Intervention de Christian Charpy

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes :

Les observations définitives que nous vous présentons aujourd'hui sont le fruit d'une enquête réalisée par une formation inter-chambres de la Cour et constituent une synthèse des travaux réalisés par les différentes chambres concernées par ce sujet, en particulier ceux de la première chambre, que je préside, sur le « PIA numérique » et le rôle de la Caisse des dépôts et consignations dans la mise en œuvre des PIA.

Ces travaux ont donné lieu – ce n'est pas si fréquent – à un référé du Premier président de la Cour des comptes, envoyé au Premier ministre le 28 juillet 2021, qui a été rendu public, avec la réponse du Premier ministre, au mois de septembre dernier. Il en résulte les observations définitives que je viens vous présenter aujourd'hui, en quatre parties respectivement consacrées aux moyens, à la mise en œuvre, à quelques critiques concernant la démarche de performance et d'évaluation qui reste trop limitée et à la nécessité de fixer la place des PIA dans la politique globale de soutien à l'investissement.

S'agissant des moyens, je me concentrerai sur les trois premiers PIA de la période sur laquelle a porté notre contrôle, auxquels des moyens importants ont été consacrés, puisque près de 57 milliards d'euros ont été engagés.

Le premier PIA comportait toutefois une proportion très importante de dotations non consommables : affectées à un opérateur, elles étaient placées auprès du Trésor, qui lui versait des intérêts quelque peu fictifs. Cela permettait de ne pas les consommer tout en dégageant des crédits pour les établissements concernés.

Les montants engagés dans le cadre des deuxième et troisième PIA étaient plus modestes : entre 10 et 12 milliards d'euros pour l'un et l'autre, dont une part progressivement plus importante accordée aux dotations en fonds propres, afin de soutenir les entreprises et leurs investissements. Ce dispositif a permis de poursuivre les priorités affichées par le rapport rendu en 2009 par la commission sur les priorités d'avenir financées par l'emprunt, présidée par MM. Alain Juppé et Michel Rocard. Une part significative des moyens était accordée à la recherche et à l'enseignement supérieur – surtout à la recherche –, mais aussi à l'économie, avec un effort important sur l'innovation. Le reste était plus résiduel.

Dans le cadre du troisième PIA, les moyens ont été reconfigurés en une mission budgétaire comportant trois programmes Accélération de la modernisation des entreprises, Valorisation de la recherche et Soutien des progrès de l'enseignement et de la recherche. Cette reconfiguration faisait suite à certaines des critiques émises par la Cour sur le cadre très dérogatoire des premier et deuxième PIA. Le troisième PIA suivait ainsi davantage une logique budgétaire, plus conforme à la LOLF, les trois programmes permettant de mieux définir les rôles ainsi que les priorités sur chacun des axes du PIA.

Cette reconfiguration a aussi permis de clarifier le contrôle par le Parlement de l'utilisation des crédits. Précédemment, le système des dotations non consommables avait comme inconvénient que le Parlement votait un montant global de crédits, dont une partie étaient décaissés au profit des opérateurs, sans que l'on puisse en contrôler l'utilisation.

Autre point de complexité, une partie des crédits du troisième PIA ont ensuite été intégrés dans le Grand plan d'investissement (GPI). Nous avons, à partir des années 2018 et 2019, vu s'accumuler un certain nombre de plans : le troisième PIA intégré dans le GPI, le quatrième PIA intégré dans le plan de relance, le plan de relance lui-même intégré dans le plan d'investissement France 2030. Il peut être difficile de s'y retrouver. S'y ajoutent les soutiens à l'investissement au niveau européen : le plan dit Juncker, puis, aujourd'hui, le plan Invest EU. Saisie par le Sénat, la Cour remettra un rapport sur le plan de relance le mois prochain.

Globalement, la Cour ne porte pas un jugement négatif sur cette mise en œuvre. Les défauts les plus saillants ont été progressivement corrigés. La substitution au commissariat général à l'investissement d'un secrétariat général pour l'investissement a permis de mieux affirmer la dimension interministérielle du PIA et sa coordination. Un comité de surveillance des investissements d'avenir a également été créé, dont la présidence est confiée à Mme Patricia Barbizet et dont le rôle est renforcé dans le cadre du quatrième PIA.

Le nombre de gestionnaires a diminué entre le début et la fin de la période contrôlée, et ces derniers se sont professionnalisé : peuvent notamment être souligné le rôle de la Caisse des dépôts et consignations, de Bpifrance ou de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie devenue Agence de la transition écologique (ADEME). Le rôle des ministères est désormais un peu plus affirmé. Nous nous interrogions cependant sur les conditions dans lesquelles les ministères pourraient reprendre en charge les actions qui sont financées par les PIA à l'échéance des conventions avec les gestionnaires, mais la prolongation de ces conventions pour cinq ans permet une clarification. Enfin, en 2021, a été créé un Comité interministériel de l'innovation, présidé par le Premier ministre. Tout cela a renforcé la cohérence des PIA.

J'en arrive à la consommation des crédits. Pour le premier PIA, la consommation très rapide des crédits résulte de l'existence de dotations non consommables, envoyées très vite aux opérateurs, même si les décaissements auprès des bénéficiaires finaux n'ont pas forcément été très rapides. La consommation des crédits a logiquement été ralentie dans le cadre des PIA suivants, avec le recours à des interventions en fonds propres –il s'agit d'opérations budgétaires plus complexes.

La Cour déplore la dimension territoriale insuffisante des PIA. Ce n'est pas totalement illogique : l'idée générale, qui présidait déjà à la constitution des pôles de compétitivité, était de concentrer les efforts pour créer des clusters ; la dimension territoriale était donc secondaire. Le plan de relance et le plan d'investissement France 2030 témoignent pour leur part de la volonté d'une plus grande territorialisation. Le quatrième PIA permet lui-même de mieux territorialiser, avec un reporting trimestriel des montants décaissés, une coordination renforcée avec un certain nombre de régions et l'allocation de nouvelles tranches en fonction de priorités comportant une forte dimension territoriale – je pense notamment à tout ce qui concerne la biodiversité, l'agriculture, l'agroalimentaire ou encore la formation et l'enseignement scolaire.

J'en arrive au troisième point de ce relevé d'observations définitives : les PIA ont-ils donné lieu à une démarche de performance et d'évaluation ? Les constats de la Cour sont ici plus négatifs. Nous avons le sentiment que la performance et l'évaluation restent plus limitées.

Premièrement, il faut passer d'une culture de moyens à une culture de performance. Cela implique de renforcer les indicateurs de performance et de les harmoniser, de mieux piloter et maîtriser les coûts de gestion, de mieux exploiter les données comptables ou extracomptables qui permettent de connaître la valorisation des actifs financés par le PIA et de mieux fiabiliser les données relatives au retour financier des actions qui doivent effectivement donner lieu à un retour financier.

Deuxièmement, il nous semble aussi qu'il convient de renforcer la maîtrise des risques. La création d'un comité de surveillance est une évolution positive. Toutefois, il ne faut pas se limiter à un contrôle interne financier, mais aussi envisager des choses un peu plus élaborées et permettre aux services de l'État de disposer de leur propre appréciation sur l'efficacité des procédures de gestion et de maîtrise des risques mises en place par les opérateurs. L'argent confié à la Caisse des dépôts et consignations ou à Bpifrance est-il correctement géré et dépensé ? L'État doit probablement, de ce point de vue, faire davantage attention aux conditions dans lesquelles les PIA sont mis en œuvre.

Troisièmement, il convient également d'assurer un meilleur suivi. L'État ne peut intervenir que s'il agit en tant qu'investisseur avisé ; sinon, son intervention constitue une aide d'État, interdite par les règles européennes. Il faut donc concilier la doctrine de l'investisseur avisé avec les objectifs stratégiques de l'État. Par ailleurs, il n'est pas toujours aisé de connaître le bénéficiaire final de montants investis dans des fonds, voire dans des fonds de fonds. Comment s'assurer alors que ce sont effectivement des programmes prioritaires qui bénéficient des PIA ? L'État doit aussi se doter d'une réelle capacité d'expertise et de contrôle, ainsi que de valorisation, de ces fonds, distincte de celles des gestionnaires de fonds, l'État demeurant l'ultime porteur des risques. Des progrès sont encore possibles en la matière.

Cinquièmement, puisque les fonds de fonds qui participent aux PIA peuvent investir dans des sociétés étrangères, comment contrôler et orienter ces investissements ?

En définitive, même si les documents transmis au Parlement sont riches, l'information qui vous est transmise peut encore être améliorée. Il nous semble que l'évaluation des actions des PIA demeure limitée et inégale, selon les gestionnaires et selon les actions. Lorsque cette évaluation existe, elle fait apparaître un impact positif du PIA. Par exemple, les laboratoires d'excellence (« Labex ») et équipements d'excellence (« Equipex »), qui sont des actions conduites par l'Agence nationale de la recherche, ainsi que les actions conduites par l'ADEME ont de bons résultats. Des actions qui étaient jusqu'alors dispersées ont été structurées et, progressivement, la France s'est rapprochée de certains standards internationaux. Certains échecs peuvent cependant être relevés ; sur ce point, il faudrait être en mesure de systématiser l'évaluation et l'analyse des échecs.

Le PIA a contribué à faire remonter la France dans les classements internationaux relatifs à l'innovation, notamment sur la part des dépenses publiques et privées dans le produit intérieur brut (PIB), la part des brevets… Il reste tout de même un certain nombre de points à régler. La Cour des comptes avait montré, dans son rapport sur les aides publiques à l'innovation des entreprises, remis au printemps dernier à votre commission en application du 2° de l'article 58 de la LOLF, que le passage de la recherche au brevet et à l'industrialisation pâtit encore de certains blocages. Nous soulignons à cet égard, dans les observations définitives que nous vous présentons aujourd'hui, que les actions à destination des entreprises ou des filières industrielles donnent des résultats relativement limités. Ainsi, les résultats ne sont pas à la hauteur de ce qui était souhaité dans les trois domaines que nous avons particulièrement examinés : le développement des véhicules et transports du futur, le soutien à la numérisation des entreprises et le cloud souverain.

Il est également compliqué d'évaluer l'impact macroéconomique des PIA. Un travail méthodologique doit sûrement être mené pour parvenir à mieux mesurer le volume d'investissements et son impact sur la croissance, mieux mesurer la qualité de la dépense d'investissement. Si des progrès sont constatés, les efforts en cours doivent être poursuivis.

Tout cela pose plus généralement la question de la place du PIA dans la politique de soutien à l'investissement…

Un travail méthodologique permettrait sûrement de mieux mesurer le volume d'investissement, son effet sur la croissance et sa qualité –de ce point de vue, le PIA 4 apporte des progrès.

Quelle est la place des PIA dans la politique de soutien à l'investissement ? Exceptionnel et massif à la suite de la crise de 2008-2009, l'outil s'est pérennisé, malgré le changement de contexte, avec trois PIA supplémentaires. Faut-il réintégrer les PIA dans le cadre normal des interventions de l'État ? La Cour n'a pas de réponse précise mais préconise une coordination plus étroite de l'outil avec les autres interventions.

Les actions du PIA, tournées vers l'entreprise, doivent-elles intervenir en amont, sur la recherche, ou à l'étape de la valorisation ? Doivent-elles répondre à des objectifs stratégiques comme celui de la souveraineté nationale ou pallier les insuffisances du marché ? Et ne finance-t-on pas des pépites qui, faute de pouvoir connaître ensuite un développement industriel en France, seront vendues à l'étranger ?

Les plans s'accumulent et s'enchevêtrent – PIA, GPI, missions Plan de relance et Investir pour la France de 2030 – sans logique complètement affirmée.

Qu'est-ce qu'un investissement ? Votre commission a porté une réforme importante de la loi organique relative aux lois de finances, qui distingue davantage les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement, en laissant cependant au Gouvernement et au Parlement le soin de définir ces dernières. Peut-on par exemple considérer le traitement des professeurs des universités comme de l'investissement ?

Le PIA nous paraît plutôt une réussite : il a permis à l'État de reprendre un cycle de soutien à l'investissement qui avait été assez largement abandonné dans le passé.

Le rapport de la Cour formule un certain nombre de recommandations. Il faut concilier les plans de nature générale et les plans de nature sectorielle. Les dispositifs exceptionnels, devenus pérennes, doivent s'inscrire dans une doctrine plus organisée : tel sera certainement l'objectif des prochains mois ou des prochaines années.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.