Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 3 novembre 2021 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre :

Concernant l'affectation des recettes supplémentaires, la prévision de croissance s'élève à 6,25 % pour 2021. La croissance pour le troisième trimestre atteint les 3 %, ce qui est le meilleur résultat depuis 1968 – n'en déplaise à certains. Sauf accident en fin d'année, la croissance pourrait dépasser 6,25 % en 2021. Chaque dixième de point supplémentaire se traduit par des recettes fiscales supplémentaires à compter de l'examen de ce PLFR. Ce ne sera pas 8 milliards d'euros puisque nous arrivons au terme de l'exercice mais nous pouvons espérer 3 ou 5 milliards. Si c'était le cas, nous consacrerions l'intégralité de ces recettes fiscales supplémentaires à la réduction du déficit et de la dette, en tenant compte de l'avis du Haut Conseil des finances publiques. C'est vrai, nous avons dû faire face à des dépenses supplémentaires imprévues, notamment pour protéger les Français contre la hausse des prix, surtout celle de l'énergie.

Pour ce qui est de l'inflation, nous devons faire preuve d'humilité. Les débats sont infinis entre les économistes, les ministres des finances, les spécialistes, pour déterminer si elle est conjoncturelle ou structurelle. Elle est d'abord liée à la reprise de l'activité économique plus rapide que prévu. La demande se fait donc plus pressante de composants, de semi-conducteurs, de matériaux et d'énergie. Dans les prochains mois, lorsque l'équilibre sera restauré entre l'offre et la demande, il n'y a pas de raison que cette inflation demeure.

S'agissant de la dette publique, sa réduction tient à l'accélération de la croissance. Nous sommes au cœur de la stratégie du Gouvernement : pour réduire la dette sans faire souffrir les Français, il faut augmenter la croissance. Ainsi, les 30 milliards d'euros du plan d'investissements devraient engendrer 45 milliards de richesses supplémentaires pour le pays. Cette dépense permettra d'accroître la croissance et de réduire, par conséquent, notre endettement. Nous ne souhaitons pas aller plus vite que ce que nous avons prévu et nous respecterons le calendrier que nous nous sommes fixés pour ne pas prendre le risque de casser la croissance. En revanche, nous devrons poursuivre le rythme des mesures structurelles, à l'image de la réforme de l'assurance chômage, pour réduire encore la dette publique.

J'en viens à la gouvernance de France 2030, dont dépendra l'efficacité du plan d'investissements. Nous devons prendre le temps nécessaire pour réfléchir à la meilleure combinaison possible. Je souhaite y associer les parlementaires ; certains siègent déjà au comité de surveillance des investissements d'avenir. Les autres parties prenantes seront associées, qu'il s'agisse des universitaires, des chercheurs, des industriels, des investisseurs, sans négliger les avis étrangers. J'ai passé une demi-journée à Washington dans les locaux de la DARPA – l'agence chargée de la recherche et du développement des nouvelles technologies. Sa logique est radicalement différente de la nôtre. Nous pourrions nous en inspirer.

Cette gouvernance devra obéir à quatre principes, au moins. Il faudra tout d'abord unifier France 2030 et le PIA. Nous ne devons pas multiplier les sources d'investissements. Par ailleurs, la simplicité doit être la règle. Ensuite, dans un souci de transparence, des comptes doivent être régulièrement rendus au Parlement. Rappelons que nous sommes la première majorité à avoir instauré, en même temps qu'un plan de relance, une évaluation indépendante à laquelle vous êtes associés, sous l'autorité de Benoît Coeuré, pour le bon décaissement des crédits et leur emploi. Je suis très attaché au pouvoir de contrôle du Parlement. Enfin, le dernier principe est celui de l'indépendance. Les crédits ne doivent pas être capturés par des intérêts particuliers ou des logiques politiques. L'intérêt national doit présider au décaissement de ces crédits. Cela suppose un fonctionnement auquel nous ne sommes pas habitués : la direction ne serait pas assurée par un politique ni par des groupes d'intérêt.

S'agissant des prix de l'énergie et du ratio entre les dépenses et les recettes, je voudrais tordre le cou à une idée reçue : l'État ne se fait pas d'argent sur le dos des Français à l'occasion de cette crise énergétique. Au contraire, il en perd ! Les dépenses engagées pour protéger les Français sont supérieures aux recettes fiscales, d'autant plus réduites que les résultats des entreprises sont moins bons.

En 2021, l'indemnité inflation nous coûtera 1,5 milliard d'euros, le blocage des prix du gaz, 500 millions d'euros et le chèque énergie, 600 millions d'euros, soit 2,6 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Parallèlement, les recettes supplémentaires se sont élevées à 1,5 milliard d'euros.

En 2022, la hausse des prix de l'électricité sera plafonnée à 4 % au lieu de 15 %. L'État prendra en charge la différence, ce qui représente 5,9 milliards d'euros. À cela s'ajoutent 1,2 milliard d'euros de mesures de soutien aux gaziers et 2,3 milliards d'euros pour l'indemnité inflation. Les dépenses supplémentaires pour faire face à la crise énergétique s'élèvent donc à 9,4 milliards. En revanche, nous gagnons 2,3 milliards du fait de recettes supplémentaires ou de la réduction des dépenses.

En 2021 et 2022, les dépenses publiques supplémentaires pour surmonter la crise énergétique s'élèvent à 12 milliards d'euros. Or, les recettes ne sont que de 3,8 milliards d'euros. Le solde public négatif supplémentaire s'établit donc à 8,2 milliards d'euros. Si nous n'avions pris aucune mesure, nous n'en serions pas là et l'État aurait pu s'y retrouver. Nous avons préféré protéger les Français.

Mme Dalloz me demande comment ont été choisis les secteurs dans le cadre du plan d'investissements. Le travail aura duré près de six mois. Nous avons consulté les parlementaires, les filières, les économistes, des scientifiques. Nous avons choisi de cibler un nombre réduit de filières pour éviter le saupoudrage. Nous avons croisé trois facteurs, dans le cadre de la nécessaire accélération de la transition écologique. Le premier facteur est l'existence d'un marché. Ainsi, celui des semi-conducteurs ou de l'hydrogène explose. Le deuxième est l'existence d'une base industrielle française. Nous avons fait le choix des biotechnologies, de l'hydrogène, des semi-conducteurs parce que nous avons, dans ces secteurs, des start-up ou des PME très dynamiques. Le troisième facteur tient aux compétences, aux formations et à la qualification. Il est d'ailleurs parfois nécessaire d'ouvrir des filières entières de formation pour répondre aux besoins d'emplois dans ces domaines – l'intelligence artificielle, l'hydrogène, les électrolyseurs, etc…D'un côté, l'État doit accompagner les mutations car certaines capacités industrielles sont menacées. De l'autre, il faut former et qualifier dans des domaines où des emplois se créent.

Monsieur Mattei, il est encore trop tôt pour savoir si la croissance sera plus importante que prévu en 2022. Je maintiens donc les prévisions de 4 % pour 2022 et 6,25 % pour 2021. Je vous remercie pour vos propos concernant l'impôt mondial sur les multinationales. Pour certains, bien sûr, ce n'est pas assez. En tout cas, en 2017, personne n'y croyait ! Au bout de quatre ans, nous y sommes ! Impossible n'est pas français.

S'agissant de la transmission des entreprises, nous avons pris des mesures, notamment le régime Dutreil que la loi PACTE a modifié. Faut-il aller plus loin ? Le débat est ouvert.

La fiscalité verte est l'un des grands défis politiques que nous devons relever. Nous ne gagnerons pas le combat contre le réchauffement climatique sans un prix carbone. Or, ce prix carbone est insupportable pour des millions de nos compatriotes, en particulier les plus modestes. Nous devrons trouver des mesures d'accompagnement. Je vous propose d'engager le débat pour faire tomber nombre de tabous. Ainsi, il me semblerait possible de remettre en cause le principe de non affectation des recettes pour que les recettes liées aux énergies fossiles financent la transition écologique. Des mécanismes d'accompagnement pourraient être décidés. Certains existent déjà – MaPrimeRénov', les primes à la conversion, les soutiens à l'achat d'un véhicule électrique. Nous pourrions également nous inspirer des modèles étrangers, en particulier du dividende vert canadien qui permet de récompenser des comportements vertueux par des dividendes financiers. Enfin, dès lors que l'on demande un effort à nos grands industriels, nous devons instaurer une taxe carbone aux frontières car on ne peut faire payer deux fois nos industriels, pour décarboner leur industrie et pour livrer une compétition inégale face à des industriels qui utilisent de l'acier produit via des centrales à charbon, en Chine ou en Turquie.

La question environnementale est d'abord financière. Séparer finance et environnement serait une erreur. Les coûts sont tellement vertigineux que si l'on se contente de grands principes sans se préoccuper de savoir qui paie, on ne résoudra pas le problème climatique.

L'hydrogène vert fait partie des secteurs dans lesquels nous voulons investir massivement car nous avons un atout : une électricité décarbonée pour faire tourner les électrolyseurs. Nous pouvons donc être leaders dans l'hydrogène vert et espérer poser, d'ici à quelques mois, les premières pierres des électrolyseurs les plus puissants au monde.

Le grand plan d'investissement était beaucoup plus transversal que le plan France 2030 puisqu'il allait des compétences au PIA en passant par la transition écologique et le numérique. Au contraire, nous ciblons un nombre réduit de filières industrielles qui doivent nous permettre de retrouver notre souveraineté sur des chaînes de valeur.

La politique que nous menons bénéficie donc à tous les Français puisqu'elle crée des emplois et protège les salariés, en particulier, ceux dont le salaire se situe au niveau du SMIC. Selon les derniers résultats publiés à quinze heures par l'INSEE, la pauvreté n'a pas augmenté en France à la suite de la crise sanitaire, contrairement à ce que l'on entend dire trop souvent. Non, on ne compte pas un million de pauvres supplémentaire ! Il n'y a certes pas lieu de se satisfaire d'une stabilisation de la pauvreté mais nous pouvons tout de même considérer que nous avons fait le travail qu'il fallait pour protéger les plus fragiles en empêchant les faillites et en faisant baisser le chômage alors que, dans un contexte d'effondrement du PNB et de l'activité économique, les risques de faillites et d'une explosion du chômage étaient considérables.

Je suis favorable à une réflexion sur les contrats énergétiques à moyen terme tant la question des électro-intensifs sera fondamentale dans les années à venir. Nos fleurons industriels ont besoin de la stabilité des prix ; nous en discutons avec la Commission européenne. À propos des entreprises que vous avez mentionnées, je vous assure que nous sommes mobilisés pour essayer de trouver des solutions et éviter des fermetures d'usines.

Nous n'avons pas d'inquiétude sur les PGE. J'entends dire ici ou là que des entreprises ne pourront pas les rembourser mais telle n'est pas l'analyse de la Banque de France et cela ne correspond pas non plus aux chiffres dont nous disposons. L'immense majorité des entreprises pourra les rembourser. Je ne pense pas que des mesures transversales s'imposent pour repousser des échéances mais, en revanche, nous accompagnerons spécifiquement telle ou telle entreprise dans tel ou tel territoire. Je m'y engage : nous ne laisserons tomber personne.

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