Intervention de Christine Pires Beaune

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Pires Beaune, rapporteure :

Madame la présidente, mes chers collègues, il y a un peu plus de deux ans, je présentais effectivement devant vous les conclusions de la mission sur les aviseurs fiscaux, composée de mes collègues Charles de Courson, Marie-Christine Dalloz, Vincent Ledoux, Xavier Roseren, Fabien Roussel et Sabine Rubin – je les salue et tiens à les remercier à nouveau –, ainsi que de Sarah El Haïry, devenue, depuis lors, membre du Gouvernement, et de moi-même.

Le but de nos travaux était de contrôler l'application et de dresser un premier bilan de ce nouveau dispositif de lutte contre la grande fraude fiscale qui avait été introduit au cours de la précédente législature par la loi de finances pour 2017, à titre expérimental, avant d'être pérennisé par la loi de 2018 sur la lutte contre la fraude. Je rappelle qu'il permet d'indemniser toute personne fournissant un renseignement à l'administration amenant à la découverte d'un manquement à la législation fiscale.

Au moment où la mission a rendu ses conclusions, c'était surtout l'évasion fiscale qui était visée. En effet, les informations susceptibles d'être transmises par un aviseur concernaient des infractions aux règles fixées en matière de domiciliation fiscale, de prix de transfert, de territorialité de l'impôt sur les sociétés ou d'obligations déclaratives concernant les comptes et contrats détenus à l'étranger, pour ne citer que quelques exemples. Souvenons-nous que la création de ce dispositif faisait suite à plusieurs scandales comme celui de HSBC en 2015 ou les Panama Papers en 2016, qui avaient mis en lumière le fait que l'administration française manquait cruellement d'informations pour repérer les évadés fiscaux parmi ses contribuables, alors que d'autres pays démocratiques bénéficient d'un système permettant la rémunération d'informateurs.

Nos travaux nous avaient permis de nous assurer que le dispositif des aviseurs fiscaux répondait à un besoin réel d'accéder au renseignement fiscal et qu'il contribuait à sécuriser juridiquement son exploitation. Quant au bilan, il présentait d'excellents résultats puisqu'au bout de deux ans 90 millions d'euros avaient été recouvrés grâce à deux aviseurs. C'est pourquoi nous recommandions de maintenir le dispositif des aviseurs car nous le jugions utile et efficace. Six propositions avaient été formulées concernant tant son périmètre que son fonctionnement.

Sur le périmètre tout d'abord, nous recommandions d'inscrire le dispositif directement dans le livre des procédures fiscales plutôt que dans la loi de finances. Surtout, nous appelions à étendre le champ des manquements visés à la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui coûte une quinzaine de milliards d'euros par an à l'État et contre laquelle il est plus difficile de lutter en raison de sa complexité.

Concernant l'indemnisation des aviseurs, nous réclamions l'abandon de la pratique du plafonnement à un million d'euros qui était en vigueur de fait. Je dis « de fait » car ni la loi ni les textes d'application ne prévoyaient un tel plafond qui résultait d'instructions internes au sein du ministère des finances.

Pour ce qui est du traitement des informations reçues, nous proposions d'améliorer sensiblement la confidentialité des sources et la protection des agents traitants, susceptibles d'être victimes de tentatives d'intimidations.

Enfin, à la suite de nos constatations, nous nous interrogions sur l'opportunité de mettre en place un véritable service de renseignement au sein de l'administration fiscale, qui permette le travail en commun de l'ensemble des services, aux niveaux central et déconcentrés. C'est pourquoi nous suggérions de favoriser la coopération entre le service des investigations élargies (SIE), chargé des aviseurs, et le tout nouveau service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF), qui venait d'être créé lors des travaux de la mission.

Bientôt cinq ans se seront écoulés depuis la mise en place du dispositif des aviseurs et deux ans ont passé depuis que la mission d'information a fait part de ses conclusions.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, plusieurs avancées ont eu lieu en matière d'aviseurs, sur lesquelles je reviendrai dans un instant. C'est pourquoi j'ai voulu vous présenter un rapport sur la mise en œuvre des conclusions de cette mission d'information, comme le prévoit l'article 145-8 de notre règlement.

Avant d'aborder la mise en application de chacune des propositions, au nombre de six, je voudrais tout d'abord faire un rapide bilan chiffré du dispositif.

Depuis le 1er janvier 2017, six aviseurs fiscaux ont été indemnisés. Ils ont permis le recouvrement d'un peu plus de 110 millions d'euros alors que le montant total de leur récompense n'a été que de 1,8 million d'euros, soit l'équivalent de 1,5 % des droits et pénalités recouvrés. Il va de soi que le rendement budgétaire pour les finances publiques de ce dispositif est largement démontré.

Les informations transmises ont concerné quatre affaires de série et deux affaires individuelles. Par « affaire de série », je parle de la mise en contrôle fiscal d'un grand nombre de dossiers individuels de particuliers ou d'entreprise. Il faut par exemple savoir que trois affaires de série représentent en réalité plus de 450 dossiers, mobilisant une dizaine de directions interrégionales de contrôle (DIRCOFI) sur tout le territoire.

Je note également une plus grande notoriété du dispositif d'année en année puisque le nombre de prises de contact avec de potentiels aviseurs est passé d'une trentaine au début à plus de soixante-dix l'année dernière.

Venons-en maintenant au suivi de la mise en œuvre des recommandations de la mission d'information. Sur les six propositions formulées, trois sont complètement mises en œuvre, trois autres sont en cours de mise en œuvre. Ce bilan tient en partie à la nature même de ces préconisations.

En effet, tout ce qui relevait du cadre même du dispositif a pu être mis en application, principalement grâce à l'action du législateur.

L'indemnisation des aviseurs fiscaux a été codifiée dans le livre des procédures fiscales. Le Gouvernement a fait de même pour les textes d'application qui relevaient de son pouvoir réglementaire.

En ce qui concerne le champ du dispositif, le législateur est même allé au-delà des préconisations. Non seulement les manquements visés ont été étendus à la TVA mais une expérimentation a été lancée pour retenir un périmètre fondé sur la gravité des manquements à la législation fiscale lorsque l'enjeu est supérieur à 100 000 euros. Cette expérimentation prendra fin le 31 décembre prochain. Compte tenu du temps que prend l'ensemble de la procédure – de la toute première prise de contact du service des impôts des entreprises avec un aviseur potentiel à la mise en recouvrement des droits, en passant par la longue phase d'analyse et de mise en contrôle – il est encore trop tôt pour en dresser un bilan, d'autant que la crise sanitaire est venue évidemment ralentir l'activité des nombreux services chargés du contrôle fiscal sur tout le territoire. J'estime que cette expérimentation mérite d'être poursuivie, c'est pourquoi je déposerai un amendement en ce sens dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.

Les délais que j'évoquais à l'instant expliquent également que l'ensemble du bilan chiffré que je vous ai présenté n'a pu concerner que la version initiale du dispositif, tournée vers l'évasion fiscale, puisque cinq des six aviseurs ont transmis leur information en 2017 et 2018, c'est-à-dire avant son extension.

Quant à l'indemnité susceptible d'être perçue par un aviseur pour les renseignements transmis, elle faisait l'objet d'une recommandation visant à abandonner la pratique du plafond d'un million d'euros – contraire à l'intention du législateur. Là encore, c'est lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 que le Gouvernement s'était engagé à revenir sur celui-ci, ce qui fut chose faite par le biais d'une note interne de juin 2020, qui préconise de retenir un plafonnement à 15 % des droits recouvrés en cas d'affaire importante. Aucune indemnité supérieure à un million d'euros n'a pour l'instant été versée.

Voilà donc pour ce qui est des propositions ayant trait au cadre du dispositif, qui ont toutes été mises en œuvre.

Comme je le disais il y a un instant, la mise en œuvre des recommandations relatives au fonctionnement concret du dispositif a commencé et se poursuit. Elles méritent toutes d'être approfondies.

D'abord, la protection des agents traitants a été renforcée grâce, encore une fois, à l'action du législateur puisque la loi de finances pour 2020 autorise le recours à l'anonymat et punit d'emprisonnement le fait de révéler l'identité d'un agent qui en bénéficie. En pratique, cette possibilité reste à utiliser car l'administration fiscale ne souhaite y avoir recours qu'en cas d'affaire particulièrement sensible ou d'interlocuteur dangereux.

Deuxièmement, la confidentialité des sources est en train d'être renforcée grâce au classement, au niveau « secret défense » au moins, de l'identité des aviseurs. Cela évitera sa divulgation en cas de procédure judiciaire.

Enfin, la mission d'information proposait de favoriser la coopération entre le service chargé des aviseurs, la direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF), et le tout nouveau service d'enquêtes judiciaires des finances, le SEJF, rendu possible par la loi de 2018 de lutte contre la fraude et créé au mois de juillet 2019, juste après que la mission a rendu ses conclusions. Nous nous interrogions également sur le développement du renseignement fiscal. J'ai pu constater que la DNEF et le SEJF sont bien amenés à coopérer dans leurs champs de compétence respectifs.

Ce constat m'amène maintenant à élargir le sujet au-delà des aviseurs car j'ai appris, à cette occasion, que la DNEF était intégrée dans une task force comprenant aussi TRACFIN et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, service de renseignement des douanes. Cependant, j'estime que la création, au sein de la DNEF, d'une division du renseignement fiscal à partir du service chargé des aviseurs serait bien plus simple et cohérente ; ce service a d'ailleurs développé une réflexion approfondie sur la montée en puissance du renseignement fiscal. Dans la mesure où la lutte contre la fraude fiscale est particulièrement technique, de plus en plus complexe, il me paraît légitime que la direction générale des finances publiques (DGFiP) développe cette activité de renseignement directement en son sein.

Voilà, mes chers collègues les conclusions de mon deuxième rapport. Je remercie les services de la DGFiP, puisque nous avons fait un déplacement « au cœur » du SIE, ce qui nous a permis d'échanger avec les six personnes composant ce service.

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