Cette mission d'information est assez originale. Le premier confinement a entraîné la fermeture des frontières terrestres et contraint les déplacements des individus. Cette situation a rapatrié la consommation de tabac chez les buralistes, ce qui nous a permis de mesurer l'ampleur de la consommation parallèle de tabac, licite ou illicite, pour l'ensemble des produits du tabac. Les travaux que nous avons menés trouvent aussi leur origine dans la hausse significative des ventes de tabac réalisées au sein du réseau des buralistes lors du premier confinement. Notre objectif était d'analyser ce phénomène.
Nous avons mené quatorze auditions et effectué un déplacement en Moselle. Nous avons pu rencontrer l'ensemble des acteurs intéressés par la question du marché du tabac et de la lutte contre le tabagisme.
Nous avons dressé un premier constat : la consommation du tabac analysée sous le seul prisme de l'évolution des ventes de cigarettes auprès du réseau des buralistes est en décalage avec la réalité. Si nous voulons combattre le tabagisme, il doit être tenu compte de la réalité de la consommation de tabac en France.
À la faveur des politiques de santé publique ambitieuses menées en France, le prix du tabac tous produits confondus a progressé de 80 % depuis 2010 et dépasse désormais le prix de dix euros pour certains paquets. Le prix du tabac étant librement fixé par les producteurs, très encadrés, la hausse des tarifs résulte d'un alourdissement de la fiscalité du tabac répercuté sur les prix. Rappelons que la fiscalité du tabac représente plus de 80 % du prix du paquet. Il existe également un prix de vente minimum.
Cette augmentation du prix a engendré une baisse significative des ventes au sein du réseau des buralistes. Tous produits confondus, ces ventes ont diminué de près de 30 % entre 2010 et 2020. L'an passé, 46 000 tonnes de tabac ont été vendues par les débitants de tabac contre près de 64 800 tonnes dix ans auparavant.
Le marché parallèle permet aux consommateurs d'adopter des stratégies de contournement afin d'éluder l'impôt. Il recouvre des comportements légaux et illégaux. Nous notons aussi le développement des réseaux de contrebande, qui, selon l'administration des douanes, se rapprochent des réseaux de trafic de stupéfiants.
Plusieurs études ont proposé des estimations de l'ampleur de ce marché que nous tentons d'évaluer depuis longtemps. Certains des chiffres avancés ont été contestés. L'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et Santé publique France indiquent qu'environ 20 % des achats de tabac sont régulièrement réalisés en dehors des bureaux de tabac. Dans le cadre d'une étude annuelle financée par Philip Morris, KPMG indique que 30 % des cigarettes manufacturées en France sont issues du marché parallèle.
Le marché parallèle de tabac génère un double affaiblissement.
Le premier affaiblissement concerne les politiques de santé publique et de lutte contre de tabagisme. Ainsi, le taux de prévalence tabagique pour les personnes âgées de plus de quinze ans s'élevait à 28 % en 2020 selon la Commission européenne, soit un niveau supérieur à la moyenne européenne, qui s'établit à 25 %.
Le deuxième affaiblissement est d'ordre financier. Le rendement de la fiscalité du tabac s'élève à 16 milliards d'euros en 2019, dont plus de 12,6 milliards d'euros étaient issus des droits de consommation affectés à la sécurité sociale. Selon les études précitées, les pertes de recettes fiscales générées par le marché parallèle sont comprises entre 2 et 6 milliards d'euros.
En dehors de ce double affaiblissement, un affaiblissement d'ordre économique existe également pour le réseau des buralistes lui-même. Le marché parallèle constitue une forme de concurrence totalement déloyale pour les débitants de tabac.