures à ce qui est prévu. Compte tenu de recettes dont la prévision paraît trop basse et de dépenses qui paraissent réalistes, le Haut Conseil estime que le déficit pour 2021 pourrait être moins dégradé que prévu par le Gouvernement.
En 2022, la prévision de recettes est également affectée par la sous-estimation de la masse salariale pour 2021. Partant d'une base moins élevée, la masse salariale pour 2022 et les recettes publiques qui en dépendent devraient donc être plus élevées que prévu, à scénario de croissance inchangé. Par ailleurs, selon le scénario transmis au Haut Conseil, les dépenses des administrations publiques diminueraient de 2 %, sous l'effet de la baisse des dépenses de soutien et de relance, cette baisse étant en partie compensée par une hausse des dépenses ordinaires, en particulier dans le secteur de l'État et des administrations de sécurité sociale. Ainsi, l'objectif de dépenses totales de l'État contenu dans le PLF pour 2022 diminuerait de près de 40 milliards par rapport à la prévision d'exécution pour 2021. En revanche, les moyens de l'État seraient largement augmentés s'agissant des dépenses ordinaires, les missions des ministères augmentant de près de 12 milliards d'euros, dont environ un tiers correspond à des dépenses inscrites dans des lois de programmation : défense, recherche, aide publique au développement, justice.
Quant aux dépenses des administrations de sécurité sociale, elles stagneraient en valeur en 2022, la baisse des dépenses de crise compensant un certain dynamisme de la dépense ordinaire. La hausse des prestations de retraite et les dépenses liées au Ségur de la santé, qui sont durables, sont compensées en 2022 par la baisse des dépenses de santé liées à la crise, la quasi-extinction de l'activité partielle et, dans une moindre mesure, par les économies réalisées grâce à la réforme de l'assurance chômage. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) serait plus dynamique qu'il ne l'était avant la crise dans son périmètre dit ordinaire. En effet, il augmenterait de 3,8 % hors dépenses exceptionnelles, de 2,6 % hors Ségur et dépenses exceptionnelles, alors que son taux de croissance était compris entre 2,2 % et 2,5 % de 2017 à 2019.
Enfin, les dépenses des administrations publiques locales augmenteraient, selon le Gouvernement, d'un peu moins de 3 % en 2022, contre près de 5 % en 2021, le Gouvernement s'attendant à un ralentissement de l'investissement local après le rebond qu'il a connu en 2021, du fait d'un rattrapage des investissements non réalisés en 2020 et du cycle électoral.
Dans l'ensemble, la prévision de dépenses pour 2022 est raisonnable, au vu des éléments transmis au Haut Conseil. Mais ceux-ci sont incomplets, car ils ne prennent pas en compte des dépenses annoncées par le Gouvernement, comme le plan d'investissement ou le revenu d'engagement. Le Haut Conseil a demandé à ce dernier qu'il lui donne une estimation de ces deux postes de dépenses, mais les informations ne lui ont pas été communiquées, les arbitrages n'ayant pas été rendus.
Ces conditions de saisine ne permettent pas au Haut Conseil d'établir un diagnostic complet sur les projets de loi concernés. Les recettes pour 2022 sont probablement sous-estimées, de même que les dépenses ; elles peuvent donc s'équilibrer, mais nous ne pouvons pas dire dans quelle mesure. Ainsi, le Haut Conseil ne peut pas porter une appréciation sur la plausibilité du déficit public attendu par le Gouvernement à moins 4,8 points de PIB. Dans ces conditions, il rappelle que si, comme c'est vraisemblable, le scénario macroéconomique et de finances publiques était modifié pour prendre en compte ces mesures supplémentaires, une nouvelle saisine du Haut Conseil par le Gouvernement serait nécessaire pour qu'il puisse remplir son mandat et éclairer pleinement la représentation nationale et le citoyen.
Rappelons qu'aux termes de la loi organique, le Haut Conseil doit également se prononcer sur la cohérence de la trajectoire de solde structurel retenue dans le PLF 2022 avec celle de la loi de programmation des finances publiques. Il lui faut vérifier s'il existe un écart important – supérieur à 0,5 point de PIB – avec la trajectoire prévue. À cet égard, je l'ai dit à moult reprises, il est nécessaire d'adopter une nouvelle loi de programmation des finances publiques, celle-ci étant caduque, qu'il s'agisse du scénario macroéconomique – en particulier du niveau de PIB potentiel, devenu obsolète à la suite de la crise sanitaire – ou des finances publiques.
Toutefois, je me dois de vous donner les éléments à retenir de la situation du solde structurel par rapport à la programmation pluriannuelle. Le solde structurel calculé dans le PLF pour 2022 sur la base de l'hypothèse de PIB potentiel initialement prévue dans la loi de programmation s'établirait à moins 3,7 points de PIB, soit un écart de trois points avec la trajectoire prévue. Il s'agit d'un écart important au sens de la loi organique, mais le déclenchement de la clause de circonstances exceptionnelles permet à la France de s'écarter temporairement de cette trajectoire.
Le Gouvernement a actualisé, dans le cadre du PLF pour 2022, la révision qu'il avait apportée au niveau du PIB potentiel dans le cadre du PLF pour 2021, pour tenir compte des conséquences de la crise sur le potentiel productif de l'économie. Mesuré avec cette hypothèse révisée de PIB potentiel, le solde structurel s'établirait, non pas à moins 3,7 points de PIB, mais à moins 4,7 points de PIB, avant même l'intégration des dépenses manquantes, en particulier le plan d'investissement et le revenu d'engagement. Ce solde structurel se situe loin de l'objectif à moyen terme des finances publiques que s'est fixé la France dans la loi de programmation des finances publiques, qui est de moins 0,4 point de PIB. Je le dis pour la forme, car, encore une fois, la loi de programmation est obsolète, caduque. Il est tout à fait compréhensible que vous n'en ayez pas adopté une autre dans le contexte de la crise, mais, une fois la situation stabilisée, sans doute en 2022, nous ne pourrons en faire l'économie.
J'en viens à mon dernier message. La situation actuelle des finances publiques est exceptionnelle, inédite depuis 1945. La reprise, plus forte qu'attendu, et le maintien de taux à long terme proches de zéro – sous l'effet, notamment, de la politique monétaire – ne doivent pas masquer la réalité budgétaire sous-jacente. La situation des finances publiques s'est profondément modifiée. Le poids de la dépense publique, à l'issue du « quoi qu'il en coûte », est supérieur de près de deux points à ce qu'il était en 2019. De fait, on observe une sorte d'effet de cliquet. La mer se retire, mais pas complètement : à chaque sortie de crise, les dépenses publiques augmentent un peu – en l'espèce, de deux points de PIB !
La dette a augmenté de dix-sept points depuis 2019. Le PIB potentiel de l'économie française a probablement diminué et les importants allégements de prélèvements obligatoires décidés, tant pour les entreprises que pour les ménages, au cours des dernières années pèseront durablement sur les recettes publiques. Dès lors, il sera sans doute plus difficile que par le passé de réduire le poids de la dette dans le PIB. Il faudra donc adopter, comme la Cour l'a recommandé dans l'audit qu'elle a rendu au mois de juin, une double stratégie de croissance et de désendettement.
L'enjeu, pour la France, est d'enclencher durablement une décrue de l'endettement après plusieurs décennies de croissance quasi continue. Les dépenses de crise étaient nécessaires pour faire face à l'épidémie et éviter que l'économie ne s'affaisse, mais j'appelle, au nom du Haut Conseil, à la plus grande vigilance quant à la hausse rapide des dépenses ordinaires. Celles-ci ont crû d'une manière importante, et plus rapidement que le PIB, entre 2019 et 2022. Il semble ainsi essentiel que d'éventuels surplus de recettes soient, non pas immédiatement recyclés dans des dépenses nouvelles, mais affectés en priorité au désendettement.
Dans ce contexte, le Haut Conseil des finances publiques doit jouer son rôle. Rappelons qu'il a été créé par le législateur organique pour être la vigie des finances publiques et un tiers de confiance pour le Parlement lors de l'examen des projets de loi financière. Jamais, peut-être, il n'a été aussi nécessaire pour le Parlement de bénéficier d'une expertise indépendante sur le cadre macroéconomique et la situation des finances publiques. Plusieurs analyses indépendantes ont démontré que le Haut Conseil avait, depuis 2012, contribué à améliorer le réalisme des prévisions macroéconomiques, qui est au cœur de son mandat actuel.
Une réforme de ce mandat est prévue dans la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Je salue votre volonté d'œuvrer en faveur d'une rénovation moderne et utile de notre cadre de finances publiques. Les aménagements prévus dans cette proposition de loi organique, s'ils ne placent pas encore le Haut Conseil sur un pied d'égalité avec certains de ses homologues européens, assoient son mandat, qui est, pour l'heure, l'un des plus limités au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il s'agit d'abord d'étendre ce mandat à l'examen du réalisme des prévisions de recettes et de dépenses inscrites dans les projets de loi de finances initiale et rectificative. C'est un élément essentiel pour permettre au Haut Conseil d'exercer pleinement son rôle.
Le texte, tel qu'il a été adopté par la commission des finances du Sénat, prévoit de limiter cet examen à la cohérence avec le scénario macroéconomique, ce qui me paraît trop réducteur. Prenons l'exemple du présent avis : les hypothèses de dépenses sont cohérentes avec le scénario macroéconomique, mais elles ne sont pas toutes réalistes. Il en est de même pour les prévisions de recettes. La discussion du texte n'est pas terminée, mais il me semblait important de souligner ce point devant votre commission : le réalisme n'est pas la cohérence, il est plus puissant que cette dernière. Pour porter une appréciation complète sur les prévisions de finances publiques, le Haut Conseil doit pouvoir examiner le réalisme de l'évaluation des mesures nouvelles les plus significatives. Tant pour les recettes que pour les dépenses, le réalisme des prévisions dépend de la qualité du chiffrage des nouveaux dispositifs. Il ne s'agit nullement de se substituer au Parlement dans son rôle de contrôle de l'exécutif, mais au contraire de vous apporter des analyses indépendantes et complémentaires de celles que vous pouvez mobiliser. À cet égard, il faut aller au-delà de ce qui est prévu.
Enfin, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, vous souhaitiez confier au Haut Conseil l'élaboration d'un rapport sur la soutenabilité de la dette, complémentaire de celui du Gouvernement sur le même sujet. Cette disposition a été supprimée par un amendement gouvernemental dont les motifs ne m'ont pas totalement convaincu. Je regrette vivement cette suppression, alors que le ratio d'endettement de la France a augmenté de près de 17 points de PIB depuis le déclenchement de la crise sanitaire et que plusieurs de nos homologues européens disposent de cette capacité.
La dette doit faire l'objet d'un débat démocratique qui s'appuie sur des analyses indépendantes. C'est un sujet hautement politique. Ce qui peut inquiéter les marchés – j'en parlais avec plusieurs économistes membres du Haut Conseil –, ce n'est pas l'existence d'un tel débat, mais plutôt son absence. En outre, il ne faut rien cacher aux citoyens, mais au contraire éclairer les décisions et l'avenir. Il serait très regrettable qu'on ne saisisse pas l'opportunité qu'offre la proposition de loi organique pour poursuivre le mouvement de renforcement de la transparence des finances publiques.