Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 3 novembre 2021 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Nous sommes très heureux, avec Olivier Dussopt, de vous présenter le projet de loi de finances rectificative et les amendements au projet de loi de finances pour 2022.

Le contexte économique est très favorable à la France : l'investissement est dynamique, la France est la nation la plus attractive pour les investissements étrangers, la consommation a augmenté de 5 % au troisième trimestre et la croissance a atteint 3 % pour le seul troisième trimestre 2021 – le meilleur chiffre depuis 1968. Cela nous permet de confirmer la prévision de croissance de 6,25 % pour l'année 2021.

J'entends déjà les remarques sur les recettes fiscales supplémentaires que pourrait engendrer cette croissance. Je veux être clair : il n'y a pas de cagnotte quand on a plus de 8 % de déficit. Par conséquent, chaque euro de recettes fiscales supplémentaires ira, en 2021, à la réduction du déficit public et de la dette publique, avec l'objectif de passer de 8,1 % à 8 % de déficit public en 2021.

Nous devons ces très bons résultats économiques à trois décisions politiques. La première tient au choix que nous avons fait depuis 2017 d'une politique de l'offre, d'une amélioration de la compétitivité des entreprises et de la baisse des impôts. Si les Français consomment aujourd'hui, c'est qu'ils savent que la majorité n'augmentera pas les impôts et qu'ils n'ont pas besoin de constituer d'épargne de précaution. Depuis le début du quinquennat, nous avons baissé les impôts de 26 milliards d'euros pour les ménages et de 26 milliards d'euros pour les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises. Nous avons également simplifié la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, réformé le marché du travail et réformé l'assurance chômage pour inciter au retour à l'emploi. Tout cela donne des résultats durables et que nous retrouvons dans les chiffres de croissance.

La deuxième raison, c'est que nous avons massivement protégé les Français, les entreprises et les salariés pendant la crise. Nous n'avons pas « cramé la caisse » : nous avons éteint l'incendie économique et évité d'avoir à dépenser davantage d'argent ensuite pour restaurer l'emploi et redresser les entreprises qui auraient fait faillite. Nous avons protégé les salariés en mettant en place le dispositif d'activité partielle le plus généreux de tous les pays européens et qui a coûté 36 milliards d'euros aux finances publiques. Cette protection est allée d'abord aux salariés les plus modestes puisque les salariés au niveau du SMIC ont été protégés à 100 % de leur risque de perte salariale.

Nous avons également sauvé des entreprises de la faillite, notamment avec les prêts garantis par l'État pour 142 milliards d'euros ; le nombre de faillites est bien inférieur à celui que nous connaissions avant la crise économique. Nous avons également protégé les commerçants, les artisans et les indépendants avec le fonds de solidarité, lequel a représenté une dépense publique de 37 milliards d'euros. Ma conviction est très simple : protéger vaut mieux que réparer, et protéger est moins coûteux pour les finances publiques que réparer les dégâts considérables qui auraient été causés par la crise économique si nous n'avions pas agi avec force, avec rapidité et avec constance depuis le premier jour. La majorité peut être fière du choix économique qu'elle a fait il y a près de deux ans.

Enfin, troisième raison, la relance économique, de 100 milliards d'euros, est un succès. Elle a été fondée sur des principes simples : 30 milliards pour le climat, 35 milliards pour la compétitivité des entreprises et 30 milliards pour la cohésion sociale et territoriale, en particulier le soutien à l'emploi des jeunes. Avec 55 milliards d'euros déjà engagés, nous sommes un des pays européens dans lequel le dispositif de relance s'est déployé le plus rapidement.

Enfin, nous avons fait preuve de souplesse. Nous avons été très transparents sur la méthode de décaissement du plan de relance. Les dispositifs qui ne fonctionnent pas ont vocation à être redéployés vers les dispositifs qui fonctionnent pour alimenter la croissance et créer des emplois. Nous avons donc prévu 8 milliards d'euros de redéploiement, dont 2,3 milliards d'euros sont traduits dans le cadre du présent projet de loi de finances rectificative pour 2021.

Ces résultats aboutissent à une situation économique nouvelle pour notre pays, celle d'une baisse continue du chômage. Nous avons retrouvé le niveau d'activité que nous avions avant la crise avec près de trois mois d'avance. L'INSEE prévoit un taux de chômage de 7,6 % au troisième trimestre 2021 : c'est le taux le plus bas depuis 2008. Si nous poursuivons dans cette direction avec la même politique, avec la même lisibilité et avec la même constance, nous pourrons retrouver les années de prospérité que nous avons connues il y a un peu plus d'un demi-siècle, quand la France avait le plein-emploi et n'était pas condamnée au chômage de masse.

Ce résultat satisfaisant doit nous inciter à faire en sorte que le travail paye. Chacun doit avoir un emploi lui permettant de vivre dignement de son activité. C'est ce que la majorité a fait depuis 2017 en créant des dispositifs qui permettent à un salarié payé au SMIC de passer de 1 259 euros net par mois à 1 490 euros, à savoir la prime d'activité, la défiscalisation des heures supplémentaires, la défiscalisation des pourboires, la suppression des cotisations patronales au niveau du SMIC ou encore le développement de l'intéressement et de la participation. Ces promesses faites par le Président de la République ont été tenues.

L'État ayant fait sa part du chemin, c'est désormais aux branches et aux entreprises de faire le pas nécessaire pour rendre les métiers plus attractifs et favoriser le recrutement. Un travail qui paye ne peut pas reposer uniquement sur les décisions de l'État et sur des dépenses publiques : cela doit reposer aussi sur l'engagement des entreprises, notamment dans les filières qui ont le plus de difficultés de recrutement.

Pour autant, nous ne négligeons pas les défis de la sortie de crise, qui sont très importants. C'est à nous de faire en sorte de les relever, en fixant un cap clair, de façon à ce que l'économie française se redresse dans la durée, que les problèmes structurels de notre économie soient définitivement réglés et que chaque Français trouve un emploi rémunérateur.

Le premier défi est celui de l'inflation. Si celle-ci occupe aujourd'hui le devant de la scène, nous estimons que cela reste une difficulté conjoncturelle. Le niveau de l'inflation s'explique par des facteurs qui se conjuguent en sortie de crise : les économies, qui redémarrent vite et fort, ont un besoin important d'énergie, de matières premières et de semi-conducteurs, expliquant l'augmentation conjoncturelle des prix, que nous suivons avec la plus grande attention. Notre responsabilité est de protéger les Français face à des hausses qui seraient insupportables, en particulier celle des prix de l'énergie. Le prix du gaz sur les marchés a été multiplié par six et le prix de l'électricité est probablement le sujet le plus préoccupant puisque nous allons connaître une explosion des usages de l'électricité dans les années qui viennent ; or nous ne pouvons pas exposer les Français à une augmentation des prix de l'électricité.

La réponse conjoncturelle consiste à plafonner l'augmentation des prix de l'électricité à 4 %. Si nous n'étions pas intervenus, la facture d'électricité des Français aurait dû augmenter d'au moins 15 % à la fin du mois de janvier. C'est l'État qui prendra à sa charge les onze points d'écart : nous protégeons les Français contre l'augmentation des prix de l'électricité.

La réponse de moyen terme, c'est de transformer le marché européen de l'énergie : nous ne pouvons pas accepter que le coût de l'électricité dépende du coût marginal de production du gaz. Notre mix énergétique nous permet d'être plus indépendants du gaz que d'autres nations européennes, et nous n'avons pas à payer pour les choix énergétiques d'autres pays.

Enfin, la solution de long terme, c'est celle d'un mix énergétique qui nous permet d'être davantage indépendants de la production de gaz, notamment avec le soutien à la filière nucléaire et avec un équilibre énergétique entre le développement massif des énergies renouvelables et le maintien d'installations nucléaires performantes, modernes, capables de nous approvisionner en énergies décarbonées.

Nous avons donc pris les décisions nécessaires pour protéger les Français à court terme. Elles figurent dans le PLFR pour le chèque énergie – 100 euros pour 6 millions de ménages – et pour l'indemnité inflation de 100 euros, qui concernera 38 millions de Français. Le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l'électricité figurera quant à lui dans le projet de loi de finances pour 2022.

Le deuxième défi est celui de notre indépendance technologique et de la relocalisation de nos chaînes de valeur. C'est le défi le plus important au lendemain de la crise. Si nous voulons que l'économie française reste une des grandes économies mondiales, elle doit maîtriser les chaînes de valeur dans les technologies les plus sensibles. Il n'y a pas d'indépendance politique sans indépendance technologique, et il n'y a pas de souveraineté politique sans souveraineté technologique. Je ne vois pas comment on peut se dire souverain quand on n'a plus de lanceurs spatiaux, quand les communications dépendent de satellites étrangers, quand la 5G est maîtrisée par des puissances étrangères ou quand la production d'énergie dépend de leur bon vouloir. Il est donc indispensable de poursuivre la relocalisation des chaînes de valeur et de bâtir notre indépendance technologique.

Cela suppose, et cela figure dans le plan France 2030, de rattraper notre retard dans certains secteurs où la France a des atouts mais doit s'adapter aux transformations en cours : le nucléaire, avec des investissements dans les réacteurs de petite et de moyennes puissances ; le spatial, avec l'investissement indispensable dans de nouveaux lanceurs ; les semi-conducteurs, cette crise ayant montré que ne pas maîtriser davantage cette filière nous exposait à une dépendance à l'égard de la Corée du sud, de Taïwan ou des États-Unis qui pouvait mener à la fermeture ou au fonctionnement à régime très réduit de certaines installations industrielles, notamment dans l'automobile.

Le deuxième objectif, c'est de prendre un temps d'avance sur d'autres technologies dont dépend notre souveraineté, comme les biotechnologies et l'hydrogène vert – la France peut être un champion mondial dans ce secteur. Ce plan d'investissement figurera dans les amendements que nous avons déposés. Nous soumettons ainsi à votre décision 34 milliards d'euros d'autorisations d'engagement – 30 milliards de crédits budgétaires et 4 milliards pour des investissements en fonds propres – et 3,5 milliards d'euros de crédits de paiement.

Nous vous soumettons l'ouverture de l'intégralité des autorisations d'engagement parce que ce choix stratégique engage la nation française tout entière, dépasse les clivages qui peuvent être ceux de l'Assemblée nationale et permet de sanctuariser ces crédits pour inscrire nos ambitions en matière d'indépendance technologique dans la durée. Tous ces investissements ont besoin de visibilité sur le long terme et d'un calendrier clair et transparent.

Le troisième défi est celui de la maîtrise de nos comptes publics et de la dette. La protection des entreprises et des salariés a évidemment creusé la dette publique. Nous prévoyons pour l'année 2022 un déficit de 5 % et une dette de 113,5 %, contre les 114 % prévus lors de la présentation initiale du projet de loi de finances – nous avons revu ce chiffre pour tenir compte de la croissance.

Le remboursement de la dette est une obligation impérative vis-à-vis des générations qui viennent, pour assurer la crédibilité française par rapport à ses partenaires européens et pour éviter d'avoir à dépenser de l'argent public afin de rembourser une charge d'intérêt qui irait en augmentant avec le temps. Le remboursement de la dette suivra la même politique que celle que nous avons suivie depuis 2017 : aucune augmentation d'impôts, une croissance plus forte, des réformes de structure comme celle de l'assurance chômage ou la réforme des retraites, et une meilleure gouvernance comme la règle pluriannuelle de stabilisation des dépenses publiques.

Enfin, vous me permettrez de clore mon propos en faisant figurer parmi ces défis structurels l'importance de lutter contre la divergence croissante entre les pays développés et ceux en développement. Réduire les inégalités doit rester un objectif majeur de la France. Cela passe par un soutien au développement des pays qui ont le plus de mal à faire face aux conséquences sanitaires et économiques de la crise que nous venons de connaître. Alors que les pays développés ont consacré 25 % de leur PNB à la protection et à la relance de leur économie, les pays en développement n'en ont consacré que 2,5 % : le risque est donc considérable que les inégalités s'accroissent au lendemain de la crise, avec tous les problèmes de stabilité et tous les problèmes politiques et sociaux que cela peut poser.

La réduction des inégalités passe également par une nouvelle taxation internationale. Nous pouvons tous nous féliciter de l'accord qui a été trouvé au G20, il y a quelques jours, sur un nouveau système de taxation internationale qui permettra enfin, après quatre années d'efforts de la France, de taxer à leur juste valeur les géants du numérique et la commercialisation des données. Il permettra également d'éviter l'optimisation fiscale en taxant à 15 % au minimum les profits de toutes les multinationales qui, jusqu'à présent, avaient la possibilité de délocaliser leurs profits pour échapper à l'impôt. La lutte contre les inégalités passe aussi par plus d'efficacité et de justice fiscales.

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