Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 3 novembre 2021 à 11h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je me réjouis que l'avis du Haut Conseil des finances publiques ait suscité autant de questions, et je vais m'efforcer d'y répondre sans vous noyer sous les chiffres. Du reste, la grande confiance que vous manifestez dans le HCFP m'incite à vous encourager à étendre plus encore son mandat car, le périmètre de ses compétences n'incluant pas la prévision, j'aurai du mal à répondre à plusieurs de vos interrogations. De fait, un Haut Conseil qui peut mener une réflexion approfondie sur les politiques publiques est un appui précieux pour le Parlement, qui a besoin de ce tiers de confiance indépendant.

Je commencerai par une remarque d'ordre sémantique. La prudence est, certes, une vertu en matière de finances publiques : ici, être conservateur est effectivement de bon aloi. Mais ce terme est polysémique et, dans la terminologie du Haut Conseil, elle peut également qualifier une approche qui tend à sous-estimer légèrement les prévisions.

Par ailleurs, la prévision économique demeure un exercice délicat à l'issue de la crise, car – et c'est pourquoi je me garde d'être trop péremptoire ou trop sévère – les choses sont encore très mobiles. Ainsi, le HCFP a été saisi avant la publication des chiffres de l'INSEE, qui sont meilleurs que ceux pris en compte dans le scénario macroéconomique du Gouvernement, mais je sais d'expérience que le ministre ne prend connaissance de ces chiffres que la veille au soir de leur publication. Cet environnement assez mouvant peut donc expliquer un certain nombre d'imprécisions. Il n'en demeure pas moins que lorsqu'on soumet un projet de loi de finances au Parlement, il convient de les réduire autant que faire se peut.

Monsieur le président, les chiffres que vous m'avez demandés sont les suivants. En 2021, les dépenses sont révisées à la baisse de 1,2 milliard d'euros tandis que les recettes sont revues à la hausse de 5,7 milliards. Pour 2022, les dépenses et les recettes sont revues à la hausse respectivement de 5,3 milliards et de 0,4 milliard ; ainsi, le déficit se dégraderait de 5 milliards en 2022.

Nous avons bien entendu interrogé le Gouvernement sur la répartition du coût de l'indemnité inflation sur 2021 et 2022. Le dispositif est complexe : cette indemnité sera versée par les entreprises, lesquelles seront remboursées par l'État. Cela suppose une adaptation du logiciel de paye, dont le calendrier est incertain. C'est pourquoi je ne suis pas en mesure de vous indiquer très précisément les dépenses qui seront effectivement réalisées en 2021 et en 2022.

Deux dispositifs dépendent des prix de l'énergie : les charges de service public de l'électricité, qui baissent lorsque ces prix montent, et la compensation aux fournisseurs de gaz du blocage des prix de l'énergie, qui augmente lorsque le prix du gaz est en hausse. Le Gouvernement a pour principe de retenir une stabilisation au niveau récent, car c'est la meilleure prévision possible. Toutefois, le dernier niveau connu, celui d'octobre, correspond à un prix du baril de 84 dollars, supérieur de 15 dollars à la prévision du Gouvernement. Ainsi, s'il appliquait sa méthode usuelle, il en résulterait une inflation plus forte, évaluée sur un an à quelque 0,5 point. Comme ce n'est pas le cas, nous pensons que l'inflation telle qu'elle est évaluée dans les documents qui vous sont soumis pourrait être trop basse. S'ajoutent à cet élément d'autres facteurs de l'inflation sous-jacente – l'inflation cœur, comme l'on dit –, notamment la masse salariale.

Plusieurs dispositifs sont consacrés à l'investissement dans les compétences : le financement de France compétences, le plan d'investissement dans les compétences, en cours depuis 2018, le revenu d'engagement pour les jeunes, le plan « compétences » récent… Le Haut Conseil n'est pas la Cour des comptes ; il a une visibilité assez faible de leur articulation et de leurs éventuels recoupements. C'est pourquoi il a mentionné des risques d'exécution.

Le rapporteur général m'a demandé pourquoi nous considérons comme plausible la prévision de croissance pour 2022, qui demeure inchangée, à 4 %. Nous l'avions jugée comme telle dans notre avis du mois de septembre sur le PLF et le PLFSS pour 2022. De fait, elle est proche du consensus des économistes. Mais des évolutions dans les deux sens sont possibles : d'un côté, la croissance risque de pâtir de la dégradation de l'environnement économique mondial si elle devait se confirmer ; de l'autre, de nouvelles mesures de soutien du pouvoir d'achat et de l'investissement sont susceptibles d'entretenir la croissance de l'activité en 2022.

Je n'évoque jamais les débats internes au HCFP. Ils existent, car le Haut Conseil est composé de manière pluraliste : il comprend des économistes de sensibilités et d'origines différentes, des spécialistes des finances publiques et des membres de la Cour des comptes. La prévision de croissance a fait l'objet d'un débat et, en définitive, nous avons estimé qu'il n'était pas possible d'indiquer si les risques à la hausse, comme on dit à Bruxelles, l'emportent sur les risques à la baisse. C'est pourquoi nous avons qualifié la prévision de 4 % de plausible. Certains membres du Haut Conseil estiment que, l'acquis de croissance étant plus fort, la croissance pourrait être plus faible en 2022, tandis que, pour d'autres, certains facteurs fondamentaux laissent à penser que nous pourrions avoir de nouvelles bonnes surprises en matière de croissance.

Le Gouvernement a rehaussé d'un point sa prévision concernant la croissance l'emploi, ce qui représente 0,2 milliard de moindres dépenses dans l'indemnisation du chômage et une amélioration du solde de 0,3 milliard grâce à des recettes supplémentaires. Mais ce résultat pourrait être encore meilleur si, comme nous l'escomptons, la masse salariale augmentait, non pas de 7,2 % mais de 8 %, ainsi que le prévoit l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), par exemple.

Selon la prévision du Gouvernement, le ratio de dette publique serait quasiment stable en 2021, à 115,3 points de PIB, et reculerait en 2022 pour s'établir à 113,5 points de PIB. Il est revu en baisse de 0,3 point de PIB en 2021 par rapport au PLF présenté en septembre du fait de la révision à la baisse de la prévision de déficit, qui passe de 8,4 à 8,1 points de PIB.

La diminution du ratio de dette publique en 2022 est un peu plus prononcée que dans le PLF présenté en septembre : moins 1,8 au lieu de moins 1,5. Cependant, je vous invite à ne pas vous tromper sur l'origine de cette révision : cette plus forte baisse du ratio de dette ne résulte pas d'une réduction du déficit public, car celui-ci est plus élevé que dans le PLF initial, mais traduit une hypothèse de consommation plus importante de la trésorerie de l'État en 2022. Par rapport au PLF initial, le Gouvernement a en effet revu sa chronique de consommation de la trésorerie accumulée en 2020 : la consommation serait moindre en 2021 et plus importante en 2022. C'est ce qui sous-tend les opérations de trésorerie que nous avons mentionnées dans notre avis.

Dès le mois d'avril, le HCFP estimait que l'inflation, notamment sous-jacente, serait plus élevée en 2021 que prévu par le Gouvernement. De fait, elle s'est nettement redressée. Le Gouvernement n'a toutefois pas changé sa prévision par rapport au PLF initial pour 2022. L'augmentation des prix du pétrole depuis septembre, l'amélioration du marché du travail, plus forte qu'attendu, ainsi que la possibilité que la masse salariale augmente devraient plutôt pousser l'inflation à la hausse. Le Haut Conseil considère donc que la prévision d'inflation du Gouvernement pour 2022 semble désormais trop basse.

Les économistes n'attendent pas de hausse entretenue de l'inflation. Les pressions inflationnistes actuelles traduisent des perturbations temporaires, dues à la crise sanitaire. Les progrès de la vaccination et l'émergence de possibles traitements du covid devraient permettre de maîtriser davantage la situation sanitaire et de résoudre progressivement ces difficultés. Toutefois, les risques d'une hausse plus persistante de l'inflation ont clairement augmenté. Une révision des prix du pétrole pour tenir compte de la hausse récente augmenterait l'inflation d'un demi-point en 2022.

Vous m'avez interrogé sur la pérennité des recettes et des dépenses prévues en 2022. Nous décomposons les dépenses ainsi : 3,5 milliards de mesures de pouvoir d'achat, a priori non pérennes ; 2,8 milliards au titre du plan d'investissement France 2030, prévu sur cinq ans, donc pérenne ; 1,2 milliard d'investissement dans les compétences, de même durée ; et une moindre dépense de 2,6 milliards de charges de service public de l'électricité.

Concernant les recettes, tout serait pérenne. Cela représente moins 10 milliards avec la baisse de l'impôt sur les sociétés et de la taxe d'habitation, mais il y a tout de même une incertitude sur la baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), qui dépendra du prix de l'électricité et des choix qui seront faits ultérieurement par le Gouvernement.

La « dette covid » donnera lieu à 1,6 milliard d'euros de remboursement en 2022. Le Gouvernement prévoit de la rembourser en vingt ans. Le Haut Conseil et la Cour des comptes jugent important que le remboursement de la « dette covid » apparaisse dans celui de la dette publique totale, car il n'y a pas de distinction entre les deux. C'est l'ensemble qu'il convient de gérer et de faire baisser.

Vous m'avez demandé si la croissance prévue pour 2022 était plausible. Les développements intervenus depuis septembre – nouvelles mesures de soutien au pouvoir d'achat et à l'investissement, dégradation de la situation économique internationale – jouent dans des sens opposés. Il n'y a donc pas à ce stade de raison de modifier la prévision.

La Banque centrale européenne est indépendante. En tout état de cause, il n'est pas sûr que la BCE accepte de souscrire à de la dette perpétuelle car cela pourrait l'empêcher d'atteindre ses objectifs en matière d'inflation et pourrait apparaître, à certains égards, contradictoire avec les dispositions des traités. Vous m'avez compris, et j'en reste là.

Quand retrouverons-nous un déficit de 3 % ? Le Gouvernement vous a donné un certain nombre de réponses à cet égard. Dans la trajectoire pluriannuelle actualisée, le déficit atteindrait 3 % du PIB en 2026, avec une évolution de la croissance des dépenses en volume de l'ordre de 0,6 % à moyen terme. Dans ce scénario, le ratio de dette publique augmente de plus de 2 points entre 2022 et 2026, la diminution du déficit prévue n'étant pas suffisante pour stabiliser le ratio de dette entre 2023 et 2025. On pourrait s'interroger sur le fait de savoir si c'est la trajectoire qu'il convient d'adopter. Observons que ce n'est pas exactement la trajectoire qu'ont retenue nos principaux partenaires de la zone euro, qui marquent tous une tendance à la diminution de la dette publique. Le Portugal a déjà diminué son ratio de dette de 5 points en un an et envisage de le diminuer encore de 13 points d'ici à 2024, avec un déficit qui sera à 3 % du PIB en 2022. Nous ne sommes pas du tout dans la même situation, nous avons d'autres contraintes, mais je maintiens que le rendez-vous avec le désendettement et la maîtrise de la dépense devra être honoré.

Je terminerai par deux remarques. La première porte sur les propos de Christine Lagarde sur les taux d'intérêt. Elle a fait référence aux taux directeurs de la Banque centrale, donc aux taux courts, alors que j'ai évoqué les taux longs. Même si les taux courts ont un impact sur les taux longs, ils ne sont pas le seul déterminant de ceux-ci, et d'autres facteurs peuvent intervenir. La politique monétaire des États-Unis, par exemple, peut affecter les taux longs si le tapering, ou resserrement de la politique monétaire, se poursuit. Il n'y a donc pas de contradiction avec les déclarations de la présidente de la BCE.

Ma seconde remarque porte sur la dette publique. C'est un débat que nous devrons avoir après juin 2022. Je ne veux pas être un oiseau de mauvais augure et je ne considère pas que la dette publique soit une politique publique. Il est clair, en revanche, et chacun le sait, que trop de dette réduit la marge de manœuvre permettant de conduire des politiques publiques ambitieuses, que ce soit en matière de développement durable ou de cohésion sociale. La dette publique, à un stade excessif, est une mauvaise chose, tant pour l'économie que pour les services publics. C'est pourquoi je me permets de vous dire, sans aucune idéologie ni aucune pression austéritaire, que la France devra traiter cette question dans les années qui viennent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.