Les grandes lignes du budget de la défense pour 2022 sont conformes à la LPM. Aux yeux de la majorité et du Gouvernement, ce strict respect de la LPM semble devoir clore tout débat. Je voudrais montrer, au contraire, que celui-ci est absolument nécessaire et plus difficile que jamais.
Nous nous trouvons, en effet, face à une réalité paradoxale. Il n'est pas question de nier le redressement accompli au cours des cinq dernières années. Toutefois, l'autosatisfaction du Gouvernement n'est pas de mise, car la situation de nos armées reste extrêmement tendue. Je ne donnerai qu'un exemple : le risque de rupture capacitaire qui affecte notamment notre marine et davantage encore notre armée de terre.
À court terme, les commandes pour l'export de frégates et de Rafale nous éloignent d'ores et déjà sensiblement de la trajectoire souhaitable pour atteindre le modèle d'armée 2030. Pour l'armée de l'air, la cible de 129 appareils en 2025 serait ainsi loin d'être atteinte : on parle de 117 appareils, voire de sensiblement moins, ce qui serait très inquiétant. Le Gouvernement est très évasif sur ce point, ce qui n'est pas de bon augure.
En outre, les années 2023-2025 seront décisives. La réalisation de notre modèle est conditionnée au franchissement de trois marches successives de 3 milliards d'euros. Or, dans le contexte budgétaire extrêmement dégradé qui s'annonce, cela apparaît de moins en moins crédible.
Pour notre marine, le décrochage risque d'intervenir au moment même où le réarmement est spectaculaire dans le monde entier. Ainsi, le tonnage de la flotte turque progressera de plus de 30 % et celui de la Chine de plus de 140 %. La marine britannique comptera trente bâtiments de premier rang, alors que nous n'atteindrons probablement pas notre cible de quinze.
Dans ce contexte, il faut réagir dès maintenant pour ne pas subir un tel décrochage : il sera trop tard demain. Au moins faut-il en parler, afin de tenter de remédier à cette situation. Or le dialogue entre le ministère et le Parlement devient de plus en plus difficile.
Il y a d'abord le refus du Gouvernement de réaliser avec le Parlement la réactualisation de la LPM, qui est pourtant expressément prévue par la loi, ainsi que le refus de répondre à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, qui a évalué les surcoûts de la LPM. L'important rapport qui a été réalisé méritait l'ouverture d'une discussion approfondie entre le ministère et les commissions parlementaires.
Par ailleurs, le recours systématique au huis clos par la commission de la défense pour ses auditions affaiblit considérablement la portée du contrôle parlementaire, limité à une sorte d'entre-soi.
De même, l'abus de classification des réponses gouvernementales aux questions parlementaires participe au musellement de notre travail. Contrairement à ses prédécesseurs, la ministre des armées refuse ainsi que la disponibilité des équipements militaires soit discutée. Cette décision est d'autant plus incompréhensible qu'il s'agit d'un objectif majeur de cette législature. Il est demandé à la nation de croire le ministère sur parole.
J'ajoute que la régression assumée par le Gouvernement en matière d'accès aux archives renforce le sentiment qu'il peine à accepter le débat. Je n'ai pas été convaincu par les arguments avancés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pour justifier ce qui m'apparaît comme un recul démocratique. Depuis qu'elle était en usage, l'ancienne loi régissant les archives n'avait causé aucune difficulté ni aucun scandale. La machine bureaucratique s'est emballée et le Gouvernement l'accompagne docilement.
Dans les années qui viennent, nos armées seront confrontées à des choix importants, au-delà même des questions budgétaires. Ce n'est pas leur rendre service que d'éviter aujourd'hui tout questionnement. Quelle que soit la prochaine majorité, elle devra s'attacher à respecter et à faire vivre le contrôle du Parlement, qui se fait dans l'intérêt de tous.