Le projet de loi de finances doit être appréhendé à l'aune de la crise. S'il n'y avait pas eu de crise, des résultats comme ceux qui nous sont présentés seraient évidemment désastreux. Ils ne le sont pas quand on considère la puissance de la crise et ses effets. Néanmoins, cela rend extrêmement difficile toute comparaison avec les engagements antérieurs – on le voit, par exemple, lorsque le HCFP tente de mesurer les écarts par rapport à la loi de programmation, ce qui est tout simplement impossible, comme cela avait été le cas en 2009, d'ailleurs. S'agit-il, pour autant, d'un PLF de sortie de crise, c'est-à-dire qui tire les leçons de celle-ci et qui donne des perspectives ? Pas tout à fait.
C'est un PLF qui accompagne la sortie de crise. Les dépenses sont en diminution – j'y reviendrai – par rapport au pic de 2021, mais des dépenses courantes se substituent à un certain nombre de dépenses de crise. Les recettes, quant à elles, retrouvent un niveau équivalent à celui que l'on connaissait auparavant, c'est-à-dire de l'ordre de 290 milliards d'euros. Le déficit est presque divisé par deux. Il y a aussi beaucoup moins de croissance en 2022 qu'en 2021. La croissance ne sera-t-elle qu'un feu de paille, comme dans d'autres pays ? Le taux d'endettement diminue, mais son augmentation pourrait reprendre en 2023. On constate une stabilité fiscale, après des baisses importantes, tant pour les ménages que pour les entreprises.
Est-ce suffisant ? Je ne le crois pas. En effet, je vois poindre le risque d'une augmentation structurelle de la dépense ordinaire.
D'abord, vous êtes passés de l'activité partielle au PLF partiel, car vous ne présentez pas la totalité du budget. En effet, vous avez annoncé des amendements qui viendront augmenter les dépenses : il y aura un plan d'investissement, la création d'un revenu pour les jeunes et peut-être d'autres choses encore. Pourriez-vous au moins nous dire de quel type de dépenses il s'agira et à combien elles s'élèveront ? Vous aviez déjà annoncé 11 milliards de dépenses supplémentaires avant l'été, dont un tiers était consacré aux différentes lois de programmation thématiques. Cette nouvelle augmentation va-t-elle modifier les équilibres, notamment le solde ? Le HCFP sera-t-il de nouveau saisi par le Gouvernement ?
Ensuite, au-delà de l'État, quand on raisonne « toutes APU », c'est-à-dire toutes administrations publiques confondues, l'augmentation des dépenses courantes représente 32 milliards d'euros – 100 milliards sur trois ans –, selon les chiffres du HCFP. S'il n'y avait que les 11 milliards d'augmentation pour le budget de l'État, cela correspondrait à peu près au niveau moyen de l'augmentation de la dépense observée année après année ; ces 32 milliards toutes APU, en revanche, représentent une accélération de 25 % par rapport à la norme habituelle d'augmentation des dépenses. Cela va donc bien au-delà des dépenses liées à la crise.
Il est vrai qu'il ne faut pas réduire trop brutalement les dépenses, tout le monde en est d'accord, mais ce que nous a appris la crise de 2008-2009 – à cette époque, du reste, la BCE n'avait pas agi de la même façon –, ce n'est pas qu'il faut accélérer la hausse des dépenses courantes, c'est-à-dire de dépenses que l'on retrouvera chaque année, c'est au contraire qu'il faut privilégier les dépenses d'investissement, éviter les ruptures brutales et, pour ce faire, prévoir des sorties en sifflet. En définitive, le danger est de franchir une nouvelle étape dans la hausse durable des dépenses. D'ailleurs, en 2022, le niveau des dépenses rapportées au PIB se situe à 55,6 %, alors même qu'il s'agissait quasiment d'un sommet avant la crise. En résumé, vous ne pouvez pas gager l'augmentation des dépenses ordinaires par la baisse des dépenses exceptionnelles, parce que cela reviendrait à prolonger ces dernières.
Il me semble urgent d'envoyer un certain nombre de signes. Dans ce PLF, il y en a un, certes un peu timide mais réel : le cantonnement sur vingt ans de la dette covid de l'État – celle du secteur social étant déjà prise en compte par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) –, à hauteur de 165 milliards d'euros. Cela fait beaucoup en valeur absolue, mais c'est peu au regard des 3 000 milliards de dette publique. Vingt ans suffiront-ils, et ce mécanisme nous permettra-t-il de faire face aux autres crises qui surviendront ? Cela mérite évidemment que l'on en discute ; toujours est-il qu'il s'agit d'un signe important. D'autres me semblent indispensables, que ce soit la modification de certaines règles – il a été question de l'évolution de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, mais bien d'autres choses pourraient changer – ou l'encadrement et la revue des dépenses. La logique de moyens doit laisser la place à une logique d'efficacité de la dépense et la logique d'investissement doit prévaloir sur la logique de fonctionnement.
In fine, notre situation financière est-elle meilleure par rapport à celle des autres pays à la fin de la crise qu'elle ne l'était au début ? Autrement dit, est-ce que nous sortons de la crise dans un meilleur état financier que les autres pays, sachant que nous y étions entrés dans un état de relative faiblesse par rapport à eux ? Dépenser n'est pas réformer. Or ce PLF est bien plus l'expression de dépenses que de réformes.