Je remercie le président-rapporteur pour la qualité de ses travaux sur ce sujet technique dont on ne maîtrise pas encore tous les aspects.
Le marché des crypto-actifs est en plein essor, avec une capitalisation mondiale qui a atteint 3 000 milliards de dollars en novembre dernier. C'est donc un enjeu de l'économie de demain, et déjà de celle d'aujourd'hui. Nous savons gré à notre commission de s'en saisir pleinement.
Une partie des recommandations du rapport de la mission d'information ont été mises en œuvre, ce dont nous nous réjouissons, mais nous devons encore cheminer en bonne intelligence vers la mise en place d'un cadre juridique cohérent, juste et complet. J'avais déposé des amendements en ce sens lors de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2022. Deux d'entre eux ont été adoptés, permettant, d'une part, que les produits des opérations d'achat, de vente et d'échange d'actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité professionnelle soient soumis au régime des bénéfices non commerciaux et, d'autre part, que les particuliers aient la possibilité d'opter pour le barème progressif de l'impôt sur le revenu.
De manière plus générale, nous partageons le constat qu'il faut agir à l'échelon européen, développer la technologie blockchain et mettre en place une régulation protectrice de l'intérêt général, sans qu'elle pèse sur la compétitivité du marché européen.
Pouvez-vous en dire plus sur l'euro numérique : dans quelle mesure cet outil supplémentaire pourrait-il renforcer notre monnaie commune ?
M. Michel Castellani. Je remercie le rapporteur.
Manifestement, les crypto-actifs ne sont pas une monnaie : ils n'en satisfont que le dernier des trois critères classiques. Ils sont très volatils, offrent peu de sécurité face aux arnaques, permettent relativement facilement le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme et ont une incidence environnementale considérable. En même temps, ils existent, montent en puissance et favorisent les échanges. Ils répondent à une demande.
Pour l'autorité publique, la question est de savoir s'il faut les laisser se développer librement au nom de la liberté d'entreprendre ou les réglementer. Si l'on choisit de les réglementer, comment le faire dans un domaine furtif qui ne connaît pas d'institution de contrôle ? L'évocation d'une monnaie numérique mise en place par une banque centrale n'est-elle pas un oxymore ?
M. Jean-Paul Dufrègne. Merci pour cette présentation fort utile. Les crypto-actifs sont des actifs bien plus que des monnaies. Hormis au Salvador, aucun crypto-actif n'a cours légal et ne permet, notamment, de payer ses impôts. Or une monnaie est un fait social et participe de la souveraineté.
Les crypto-actifs constituent une énième innovation financière visant à toujours plus de spéculation, comme le prouvent certains niveaux de valorisation complètement hors sol. Ces éléments font peser un certain nombre de risques. Le rapporteur a évoqué le blanchiment d'argent ou le financement d'activités illégales – l'on s'en donne à cœur joie – mais j'en vois un autre, à savoir celui de l'instabilité financière, car un tel actif sur lequel les régulateurs n'ont aucune prise demeure un candidat parfait pour l'émergence de bulles spéculatives qui pourraient se révéler particulièrement dangereuses. Il serait intéressant de savoir comment, d'un point de vue macroéconomique, les banques centrales intègrent ce nouveau risque dans leur politique de stabilité financière.
J'ai également lu dans le rapport qu'il était essentiel de soutenir l'innovation en matière de blockchain. De nombreuses banques centrales, comme la Banque centrale européenne ou la Banque d'Angleterre, ont d'ailleurs évoqué la possibilité d'utiliser cette technologie pour développer leur propre monnaie électronique. Or les activités numériques représentent aujourd'hui près de 4 % des émissions de gaz à effet de serre – un chiffre en constante augmentation. La blockchain est extrêmement énergivore et sa généralisation, aussi intéressante qu'elle puisse être, pose de nombreuses difficultés, avec des coûts environnementaux majeurs pour des effets positifs qui me laissent toujours dubitatifs : spéculation et compagnie…
M. Jean-Louis Bricout. Il s'agit d'un univers quelque peu particulier dont la compréhension ne va pas de soi.
La proposition n° 25 de la mission d'information portait sur l'inclusion de modules dans l'enseignement secondaire et supérieur, pour former les entrepreneurs de demain. Une telle formation initiale vous paraîtrait-elle suffisante ? Une information ne devrait-elle pas être délivrée à un public plus large ? Près de 80 % des heures de formation sont dispensées dans le bassin parisien : quelles seraient les solutions contre cette fracture territoriale ?
M. Éric Woerth, rapporteur. Je suis d'accord avec le rapporteur général sur la nécessité de progresser par étapes, en prenant le temps de comprendre si la régulation a un sens et de l'intégrer au moins au niveau européen. En réalité, c'est ainsi que cela se passe : des propositions émergent de projet de loi de finances en projet de loi de finances, en fonction de la création de nouveaux actifs cryptés ou des évolutions du régulateur lui-même.
La vraie question est celle des usages. Les différentes banques centrales n'ont pas nécessairement la même définition ou la même volonté politique. Les intentions de la Banque populaire de Chine ne sont pas celles de la Banque centrale européenne.
Doit-on favoriser les investissements dans l'économie réelle en modifiant le cadre fiscal applicable à la réalisation de plus-values ? C'est souvent ainsi qu'on procède en France. Chacun comprend ce que j'entends ici en parlant de l'économie réelle. Je n'ai pas la certitude que cette proposition serait suffisamment incitative. Il est vrai que les NFT sont un cas d'usage très particulier. Toutefois, quand il existe un marché de 3 000 milliards de dollars de capitalisation, il n'est pas inutile de se demander si une réorientation des flux vers l'économie réelle, qui a besoin de développer ses investissements, est possible. Si la France adoptait une telle initiative, sans doute faudrait-il la borner dans le temps afin d'éviter les abus.
Concernant les stablecoins, il est probable que les investisseurs ne souhaitent pas demeurer au cœur de la tempête après avoir réalisé une plus-value importante et décident d'aller temporairement se reposer au port. Avant l'apparition de ces actifs, il n'existait pas de port en eau tranquille dans l'univers des crypto-actifs. Les stablecoins remplissent ce rôle et permettent aux investisseurs de conserver leurs actifs dans l'univers des crypto-actifs tout en échappant à la volatilité et à la fiscalité. Pour éviter que ces capitaux dorment, des incitations fiscales sont nécessaires.
La Banque de France n'a pas évoqué de risque particulier lié aux pratiques d'acquisition de crypto-actifs par de l'endettement. Je ne peux donc vous dire s'il existe un risque de bulle numérique. Sans doute faudrait-il mener des travaux plus approfondis sur ce sujet.
Concernant le régime fiscal applicable aux personnes réalisant des plus-values à titre occasionnel, une solution a été proposée dans le cadre de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2022. Nous constatons qu'un certain nombre de personnes agissent comme des professionnels sans en être, en raison de la nécessité de développer rapidement des compétences dans ce domaine et de s'y consacrer pleinement. Les opérations réalisées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité professionnelle sont actuellement comptabilisées comme des bénéfices industriels et commerciaux. Or les frontières permettant de distinguer l'activité professionnelle de l'activité non professionnelle dans le cadre de ce régime d'imposition ne sont pas optimales. En conséquence, l'Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant d'assujettir ces opérations aux bénéfices non commerciaux. L'application de ce régime davantage adapté permettra d'utiliser des définitions plus précises en ce qui concerne l'appréciation des plus-values perçues à titre occasionnel ou habituel. Néanmoins, la doctrine fiscale reste à développer sur ce point.
Je n'ai pas d'avis définitif concernant le montant de l'abattement forfaitaire en-dessous duquel les plus-values réalisées en crypto-actifs ne sont pas imposées. Le rapport de la mission d'information proposait de porter cet abattement de 305 euros à 3 000 euros. Je n'avais personnellement pas soutenu cette proposition. On peut sans doute discuter du montant optimal de cet abattement. Il n'existe pas de critère permettant de fixer objectivement ce seuil, ce qui explique en partie pourquoi l'Assemblée nationale a choisi, lors de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2022, de ne pas adopter cette mesure.
L'Assemblée nationale a également rejeté un amendement visant à aligner le régime fiscal des attributions de jetons gratuites sur le régime applicable aux attributions d'actions gratuites. Le législateur, tout comme Bercy, se sont montrés prudents sur ce sujet, qui n'a pas encore été totalement investigué. Comme souvent, on essaye d'étendre aux actifs numériques les régimes d'imposition existants. Il me semble malaisé de considérer que les attributions de jetons gratuites ont exactement les mêmes caractéristiques que les attributions d'actions gratuites. Je considère néanmoins que les travaux doivent se poursuivre sur ce sujet.
Si le blanchiment de capitaux et l'évasion fiscale sont des sujets indissociables des crypto-actifs, nous n'avons pas creusé les questions liées aux méthodes utilisées par les fraudeurs ou l'utilisation qu'ils font des actifs numériques. Les initiatives portées par le groupe international J5 n'ont donc pas fait l'objet de développement dans le cadre du rapport de suivi. Cela mériterait sans doute un rapport d'information à part entière.
Chaque pays est maître de sa monnaie, il n'en existe donc pas une définition mondiale. En revanche, nous avons besoin d'une définition européenne. Le projet de règlement MiCA est important, car il permettra d'harmoniser la définition des crypto-actifs au sein de l'Union européenne.
Le Salvador a effectivement adopté le bitcoin comme seconde monnaie légale, aux côtés du dollar américain. L'équivalent de 30 dollars en bitcoin a été distribué à chaque Salvadorien qui ouvrait un compte en bitcoin. L'ouverture d'un compte et l'utilisation des bitcoins requièrent certaines compétences techniques. Je ne suis pas certain que l'intégralité de la population s'en soit saisie. Par ailleurs, l'adoption du bitcoin par le Salvador est en partie liée aux flux financiers émanant des Salvadoriens résidant à l'étranger. En réalité, le Salvador essaye de substituer à une monnaie locale vacillante une autre monnaie sûrement tout aussi vacillante mais considérée comme plus forte. Je rappelle que le bitcoin n'est pas une monnaie et ne présente quasiment aucune des caractéristiques d'une monnaie. C'est une valeur spéculative.
À ce stade, les crypto-actifs ne génèrent pas d'atteinte excessive à la vie privée. Toutefois, la blockchain utilisée par des entreprises ou des particuliers pour sécuriser des transactions favorise une grande traçabilité, sous réserve de lever l'anonymat. S'ils étaient utilisés comme moyens de paiement à grande échelle, les actifs numériques seraient soumis à la même traçabilité, contrairement à l'argent liquide utilisé aujourd'hui. Il y a donc un risque potentiel d'atteinte à la vie privée.
Nous l'avions dit lors de la remise du rapport de la mission d'information, en 2019, de même que le ministre au banc lors de l'examen de la loi PACTE, il convient d'éviter que la France prenne du retard en matière de blockchain et de crypto-actifs. Personne ne sous-estime ces technologies et leurs usages. Toutefois, il est impensable que le secteur des crypto-actifs ne soit pas régulé. Il faut continuer à appliquer le principe « mêmes activités, mêmes risques, mêmes règles ». Pour certains actifs, on peut appliquer les règles existantes ; cela vaut notamment pour ceux qui sont assimilables à des titres financiers classiques. En cas d'absence de règles, il convient de développer des régimes spécifiques, par exemple pour les NFT. C'est ce que font d'autres pays et aussi ce que propose la Commission européenne.
Je ne sais pas si des crédits du plan de relance ou du plan d'investissement « France 2030 » sont consacrés aux technologies blockchain. Peut-être le rapporteur général, rapporteur de cette mission budgétaire, pourra-t-il nous le dire ?