Je vous remercie pour cet avis énergique, présenté sans langue de bois ; il comporte beaucoup de messages.
Il faut évidemment apprécier l'état de nos finances publiques à la lumière de la crise que nous avons traversée. Je partage votre analyse : rien ne sera plus comme avant. Encore faut-il ne pas conserver les mêmes réflexes. Nous devons donc tirer toutes les conséquences, toutes les leçons de la crise, non seulement en matière d'investissement et de préparation de l'avenir, mais aussi en matière de contrainte financière – contrainte qui est aussi vieille que le monde.
Avant d'en venir au fond, je reviendrai sur la forme. Hier, la presse, toujours bien informée, s'est fait l'écho de négociations et de débats avec le Gouvernement qui vous auraient conduit à édulcorer l'avis. Y a-t-il eu discussion – l'indépendance ne l'excluant pas – et le rapport a-t-il été modifié ?
Comme le Gouvernement, vous indiquez que, fin 2021 ou début 2022, nous retrouverons le niveau de PIB de 2019. Tant mieux ! Mais n'oublions pas la perte de richesse provoquée par cette crise, c'est-à-dire la part de PIB qui a définitivement disparu, à moins que la hausse du potentiel de croissance ne permette de la compenser. Elle est estimée à environ 280 milliards d'euros. Il faut l'avoir en tête afin d'évaluer correctement l'état des finances publiques, et plus largement celui de l'économie.
S'agissant de la croissance, vous estimez que les prévisions sont prudentes. Dont acte. Du reste, le Gouvernement a été globalement prudent dans ses prévisions, et il l'a indiqué. C'est une bonne chose. Si la croissance est plus importante, les résultats seront meilleurs que ceux prévus aujourd'hui.
Quant à l'inflation, est-elle si conjoncturelle que le disent les économistes ? Elle est aussi le fruit de tensions – je pense au niveau de la masse monétaire, aux tensions géopolitiques, aux tensions entre l'offre et la demande, aux tensions d'approvisionnement… –, pour certaines structurelles. Il est donc probable qu'elle reprenne de la vigueur, et peut-être un peu plus que ne le prévoit le Gouvernement. Certes, elle reste bien inférieure à l'objectif de 2 %, mais le fait qu'elle ait un caractère temporaire ou, au contraire, durable n'est pas sans conséquences.
Sur l'emploi, la masse salariale et les recettes, les prévisions sont également très prudentes : probablement enregistrerons-nous de meilleurs résultats.
Vous avez indiqué par ailleurs que le Haut Conseil a été saisi sur une base incomplète. Le sujet est important. Le Gouvernement a en effet décidé d'attendre avant de faire connaître toutes les dépenses qu'il souhaite engager. Le fera-t-il ou ne le fera-t-il pas ? Nous l'ignorons. Quoi qu'il en soit, vous vous abstenez – et c'est une grande nouveauté – de donner un avis sur le solde, estimant que vous n'en avez pas les moyens. Le Gouvernement présente une augmentation des dépenses courantes de l'État de l'ordre de 11 milliards d'euros. Elle est importante, tout en étant du même ordre de grandeur que les autres années, mais elle est probablement très sous-estimée. Le Gouvernement n'a pas l'obligation de saisir le Haut Conseil des amendements qu'il pourrait présenter, mais uniquement s'il entend réviser les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposait initialement son projet. Souhaitez-vous néanmoins qu'il vous saisisse s'il dépose des amendements modifiant substantiellement l'équilibre ? En avez-vous discuté avec lui ?
Après avoir expliqué ne pas pouvoir vous prononcer, vous avez ajouté qu'il y aurait sans doute plus de dépenses mais également plus de recettes, de sorte que les secondes pourraient compenser les premières. Cette approche reste très généraliste. En tout état de cause, on ne peut gager l'augmentation des dépenses ordinaires par la baisse de dépenses exceptionnelles – cet effet cliquet serait terrible. Il ne faut pas mettre le doigt dans un tel engrenage : la crise ne peut avoir pour conséquence une augmentation du niveau des dépenses ordinaires au-delà de la norme. La France n'en a pas les moyens.
Enfin, en juillet, l'Assemblée nationale a amendé puis adopté la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques que j'avais déposée avec le rapporteur général, Laurent Saint-Martin. Nous verrons, après son examen par le Sénat, comment se passera la CMP. Peut-être pourra-t-on aboutir à des compromis positifs. En tout cas, il est utile que vous vous exprimiez sur ce sujet.