Je suis particulièrement attaché à la bonne information de la presse mais je suis fort marri, voire fâché, que des fuites, qui plus est impressionnistes, se soient produites. Car ce qui a été publié, ce n'est pas l'avis du Haut Conseil, ce sont des notations, d'ailleurs totalement erronées, sur le climat des discussions et sur certaines étapes d'élaboration de cet avis. J'ai donc rappelé, avec fermeté et douceur, leur devoir de discrétion aux membres du Haut Conseil. En tant que président de cette institution, je dois veiller à son indépendance, maîtriser ses débats et vous en présenter les résultats, et garantir sa crédibilité. Je n'ai donc pas apprécié ces fuites, qui, de surcroît, n'ont aucune forme de vraisemblance.
Comment procédons-nous ? Le Haut Conseil auditionne les administrations, qui viennent lui présenter le PLF et le PLFSS, après avoir entendu des prévisionnistes. Ensuite, nous avons, à partir d'un projet de rapport élaboré par le secrétariat général, un débat interne au cours duquel sont rédigées plusieurs versions successives du rapport ; cette année, il y en a eu trois. L'avis est donc le fruit d'une délibération collégiale progressivement éclairée ; le pluralisme de ces visions fait tout l'intérêt du Haut Conseil.
Je tiens à le dire de la façon la plus nette : il n'y a aucun contact, aucune négociation avec le Gouvernement durant la rédaction de l'avis. À aucun moment je ne me suis entretenu avec le ministre de l'économie ou avec le ministre chargé des comptes publics. Pour être tout à fait transparent, je leur ai parlé hier, pour leur dire que je regrettais ces fuites, qui ne confortent pas la crédibilité du Haut Conseil. Plus celui-ci sera discret, plus son mandat sera étendu, plus il travaillera sérieusement, plus il sera indépendant et plus sa crédibilité sera forte. J'ajoute qu'une extension de son mandat limiterait, en outre, le risque de fuites, car celles-ci traduisent toujours une certaine frustration. Encore une fois, nos travaux sont totalement indépendants et collégiaux : cet avis est le fruit des échanges des membres du Haut Conseil, et d'eux seuls. Il n'y a aucune forme d'influence extérieure : les négociations n'existent pas.
Vous m'interrogez, monsieur le président, sur la perte de richesse provoquée par la crise sanitaire. Si l'on compare la trajectoire du PIB en volume du PLF 2022 et celle du rapport économique, social et financier de l'automne 2019, cette perte atteint, en réalité, plus de 300 milliards d'euros. Il s'agit d'une perte définitive, qui correspond, pour partie, à la non-consommation – laquelle n'a pas d'incidence sur l'avenir –, pour partie, à la baisse de l'investissement et, pour partie, de manière plus limitée, à l'endettement du secteur public et du secteur privé, ce qui nous ramène encore à la question de la soutenabilité de la dette publique, sujet crucial.
S'agissant de l'inflation, le Haut Conseil estimait, dès le mois d'avril, qu'elle serait probablement, en 2021, plus élevée que prévu par le Gouvernement. De fait, elle s'est déjà redressée. La prévision du Gouvernement pour 2021 nous semble plausible, compte tenu de ce que nous connaissons des huit derniers mois, tout comme la prévision pour 2022. Il est vrai, monsieur le président, que des facteurs de hausse de l'inflation perdurent : l'augmentation passée des prix des matières premières commence à peine à produire ses effets ; le retour à la normale de la demande de services des ménages n'est pas achevé ; une pression sur les salaires n'est pas exclue en 2022. Mais, je le répète, les économistes n'attendent pas de hausse entretenue ou auto-entretenue de l'inflation, certains des facteurs de hausse étant transitoires.
Le Haut Conseil sera-t-il à nouveau saisi ? En tout cas, dans notre avis, nous passons le message au Gouvernement, et j'ai bien entendu le souhait de Laurent Saint-Martin, qui va dans le même sens. Si j'ai fait une mise au point un peu ferme concernant nos méthodes de travail, c'est parce que nous ne jouons pas et ne voulons pas jouer de rôle politique. Nous sommes là pour certifier ou garantir des chiffres. Quand le projet de loi est incomplet, la seule chose que je puisse dire, c'est qu'il y aura peut-être plus de recettes et de dépenses. Vous avez raison, monsieur le président, c'est une appréciation très généraliste, mais nous ne pourrons nous prononcer sur la plausibilité de la prévision de déficit de 4,8 % que lorsque nous aurons connaissance de tous les amendements et des chiffrages associés.
Lorsque ceux-ci seront connus, il serait pertinent, pour que le Haut Conseil joue pleinement son rôle, que nous en soyons saisis afin de vous indiquer si le chiffre définitif du déficit, tel qu'il résultera des modifications éventuelles du scénario macroéconomique, est plausible. C'est important non seulement pour vous, mais aussi – je le sais en raison de mes précédentes fonctions – vis-à-vis de Bruxelles, où l'on examine l'avis du Haut Conseil, institution indépendante, pour déterminer si le déficit est plausible ou non. Si je souhaite que nous soyons saisis des amendements, ce n'est pas pour ennuyer qui que ce soit ou pour porter un jugement politique, c'est pour certifier le chiffre, ce que nous ne pouvons faire en l'état.
Monsieur le rapporteur général, est-il possible d'affiner le constat du HCFP afin de connaître l'évolution des dépenses publiques 2022 nette des dépenses non pérennes, notamment celles liées au plan de relance ? Le ratio de dépense publique hors crédits d'impôts rapporté au PIB s'établit à 55,6 % en 2022. Si l'on retranche les dépenses non pérennes, qui représentent, toujours en 2022, 28,9 milliards, soit 1,1 % de PIB, on aboutit à un ratio de 54,5 %, soit une augmentation de 0,4 point par rapport à 2019. Mais j'appelle votre attention sur le fait qu'il s'agit d'une sous-estimation de la hausse pérenne du ratio de dépenses. En effet, toutes les dépenses annoncées ne sont pas prises en compte et celles liées aux vaccins, intégrées aux dépenses d'urgence, risquent d'être durablement plus élevées.
La baisse du ratio de dette publique en 2022 est-elle de bon augure pour les années à venir ? Le programme de stabilité prévoyait déjà une baisse du ratio de dette de 1,4 point de PIB en 2022, proche de celle prévue dans le PLF 2022. Cette baisse s'expliquait par un déficit inférieur au déficit stabilisant le ratio de dette, du fait notamment du rebond de la croissance nominale. Le programme de stabilité prévoyait une nouvelle remontée du ratio de dette de 0,8 point de PIB en 2023 et en 2024, puis de 0,3 point de PIB en 2025. En résumé, c'est moins mauvais que certaines prévisions antérieures, mais cela ne nous dispense absolument pas de débattre, probablement dès l'automne 2022, d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques qui soit dotée d'un caractère contraignant et programme de façon claire une trajectoire de dette s'infléchissant entre 2023 et 2027. C'est le souhait exprimé par la Cour des comptes dans le rapport qu'elle a remis au Président de la République et au Premier ministre. Les débats auront sans doute bientôt lieu devant les Français, puis ici, sous la prochaine législature.
Quant au cantonnement de la « dette covid », à ce stade, on ne connaît pas le détail du dispositif retenu. S'il s'agit simplement d'isoler un certain montant de dette dans un programme spécifique, cela n'aura pas de conséquences sur le montant de la dette à rembourser. S'il s'agit d'affecter tout surcroît de recettes, lié par exemple à une meilleure croissance, à ce programme spécifique, cela n'aura pas non plus d'effet particulier. Ce n'est que si le cantonnement s'accompagne d'une recette nouvelle que le ratio de dette s'améliorera, mais je n'ai rien entendu de tel et je n'ai rien à suggérer en la matière.